État des lieux

On parle souvent en mal de la formation des jeunes profs. Depuis novembre, j’accompagne Anthony et Émilien, étudiants en Master 1 métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation (MEEF), qui ont eu pour deux semaines la charge d’une bonne partie de mes classes. Après un temps d’observation et de co-animation d’un jour pendant 9 semaines, ils ont eu à monter, animer et ajuster deux séquences de cours. Ils l’ont fait avec sérieux, confortant ce qui marche, rectifiant le tir quand il le faut et se confrontant à la réalité du terrain. QR codes et image enrichie, ils ont osé le numérique en classe et l’on voit combien le compagnonnage est important en début de carrière.

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Quand je passais le Capes, j’avais eu droit à une seule visite sur le terrain où un collègue, non-averti de ma venue, avait corrigé un devoir de 4e pendant une heure. J’ai ensuite eu la chance d’avoir sur mon chemin Maurice et François, deux géographes et pédagogues avec qui j’ai beaucoup appris. La formation dépend beaucoup des tuteurs qu’on croise sur sa route mais la professionnalisation du métier me paraît plus adéquate aujourd’hui qu’il y a 15 ans. Pourtant il reste tant à faire ! Apprendre un métier aussi exigeant que celui d’enseignant en deux années est une gageure tant les dimensions et les missions de la fonction sont variées : didactique, pédagogie, discipline, numérique, travail collaboratif, partenariats, montage de projets, tout cela se construit sur un temps long. À défaut d’une formation qui mériterait d’être plus longue et plus professionnalisante, tuteurs et formateurs donnent le bagage minimum, certains ayant parfois l’impression de limiter la casse. Faire mieux c’est possible, il suffit de regarder ce qui se pratique à l’étranger ou en EPS où le parcours de professionnalisation sur le terrain commence dès la licence. La tribune « Formation, de quels enseignants avons-nous besoin ? » parue sur Libération le 3 mai 2018 montre l’envie d’un collectif de professeurs universitaires de participer à la réforme de la formation enseignante. Dans cette vidéo et l’interview qui suit, Émilien et Anthony, deux étudiants d’une vingtaine d’année en master 1 MEEF, reviennent sur leur parcours de formation au moment où se termine leur stage de pratique accompagnée en classe.

L’interview d’Anthony et Émilien

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Anthony et Émilien : Le stage a pleinement répondu à nos attentes, pour quatre raisons principales. Près de 10 ans après notre passage au collège, nous avions « oublié » quelles sont réellement les capacités de travail et d’écoute, la maturité des collégiens. N’étant plus dans le simple rôle de l’élève, nous avons pu vraiment nous rendre compte du travail que représente une heure de cours, aussi bien pendant le cours (gestion de classe, différenciation pédagogique…) qu’avant avec toute la préparation que cela demande (choix des docs, des questions, des compétences, des notions à transmettre…). C’est un vrai test pour nous de présenter quelque chose devant des élèves et non plus un simple exposé devant nos collègues de promo comme nous en avions l’habitude pendant notre Licence et notre scolarité plus globalement. Nous avons compris qu’être professeur ne se limite pas à la seule transmission d’un savoir mais que c’est aussi gérer divers problèmes (bavardages, disputes entre élèves, bugs techniques…).

Au moment de la rédaction de cette réponse, nous n’avons pas encore eu l’occasion de beaucoup échanger avec nos collègues, mais avec le peu que nous savons, un point commun et une différence semblent se dégager. Comme certains, nous avons voulu aborder trop de choses en pratique accompagnée ce qui a fait que nous n’avons pas eu le temps de tout finir et que nous n’avons pas assez approfondi les notions abordées. De notre côté, nous avons la chance de pouvoir beaucoup utiliser le numérique (Classroom screen, QR code, Thinglink, AirDrop, tablettes en général…).

Pour la composition qui porte sur une question du programme au CAPES, non, car les attentes sont d’ordre scientifique mais pour l’analyse de documents oui, car il y a une partie pédagogique. Ce stage nous sert surtout pour les deux oraux qui comportent une part pédagogique importante avec les épreuves de mise en situation et d’analyse professionnelles.

Émilien : Oui dans l’ensemble, je ne m’imaginais pas un métier aussi intense en dehors de la classe, côté discipline, j’ai appris qu’un bon cours bien construit (sans temps d’hésitation car bien préparé) vaut mieux qu’une autorité stricte.

Anthony : Je m’attendais à ce qu’il y ait beaucoup de travail en dehors des cours mais j’ai été surpris par la fatigue nerveuse d’une heure de classe. Il faut tout le temps penser à beaucoup de choses en même temps (attirer l’attention des élèves, faire attention à l’heure qui avance, beaucoup répéter les consignes, mettre en place une différenciation pédagogique lorsqu’on tourne dans les rangs pendant une activité…).

