Bonne volonté
Quand on parle des devoirs à la maison, j’ai souvent en tête cet extrait du documentaire Être et avoir de Nicolas Philibert (2002). Les treize élèves de l’école primaire du petit village auvergnat de Saint-Étienne-sur-Usson, âgés de 3 à 10 ans, sont regroupés dans une classe unique avec leur instituteur, Georges Lopez. Quand vient le temps des devoirs pour un fils de paysans qui après l’école donne la main à ses parents, c’est une tragi-comédie qui commence. La gifle part au son d’une mauvaise réponse et la scène mêle l’irritation causée par un problème irrésolu à l’investissement d’une famille qui se ligue pour aider un gamin à faire son travail.
Les parents veulent bien faire quand il s’agit d’accompagner leurs enfants à faire leur travail mais l’on sait que tout le monde n’est pas outillé ou disponible pour aider. Le travail donné par les professeurs génère souvent de l’incompréhension face aux consignes des enseignants voire un conflit de loyauté entre les façons de faire de chacun.
https://youtu.be/MWKSrs32u4A?t=2102
Les devoirs à la maison, on en donne aux écoliers du monde entier et cela depuis longtemps. Patrick Rayou rapporte dans un de ses livres ce fragment de tablette écrite à Sumer (Mésopotamie) il y a environ 4 000 ans, antique écho à la scène d’Être et avoir.
« J’ai récité ma tablette et pris mon repas ; j’ai préparé ma nouvelle tablette, j’ai écrit dessus, je l’ai remplie ; après ils m’ont donné mon travail oral et, dans l’après-midi, ils m’ont donné mon travail écrit. Je suis rentré chez moi… J’ai lu ma tablette et mon père était content…“Réveille-moi tôt demain. Je ne dois pas être en retard, sinon mon maître me fouettera”. Je suis arrivé avant mon maître, je l’ai salué avec respect. Mon maître a dit : “ton écriture n’est pas bonne” et il m’a fouetté. Il m’a dit : “tu n’as pas bien pratiqué l’art du scribe”. »
Alors depuis 2017, pour accompagner les familles et les élèves dans ce séculaire et épineux problème, le dispositif « Devoirs faits » a été mis en place dans les collèges. Ce temps dédié aux devoirs se déroule en dehors des heures de classe (pas obligatoirement en fin de journée) et au sein de l’établissement ; il s’adresse à toutes les familles et à tous les collégiens volontaires à raison d’un volume horaire fixé par l’établissement.
On comprend bien l’intérêt pour le ministère d’avoir ainsi intitulé le dispositif : avec Devoirs faits, finies les turpitudes du travail personnel à la maison puisque ce qui a été demandé ou pose problème aux élèves a été solutionné au collège. Ça, c’est l’objectif, mais comme l’explique brièvement ce reportage de RMC, le bilan de Devoirs faits est variable suivant les établissements : quelle implication des enseignants ? Quand placer ces temps de travail pour un collège en milieu rural où le ramassage scolaire ne peut être décalé ?
Ce chantier lancé par le ministère met en débat la place que les enseignants assignent au travail personnel hors la classe. À ce sujet, voici quatre ressources éclairantes pour s’efforcer que le travail personnel en classe et hors la classe soit pensé et exprimé de façon explicite aux élèves et familles.
#1. « Devoirs utiles »
Une conférence de 2017 d’André Tricot, professeur à l’ESPÉ et chercheur au laboratoire Travail et cognition de Toulouse, particulièrement intéressante. En tant qu’enseignant, nous sommes amenés à nous poser deux questions simples :
La conférence aborde aussi le « Qu’est-ce qu’apprendre ? ». À retenir notamment pour toutes les compétences à base d’automatisme (calcul mental, sport , musique), le meilleur prédicteur de l’apprentissage, c’est un travail régulier, le temps étant le premier facteur de l’apprentissage. Ainsi, mieux vaut travailler régulièrement à petite dose qu’épisodiquement à forte dose. Ne pas donner de devoirs pendant le temps scolaire mais demander de tout réviser ou retravailler pendant les vacances est peu productif. La fin de la vidéo propose cinq conclusions (voir image plus bas) et une réflexion sur les outils pour communiquer à destination des familles : « comment aider votre enfant à la maison ? » / « comment réussir son travail personnel ? »
#2. Le dossier pédagogique Devoirs faits de l’Académie de Poitiers (février 2018)
Il fait un tour d’horizon des préconisations et points de vigilance. La nécessité d’expliciter les devoirs est essentielle tout comme le travail en amont des équipes pédagogiques qui devraient estimer le temps à y consacrer dans chaque discipline, prévoir l’articulation entre les disciplines et répartir au mieux les devoirs dans la semaine. C’est le genre d’éléments à travailler lors de formations en établissement sur le travail personnel des élèves. À prendre en compte aussi, les 5 conditions déclinées ci-dessous pour s’assurer de l’efficacité des devoirs.
Le dossier nous amène à nous interroger sur la nature et l’intérêt des devoirs donnés en proposant quelques exemples.
- À quoi servent les devoirs donnés ?
- Quelles sont les tâches cognitives attendues ?
- Les élèves sont-ils formés à exécuter ces tâches ?
- Les élèves savent-ils quelle est la tâche attendue et la finalité de l’exercice ?
Cette catégorisation des devoirs renvoie à la taxonomie de Bloom, ça vaut le coup d’y jeter un œil, parce que cela est bien utile pour penser ses séquences d’apprentissages.
#3. Le travail personnel de l’élève dans la classe, hors la classe :
L’ouvrage coordonné par Claude Bisson-Vaivre (2018, édité par Canopé et disponible gratuitement en pdf) montre la nécessité de connecter les temps de travail dans et hors la classe pour rendre les élèves autonomes et qu’ils s’approprient des outils et des méthodes.
#4. Pour ceux qui veulent aller plus loin