Alea jacta est

Elle s’en va… Elle va nous laisser… elle nous quitte pour de bon (on note l’effet de style, bon d’accord, je sors !). Terminés les trajets tous les matins sur une autoroute agréable et un trafic fluide. Adieu les élèves doux et tranquilles s’exprimant en latin toute la journée (wesh m’dame, on kiffe le latinus !).

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Forcément… on voit partir la dernière des Amazones du collège, notre cheval de Troie qui portait encore haut les couleurs du latin… Après elle, que ferons-nous ? Est-ce que nous allons devoir la remplacer ? Je m’y REFUSE catégoriquement parce que je ne suis pas détentrice d’un CAPES de Lettres Classiques et que mon niveau en latinus est absolument mauvais… Que va-t-on faire sans elle ? Allez, à présent, je lui laisse la parole !

Je suis partagée.

Bien sûr, l’idée d’être débarrassée définitivement des corvées liées au métier – et elles sont légion – m’enchante ! Travailler, c’est une chose mais rapporter son travail à la maison comme nous le faisons tous, c’en est une autre et pas des plus agréables. Le travail à la maison est on ne peut plus aliénant et chronophage. Au collège, nos cours s’inscrivent dans le temps et lorsque la sonnerie retentit, cours fini ou pas, les élèves s’envolent. Chez nous, nul gong pour nous dire qu’il est temps d’arrêter. Nous ne comptons pas nos heures.

La retraite signifie donc pour moi la fin des soirées ou des week-ends gâchés par des corrections, des préparations, des tâches administratives, lesquelles, soit dit en passant, se sont accrues ces dernières années. Être en retraite, c’est reprendre possession de sa vie, retrouver du temps pour soi et une certaine liberté.

Pourtant, j’ai exercé mon métier avec passion. Et même s’il est encore trop tôt pour l’affirmer, je pense que je regretterai ces heures passées devant une classe, devant des élèves qui pour bon nombre d’entre eux veulent « apprendre » et réussir et auxquels j’ai eu le bonheur de transmettre mes petites connaissances de prof qui aime partager.

J’ai commencé l’anglais et le latin en sixième, l’allemand en quatrième, le grec ancien en seconde et le sanskrit – dont il ne me reste plus rien, hélas ! – à la faculté. L’étude de toutes ces langues m’a passionnée. J’ai obtenu le D.E.U.G. de Lettres Classiques à l’Université de Lille III. J’ai interrompu mes études pendant deux ans, le temps de changer de région, puis j’ai passé la Licence et le CAPES de Lettres Classiques en candidate libre à Grenoble III.

Puisque l’occasion m’en est offerte, ce n’est pas un coup de griffe mais deux ou trois que je voudrais donner…

Il est évident que ma forme physique et mon moral d’acier m’auraient permis de « servir » l’Éducation nationale encore quelques années. Mais la diminution, catastrophique pour nos élèves, des heures d’enseignement du français, la suppression progressive du latin et du grec, dues sans doute à l’appauvrissement de l’Institution qui veut faire des économies…, et l’entrée triomphante dans les collèges de l’évaluation des élèves par compétences, que mes « Vade retro, Satana » répétés ne sont pas parvenus à repousser, m’ont remplie d’amertume et m’ont gentiment amenée à songer à me retirer…  

Cette année, un de mes élèves d’origine albanaise, très sérieux, volontaire mais manquant de confiance en lui, a obtenu 16,50/20 au Brevet blanc. Lorsqu’il a appris qu’il avait réussi, il s’est exclamé, tout ému : « Merci, la langue française ! »

J’ai été touchée par cette phrase qui révèle tout ce que l’école est capable d’apporter à ceux qui savent l’importance des études.

Mon pire souvenir remonte à mes débuts. J’ai failli ce jour-là renoncer au métier. Le père d’une élève de seconde m’avait fait savoir qu’il ne comprenait pas la note obtenue par sa fille à un devoir de type « discussion », à l’époque. J’ai compris que c’était lui qui avait rédigé le devoir… Monsieur l’instituteur était vexé. Pour qu’il cesse de me harceler, il a fallu que je lui montre les crocs et que je lui propose de l’appeler toutes les fois que j’aurais à évaluer sa chère fille, afin que Monsieur m’indique la note qu’il souhaitait qu’elle obtienne.

Il m’est difficile de donner des conseils. Peut-être faut-il éviter de donner trop d’importance aux instructions, il faut garder un esprit critique en toutes circonstances et rester fidèle à ses convictions.

Pour vivre heureux au collège, allons à l’essentiel, débarrassons-nous de tout ce qui pourrait nuire à notre intégrité, donnons le meilleur de nous-même tout en évitant de nous faire manger par ce travail fatigant physiquement et nerveusement.

Elle est libre, (Max), elle est libre, (Max) !

Y’en a même qui disent qu’ils l’ont vu(e) voler…

 

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Conclure est bien difficile.

On aurait pu la garder quelques années mais voilà. L’amazone a soif de liberté et je crois que nous comprenons tous par ses réponses ce qui ne la retient pas. On va en perdre des profs… de plus en plus…

Il ne me reste plus qu’à lui tirer ma plume, ma craie et toute ma reconnaissance.

 

 

Vale magister.

Carpe diem.

Une chronique de Tara Tata

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