Oui tout à fait !
- Car il est toujours bon de se remémorer des souvenirs qu’on avait enfouis au plus profond de sa mémoire, voire qu’on avait carrément oubliés : les années passant on ne se souvient plus de tout exactement et quel délice ce sera quand Thomas vous rappellera votre séquence sur l’identité Papou au XXe siècle ; cette même séquence que vous ne faites plus depuis des lustres car elle n’a jamais vraiment fonctionné à vrai dire. Vous en êtes arrivé à faire l’identité de Kaaris au XXIe siècle désormais. Elle ne fonctionne pas davantage. Mais Thomas, lui, s’en rappelle et ça vous met du baume au cœur. Surtout que Thomas, de mémoire, vous vous souveniez plus de sa nuque que de la pertinence de ses interventions. Peu importe, vous vous sentirez bien, mieux, utile en somme. Surtout que dans deux heures vous avez les troisièmes B. Ascenseur émotionnel.
- Car quand vous vous rendez à la Société Générale pour votre rendez-vous avec votre nouveau conseiller, vous tombez nez à nez avec Mylène, qui a bien grandi. Et bien forci aussi. Ah, elle bouffe la Mylène. Oui, mais Mylène EST votre nouvelle conseillère bancaire. Et vous avez ce crédit à demander, petit crédit à la consommation pour cette télé 8K que vous avez repérée en magasin (excusez-moi de n’avoir aucun autre loisir !). C’est à ce moment-là qu’il faudra faire preuve de toute votre imagination, mais aussi disons-le clairement, votre machiavélisme pour rappeler à Mylène ô combien elle était brillante au sein de votre classe, mais tout autant au sein de l’Institution. On parlait d’elle en salle des profs, si si. Mylène rougit et dodeline dans sa robe bien trop serrée. Peu importe si on parlait surtout de Mylène pour s’en moquer car elle ne savait pas placer l’Espagne, l’Italie et l’Allemagne sur une carte européenne. Si vous n’avez pas oublié à quel point elle pouvait être obséquieuse pour se faire bien voir, vous n’oubliez pas à quel point votre télé trouvera une place de choix dans votre salon. Vous finirez en lui disant que sa robe lui va à ravir.
- Car une fois revenu de chez vous, avec la télé 8K, vous pourrez passer la soirée à zapper sur vos 312 chaînes. Et en allant vers la fin, chose que personne ne fait entendons-nous bien, vous tomberez sur une chaîne locale lyonnaise. Pourquoi pas après tout. Et à quelques mois des élections européennes vous tomberez sur un débat politique de futurs candidats. Et parmi eux, vous reconnaîtrez Théo. Première bac pro vous ne savez plus quoi. Un choc. Oui, un choc car vous ne l’avez connu qu’en survet Lacoste, avec une implantation capillaire telle qu’il semblait que l’intégralité de ses cheveux lui masquait le visage, tout le temps. Sorte de monsieur Machin de la famille Addams. Et il ne semblait parler que par borborygmes, borborygmes footeux en général. Donc oui, le choc. Le choc lorsqu’au détour d’un long discours à couleur politique, Théo annonce que c’est son professeur d’histoire-géo qui lui a donné envie de prendre cette voie, et de se mettre au service des autres. Le tout en costume trois-pièces avec les cheveux courts et gominés comme s’il avait 62 ans. Quelle fierté ! Quel parcours ! Tout semble à nouveau possible ! Vous sautez sur l’enregistreur pour capter ce moment et le montrer demain à vos CAP comme exemple de réussite. Puis, quand il aborde le sujet de l’immigration et du communautarisme, vous changez de chaîne… Il semble que vous le préfériez dans ses borborygmes finalement.
Non pas du tout
- Car c’est gênant. Mais oui bien entendu ! Ça vous est tous arrivé un jour. Vous tâtez des prunes dans votre supermarché et quelqu’un vous tape dans le dos. Oui car c’est sans doute peu approprié de tâter des prunes durant dix minutes. Et vous retournant vous tombez sur un jeune homme, d’une trentaine d’années, qui vous regarde avec les yeux vifs et le sourire bright. Il finit par vous prendre dans ses bras avant de dire, en articulant chaque syllabe :
« Monsieur comme je suis content de vous voir !!!!! Vous vous souvenez de moi ???? »
Et là. Malaise. Pas un brin. Rien. Nada. Que tchi.
Alors oui, bien sûr, vous vous doutez bien que c’est un ancien élève. Vous n’êtes pas un super héros local. Mais impossible de dire un prénom, un nom, une initiale même. Donc va s’ensuivre une conversation des plus malaisantes où vous devrez le connaître sans le reconnaître, avec des phrases telles que :
« Mais oui, oh mais écoute ça se passait bien pour toi en général en classe. »
« Je me rappelle, c’était une belle promo cette année là… »
« Et finalement, tu as fait quoi après tes études, tu n’avais pas un projet de….. (laissez suspendre sa voix)
Et si les réponses sont :
« J’ai été le premier à passer en conseil de discipline. »
« Ouais, 10 % de réussite au bac msieur. »
« Devenir acteur porno car j’ai toujours été bien outillé. »
Retournez tâter des prunes.
- Car ça ne peut pas arriver alors que vous lisez le dernier Houellebecq, assis à la terrasse d’un café en sirotant une boisson sans alcool. Ce serait bien entendu TROP facile. Non. Vous croiserez surement Eddy alors que Laetitia, votre meilleure amie, vous tient la tête face à la cuvette des toilettes, expulsant de manière très bruyante vos 12 mojitos pris de bon cœur pour l’anniversaire de votre frère. Difficile de réfléchir à sa moyenne générale de l’époque ou à une belle anecdote alors que du vomi pend de votre nez. Mieux encore, vous ne trouverez pas grand-chose à dire à Luc, votre ancien élève de CAP menuiserie quand vous vous heurterez à lui dans une file d’attente du salon de l’érotisme. Oui, juste quand vous aviez acheté ce joujou électronique et ce déguisement absolument désopilant. Mais c’est pour votre meilleur ami tout ça. Trop tard. En plus vous avez le frère de Luc cette année. Il va falloir préparer tout un paragraphe argumentatif à la question suivante : pourquoi j’aime me déguiser en policier durant mon temps libre ?
- Car il est certain que les années passent. Chaque année vous le sentez bien. Les élèves que vous suivez de la seconde à la terminale vous le font parfois bien comprendre, ou plutôt supposer, car ils savent ; mieux encore ils vous craignent ! Ils savent qu’une remarque déplacée et vous les traînerez manu militari dans le bureau du CPE. Mais là, le petit Enzo, que vous avez connu à 14 ans et que vous croisez avec sa femme et son gosse 20 ans plus tard…comment lui en vouloir. Il a gardé toute sa franchise que vous lui connaissiez :
« Monsieur, mais vous avez vachement grossi, vous étiez mince non, quand je vous avais ? »
« Vous avez changé de coupe non ; ah non vous avez perdu vos cheveux… »
« Ça doit être tarpin fatiguant d’être prof, franchement vous êtes marqué hein. »
Connard. De toute manière vous pouviez pas le blairer en classe. Vous espérez juste qu’il n’inscrira pas son gamin dans votre bahut. Car franchement.
Il respire pas l’intelligence.