Sans surprise, nous avons facilement repéré 3 catégories d’élèves : les « bons éléments » (qui certains peuvent être perturbateurs car s’ennuient s’il n’y a pas de différenciation pédagogique), les élèves peu motivés (perturbateurs ou au contraire calmes dans leur coin) et les éléments en difficulté (car ne travaillant pas assez ou avec de réelles difficultés).

Contrairement aux idées reçues (souvent infondées) sur les nouvelles générations d’élèves (et celles sur la ville où nous avons effectué notre stage), nous avons pu constater que les problèmes graves de discipline (hormis les bavardages) sont rares, d’ailleurs, nous n’en avons eu aucun durant notre stage.

Le stage est la période de l’année la plus efficace (car concrète) dans notre préparation au métier de professeur. À l’université, il y a une bonne préparation scientifique pour le CAPES dans l’ensemble mais les apports pédagogiques sont très rares, pour ne pas dire inexistants. À l’ESPÉ, nous bénéficions de la seule préparation pédagogique de notre formation (hormis le stage) grâce à des cours intéressants comme ceux sur la psychologie de l’enfant ou de notre formateur Michaël NAVARRO.

La charge de travail a été énorme par rapport à la Licence avec une pression permanente au moins jusqu’aux écrits. Plus les écrits approchent et plus notre esprit ne pense (inconsciemment) qu’à cela, au point d’en rêver la nuit dans la semaine précédant le concours. Dès le mois de septembre, la moindre demi-journée sans un minimum de travail fait culpabiliser. Il est nécessaire d’avoir une bonne organisation pour faire face à la charge de travail et ne surtout pas s’isoler (une chance dans une petite promo comme à Saint-Étienne = 15 étudiants) afin de pouvoir se partager le travail et surtout se soutenir moralement.

L’interview de Guillaume Ogier, formateur

Pour croiser ce témoignage , j’ai demandé l’avis de Guillaume OGIER, enseignant d’Anglais au collège du Portail Rouge, Interlocuteur Académique au Numérique en Langues Vivantes et formateur à l’ESPÉ (Lyon 1). Il est aussi le co-fondateur de E-teachers,  le podcast des profs numériques.

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Guillaume OGIER, formateur ESPÉ
  • En tant que formateur à l’ESPÉ et enseignant, quel regard portes-tu sur le parcours de  préparation et de professionnalisation des étudiants en Master MEEF et le témoignage d’Anthony et Émilien ?

C’est une question dense qu’il me sera difficile de synthétiser tellement les angles pour l’aborder sont nombreux. Je vais donc partir de ce que disent Émilien et Anthony : pour eux, le stage représente la partie la plus enrichissante car concrète face aux apports pédagogiques, quasi-inexistants de l’ESPÉ. Je crois qu’il faut d’abord rappeler ici qu’Émilien et Anthony sont en Master 1. C’est-à-dire qu’ils préparent le CAPES. Le stage de pratique accompagnée qui est proposé, observation dans un premier temps, prise en main lors d’un stage massé dans un second, a bien pour but uniquement de donner des représentations du métier à ces étudiants. Comme ils le disent eux-mêmes, n’oublions pas que pour la plupart, ils n’ont pas remis les pieds dans un collège depuis leur propre scolarité. Si certains ont eu des expériences d’assistants d’éducation voire même de vacataires, la majorité est « novice » en tant qu’adulte encadrant dans un établissement. L’année de Master 1 a principalement pour but de préparer les étudiants au CAPES (avec d’ailleurs plus de cours disciplinaires dans le Master concerné) et moins sur l’aspect didactique/pédagogique. Si je suis quand même un peu étonné qu’ils disent que les apports pédagogiques soient si faibles, il ne faut pas oublier qu’ils seront surtout formés lors de leur Master 2, une fois le CAPES en poche, dans le cadre d’un accompagnement mixte ESPÉ/terrain. Si les CAPES comportent tous des volets didactiques, la discipline est encore majoritairement présente. Cela paraît logique : on ne peut pas demander à un étudiant d’avoir de solides bases didactiques et pédagogiques alors qu’il n’a pas encore été formé. Cela irait même à l’encontre des pédagogies les plus basiques ! On vérifie que les connaissances disciplinaires sont solides et ensuite, on forme les stagiaires ayant obtenu le CAPES. Les années de concours sont déjà bien lourdes pour les étudiants. Le principe de ce stage est bien de montrer concrètement le futur métier pour lequel les étudiants s’investissent pour décrocher ce fameux sésame qu’est le CAPES. Comme je dis toujours à mes propres étudiants : « à l’issue du stage, vous devez pouvoir me dire « ah oui, c’est exactement ça que je veux faire, c’est certain » ou à l’inverse «  heu… finalement non, c’est pas pour moi » ». Cette question de la représentation du métier est essentielle avant d’aller pus loin ! On connaît tous des enseignants qui se sont lancés dans ce métier « par hasard » ou après une licence de telle ou telle matière car on ne fait pas grand chose d’autre avec. On peut avoir de bonnes surprises dans le recrutement, comme des moins bonnes. C’est pour cette raison que le stage est essentiel en Master 1 et je suis ravi de lire ce témoignage qui justement montre bien ce que je viens d’expliquer : se faire une représentation plutôt fidèle du métier (et encore, pour qu’elle le soit vraiment, il faudrait plus de stages dans différents types d’établissements pour pouvoir couvrir le « spectre » de ce que à quoi les jeunes collègues peuvent être confrontés une fois le CAPES en poche).

