Enquête exclusive au cœur de la salle des profs

« Parce que, dit-il, les batailles ne se gagnent jamais. On ne les livre même pas. Le champ de bataille ne fait que révéler à l’homme sa folie et son désespoir, et la victoire n’est jamais que l’illusion des philosophes et des sots. »

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Il n’y a pas plus protéiforme qu’une salle des professeurs. À la fois champ de coquelicots et champ de bataille.

Remplie de philosophes.

Et de sots.

Comme si Faulkner avait écrit ce passage pour nous les enseignants. Le centre névralgique ne se trouverait-il pas là ? N’est ce pas en ce lieu que se bâtissent nos plus belles victoires pédagogiques, mais aussi nos plus amères défaites ? Ma chronique va-t-elle cruellement manquer de second degré ?

 

Quand on veut traiter de l’un des habitats protégés de l’animal professoral, en dehors de la salle de classe, il convient tout d’abord de signaler que, comme tous les outils pédagogiques mis à disposition de l’enseignant dans son établissement, il utilise la salle des profs d’une manière variée, en fonction de son caractère et de son emploi du temps. Certains y passent, d’autres y restent. Certains s’y étendent, d’autres s’y perdent.

Pourquoi tant de diversités ?

La fonction première d’une salle des profs est de regrouper les enseignants, leur permettant de leur fournir les deux seuls éléments indispensables à leur fonctionnement : du papier et du café. Oui évidemment on est bien loin du pain et des jeux qui permettaient à la population Romaine de se tenir tranquille et de laisser Néron se gaver de raisins juteux. Mais, comme au Colisée, les tribuns se rendent dans cette enceinte sacrée pour y recharger leurs batteries, mais aussi photocopier leurs séances journalières, vérifier leur casier à la recherche de copies fantômes et se rencontrer bien entendu pour échanger, discuter.

Dédramatiser.

 

Le bruit

Oui, les enseignants qui dédramatisent, ça occasionne pas mal de décibels. Entre le ronronnement du chaton à 07 h 15 et le déchaînement de Katrina à 10 h 00. Il apparaît clair que nous avons besoin de nous regrouper, et, en bon animal grégaire, de parler de nos élèves ensemble. À voix haute.

« Non, mais il est comment avec toi, Damien, avec moi, il est IN-SUP-POR-TABLE ! » (insister sur le découpage syllabique qui renforce la détresse de l’enseignant).

La salle des profs peut ainsi être le lieu adéquat pour décider d’une stratégie commune contre le pauvre Damien, qui va se rendre compte, à ses dépens, que les enseignants communiquent entre eux, et verra dans l’œil du prof de maths-sciences que là, faut pas déconner comme l’heure précédente. Il se retrouvera au premier rang, portable confisqué à côté de Enzo, l’élève rugbyman taciturne qui ne supporte pas que l’on chuchote et respire fort durant les cours.

C’est l’effet papillon.

Le battement d’un cil dans le cours de géo l’heure précédente entraîne le regard haineux d’Enzo une heure plus tard. ET BIM.

Donc du bruit. Du réconfort.

En effet, vous avez tous dû remarquer ou vivre ces situations où un collègue ne se sent pas bien, est dans une mauvaise passe et ses collègues l’entourent, dans un rituel assez émouvant du tapotage d’épaule mixé à la phrase anaphorique coutumière :

«  Moi aussi, je… »

 

«  Moi aussi j’ai reçu des bouts de gomme quand j’étais de dos au tableau avec les secondes.  »

« Moi aussi j’ai pris une remarque du directeur ce matin car mon jean était un peu déchiré. »

« Moi aussi j’ai pris une remarque de l’inspecteur (ce bâtard) car mon cours était un peu déchiré. »

 

Ça fait du bien.

La salle des profs ne devrait être que ça. En fait.

Oui mais non. Range ton stylo rose bisounours et arrêtons un peu de dessiner de jolies licornes dans un ciel bleu.

La salle des profs, ça peut aussi être le théâtre d’échanges vifs entre collègues qui ne sont pas d’accord sur un élève, une classe, un fonctionnement. Vous avez tous vécu ça une fois, assisté à une rixe pédagogique, un duel mano à mano au LP Corral autour de la Première B2. Donc là, deux attitudes possibles.

 

La salle des profs, c’est aussi le lieu où se construisent les plus belles réformes, car, entre nous, on sait toujours mieux qu’en haut ce qui est BON pour nos jeunes, et également BON pour nous ; et on le sait, NOUS, que bosser plus de 18 heures par semaine en lycée pro, ce n’est PAS pédagogique.

Non mais allez, passe-moi ton scotch et ton bout de bois, je vais te la créer ta banderole.

 

La rumeur 

Car vous pensiez vraiment que j’allais axer cette chronique uniquement sur l’aspect pédagogique de la salle des profs ? Are you kidding me ?

C’est également le lieu où se distille ce qui pour moi est le cancer de notre profession. Le commérage.

Le QUOI ? Commérage.

On peut pas prononcer ça à voix haute. D’ailleurs, en l’écrivant même, sachez que je prends des risques de commérages sur ma chronique par les enseignants de mon établissement…

Oui, c’est donc là que ces rumeurs fallacieuses naissent et sont alimentées par les bruits de bouche et de gorge. Vous avez parlé à 10 h 00 du teint pâlot de la prof d’arts, qui devrait se couvrir davantage ?

À midi elle aura sans doute une maladie auto-immune.

Vous avez discuté de la météo avec la directrice adjointe ?

Avant la fin de la semaine, on vous aura divorcé. Et rempli la besace d’heures supplémentaires durement gagnées. Sans me vanter.

La rumeur. Les rumeurs. Les « on dit que… » créent souvent des situations ubuesques où l’on se dit que finalement, on n’est pas meilleur que Damien et Enzo, qui ne se parlent plus car Damien aurait dit du mal du rugby à Lucile, qui lui aurait répété que sa mère… Vous devinez la suite.

Les enseignants, ces grands adolescents n’est-ce pas ? (auto-promo)

Et on comprend mieux ainsi pourquoi certains enseignants fuient un peu la salle des profs, slalomant entre les bruits et les rumeurs pour se concentrer sur leur boulot : les élèves.

Protéiforme. Capable des meilleurs sentiments comme des plus vils. La salle des profs, micro-espace hautement symptomatique de notre société.

 

Il y aurait encore tant de choses à en dire, qu’en pensez-vous ?

J’attends vos « Moi aussi, je…. »

À défaut de la tape amicale dans le dos.

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