Pourquoi sont-ils là ?

Reprise. Je me console régulièrement, disons presque tous les lundis matin en me persuadant que les élèves sont bien plus stressés que je ne le suis. Je suis du « bon côté » de l’institution scolaire après tout ! Du côté qui incite et oblige à apprendre et grandir en abandonnant les oripeaux adolescents. Celui qui lutte contre le principe de plaisir au profit du principe de réalité.

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Cependant, du propre aveu des élèves, ils ont presque toujours hâte de rentrer ! C’est paradoxal mais sans doute lié au fait que j’ai grandi, moi. Et, on peut dire que ce matin, ils manifestent bruyamment leur joie d’être là. Avant de se ranger, ils se sautent dessus, se courent après, jouent avec une balle de basket avant de voler une balle de foot à un autre groupe qui manifeste son mécontentement. Certaines filles rient comme des hyènes. À la fois fort et bêtement, en se secouant les cheveux. Il est 7 h 45 du matin.

Heures de colle

Mardi 8 janvier. Début d’après-midi. Daniel et Vitas se trouvent dans mon bureau. J’ai collé le premier le matin pour absence de carnet et arrivée préméditée en retard. Vitas venait de prendre deux heures de colle qu’il contestait. Son aplomb était en partie lié à sa bonne conscience : il venait de présenter des excuses à son professeur de maths pour avoir participé au chahut de la matinée dans sa classe. La réaction du professeur les avait fortement impressionnés (d’énervement, celui-ci avait shooté dans un blanco tombé par terre) et l’avait encouragé à adopter une attitude plus contrite. Tous deux réparaient par leur présence aux heures de colle données, les fautes commises. Ces deux élèves se retrouvent donc dans mon bureau. Je prête 50 centimes à Daniel pour qu’il puisse s’acquitter des 8 euros qui le séparent de l’acquisition d’un nouveau carnet. Il me semble d’ailleurs qu’il est en dette d’heures de colle… Vitas est là aussi et « redescend » tranquillement d’une réplique insolente affirmant « avoir des choses à faire ». Ils sont là. Ce ne sont pas nos élèves les plus brillants, ni les plus calmes, mais, ils cherchent de quoi donner sens à leur présence. Au moment de leur demande d’attention, se pose systématiquement la question de ce qui nous lie. Je leur reconnais une utilité, une place, une existence dans le monde que nous créons pour eux. Ils remplissent mon espace. À ma demande, ils se mettent rapidement à ranger les porte-vues et s’attellent à la mise en ordre des noms dans les listes de classes sur mon panneau de « fiches en T ». Ils sont nombreux à me demander de leur confier un travail administratif dans mon bureau, au calme. J’aime l’idée que nous ayons réussi à installer cette appétence pour la présence adulte bienveillante et contenante. Mais, c’est incroyablement peu technique, ce que nous faisons au quotidien.

Élèves modèles

Les élèves réciteront si on leur demande qu’ils sont là pour « travailler », « écouter », « être attentif aux cours ». Ils connaissent bien la rhétorique adulte. Mais qu’elle est terne cette rhétorique lorsqu’on peut s’amuser en se tirant par les pieds dans les couloirs, en décrétant une journée des fesses et des seins pendant laquelle les parties du corps des autres sont touchées sans invitation préalable. Et là, voilà deux élèves absorbés par mes listes de classes, sérieux et concentrés, organisés et calmes. À l’abri de leurs cerveaux adolescents. Ils sont présents, sur une tâche non scolaire, mais ils sont tout au sens de l’instant, de la tâche confiée. L’éducation, l’école, son efficacité se logent dans ce moment de grâce ! Incroyable, je n’ai pas eu à appeler leurs parents, à les punir une deuxième fois, à leur reprocher leurs résultats pour qu’ils se comportent en élèves modèles.

Par tous les états

D’ailleurs, le sens qu’eux-mêmes donnent à leur présence au collège est parfois mystérieux pour l’adulte que je suis devenue. D’une certaine façon, je me sens parfois « invitée » en territoire adolescent. La présence de 400 adolescents est étourdissante. Ils manifestent bruyamment toutes leurs émotions. Ils courent dans les couloirs en prétendant (malgré notre présence) n’avoir pas couru. Ils pleurent dans mon bureau lorsque s’absentant de la permanence (bravant une interdiction très précisément formulée), des stylos, des feutres voire le sac entier a disparu à leur retour. Ils descendent chercher leur sac dans la cour après avoir « oublié » leur cartable après la récréation. Ils se plaignent d’être victimes d’un harcèlement sur Internet : possédant un compte Facebook avant même les treize ans réglementaires, ils s’insultent en utilisant de blessantes comparaisons avec des animaux : « gros chat qui pue », « Michaël » à une fille un peu « garçon manqué »… Certains élèves se meurent six fois par jour et ont besoin d’une consultation urgente de l’infirmière. En période d’évaluation, la vie scolaire ressemble à un dispensaire : on manque de lits pour accueillir les élèves terrassés par le virus « évaluation ». En fin de période, lorsque le rythme des bêtises et des histoires de trousse ne faiblissant pas, je sens ma patience s’émousser, ce que j’appelle les « cris du Samouraï » ne sont pas rares ! Nous avons tous des mines de hamsters en fin de vie, avec des valises sous les yeux, et le moindre incident nous fait littéralement exploser. C’est à ce moment-là que les élèves s’assagissent. Il y a un diapason invisible qui nous permet d’atteindre un équilibre dans nos relations avec les élèves. Lorsque nous sommes au bout du rouleau, ils grandissent d’un seul coup, bondissent dans leur maturité. Au-delà de tous nos espoirs, des élèves de 5e récalcitrants jusqu’à présent, exploitent efficacement des questionnaires sur le harcèlement, nous montrent l’étendue de leur sensibilité lors d’un concert à la Philharmonie de Paris, nous remplissent de fierté lorsqu’ils prennent en charge de façon attentive et efficace des groupes de parents venus participer à des ateliers artistiques lors d’une soirée Halloween. Le sens que nous donnons à leur présence fait donc son chemin. Insensiblement, grâce à la rencontre avec les élèves que permet la simple implication dans ce que nous faisons.

Une chronique de Maude

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