  • Quelle évolution constates-tu par rapport à ta propre formation initiale à l’IUFM ?

Je m’aperçois finalement que les choses n’ont pas bien changé. Les ESPÉ (ex-IUFM) ont souvent mauvaise presse. Combien de fois ai-je entendu que l’on n’apprend rien dans ces écoles ? Que les formateurs sont complètement déconnectés ? Je ne partage pas ce sentiment. D’abord car je suis la preuve vivante que cela n’est pas toujours vrai : je suis à mi-temps au collège et à mi-temps à l’ESPÉ et je souhaite conserver ce rythme pour justement garder une cohérence dans ce que je propose : « tiens, on va bosser sur ce document, je l’ai fait ce matin en cours ». Mais cela ne veut pas dire que les enseignants à temps plein sont mauvais ! Je crois surtout que les étudiants, surtout ceux qui ont réussi le CAPES, ont besoin de « billes » concrètes très rapidement. Ils n’ont pas envie que l’on disserte sur de vastes sujets pédagogiques quand eux sont confrontés de suite à des classes de 30 élèves. Non, ils veulent du concret rapidement, et c’est là qu’il faut le leur donner pour que plus tard, ils puissent réfléchir sereinement. Quand tu apprends à jouer de la musique, tu commences toujours par faire des reprises le mieux possible de tes artistes préférés et après, quand tu as compris ce que eux font, tu peux te permettre de prendre des libertés et de créer ta musique ! C’est pareil en pédagogie. Il faut du temps pour conceptualiser et avoir du recul sur sa pratique. Sauf que voilà. La formation initiale est courte et il y a quand même des sujets de fond, plus complexes, dont on ne comprend finalement l’intérêt que plus tard, qu’il faut commencer à aborder. Les formateurs espèrent semer des graines de « pensée » pour plus tard. Les stagiaires pensent à leur classe du lendemain. Voilà pourquoi on a souvent ce décalage. Pour vraiment reprendre ta question, je trouve que l’évolution positive se trouve quand même dans ce stage de M1. À mon époque, on n’en avait pas. On préparait le CAPES et une fois stagiaire, on avait des petits stages de pratique accompagnée. Mais c’était tout. Là, les étudiants avec ce stage ont vraiment la possibilité de voir de quoi il retourne AVANT d’avoir le concours. De plus, même si certains contenus paraissent éloignés des besoins des étudiants, la palette de cours proposée me paraît vraiment complète, riche et adaptée à la formation (notamment sur le numérique, l’interdisciplinarité ou encore toutes les questions professionnelles abordées). Même si les étudiants se sentent moins concernés quand cela ne touche pas leur discipline au quotidien, ce sont quand même des années pendant lesquelles ils réfléchissent. Chose que l’on n’a pas toujours le temps de faire quand on enseigne 18 h (au moins) devant des élèves.

 

Je partage beaucoup de choses dans cet article signé par certaines personnes que j’admire d’ailleurs. Je suis vraiment d’accord sur le fait que la formation est trop courte. 2 ans dont une année de préparation. En fait, c’est vraiment une année, c’est tout ! De là à dire qu’elle est quasi inexistante comme dans l’introduction, je ne sais pas, mais il est certain qu’elle n’est pas suffisante. Et c’est là que le système doit se réformer. Concernant la sélection à l’entrée du Master, je n’y crois pas bien non plus.  Mais si le concours connaît de nombreuses limites, je trouve que c’est quand même un exercice important dans le processus de sélection. Par contre, je le réformerais encore pour que l’aspect didactique et pédagogique soit encore plus présent. Là aussi, on connaît tous des professeurs qui ont réussi haut la main le CAPES, voire l’agrégation grâce à un niveau universitaire très élevé, mais qui au final se révèlent être en difficulté en classe ou tout simplement sans passion pour leur métier.  Car il faut l’aimer ce métier !

Je ne vais pas détailler chaque point de l’article mais je pense que oui, la formation doit de toute façon être plus longue et surtout continue. On travaille avec « de l’humain ». Et l’humain bouge, le monde bouge, et les enseignants doivent bouger aussi. Il ne peut y avoir de dogme dans l’enseignement. Si l’on connaissait la recette pour enseigner à tout le monde, sans faille, on la connaîtrait depuis longtemps… et on en aurait fait un business. Et je ne connais pas de pédagogues ou didacticiens millionnaires. Et c’est bien !

Une chronique d’Emmanuel Grange

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