Ça les rend fous !

L’année dernière, je postais :

Les 10 phrases qui m’énervent le plus chez les élèves (à retrouver ici sur notre cher WebPédagogique).

Il était donc bien temps de leur rendre la pareille.

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Et après un rapide sondage auprès de ma classe de TRPIP (oui car pour relever les phrases d’un enseignant, il faut écouter au préalable l’enseignant)… il en est ressorti :

 

LES 10 PHRASES DE PROFS QUI AGACENT LE PLUS LES ÉLEVES :

 

Qui ne l’a jamais lâchée ? Elle arrive en général au beau milieu d’une séance méthodologique. Quinze fois que vous répétez comment rédiger un paragraphe argumenté et en face de vous, le jeune Tom, qui semble plus préoccupé par le fait de parvenir à réussir un bottle flip challenge. Comme si l’épreuve avait été validée par l’Éducation Nationale (chut, ne leur donnons pas des idées…). Et c’est là que vous lancez votre diatribe, qui finira par cette info capitale, en mode climax. Vous pouvez lâcher votre micro, pardon votre stylo. Ouais vous l’avez brisé. Ouais. Cette punchline va le laisser sans voix. Enfin. Sans voix pendant 10 secondes car il vous lancera sans doute le célèbre «  et avec le bac vous êtes que prof ? » Vous finirez la séance en lui demandant des conseils pour faire tomber la bouteille d’eau correctement.

 

Oh que c’est pas beau. Que c’est vil. De mettre en scène votre caractère dédaigneux en postillonnant votre fortune à leur visage. Mais quelle image voulez-vous renvoyer à ces jeunes générations ? Oui, vous pétez dans la soie, dans votre Fiat Punto, oui vous vous habillez chez les meilleurs couturiers de la Halle aux Vêtements et alors ? Qu’ils continuent de s’agiter tels de petits cochons d’Inde, vous, vous boirez le même hydromel dans votre calice en plastique doré dans exactement 8 jours 12 heures 6 minutes. Date où la Banque Populaire comblera votre dépassement de découvert autorisé.

 

Mais ils se prennent pour qui des fois ? Vous êtes en train de distribuer les futurs DM non rendus de la semaine prochaine et ils ont déjà rangé leurs affaires. Correction faite. Ils n’avaient PAS sorti leurs affaires à vrai dire. Et là. Car une vulgaire sonnette retentit, il faudrait que vous laissiez tout tomber pour les laisser sortir ?  Que nenni. Vous fermez la porte à double tour et vous regardez leur visage pâlir brusquement. De Casimir vous voilà soudain Mussolini. Les majeurs intoxiqués au tabac dressés (les élèves, pas les doigts) vous regardent, les yeux déjà plein de larmes, prêts à faire les DM de toute la classe pour les quatorze semaines à venir pour une seule taffe. Oui, souvent cette phrase-là vous propulse maître du monde. Profitez-en. Ça n’arrive pas souvent.

 

La phrase de l’outrecuidance par excellence. Car ça suffit. Ça fait trois fois que Kevin vous reprend sur votre étude de « Mignonne, allons voir si la rose ». Vous êtes sur le carpe diem. Il reste dans l’horticulture. Ou plutôt dans « l’ortie cul ture » comme le dirait Kevin :

«  Ouais m’sieur ça va, qui vous dit que Ronsard il voulait pas juste faire kiffer la fleur à sa nana, car elle est belle t’as vu ; vous nous embrouillez avec votre latin là, ça va nous servir à quoi le cartédième pour notre bac ? Le gars il aime les fleurs et il veut la serrer la nana, moi je m’en fous j’mets ça dans l’éval. »

Vous serrez les poings. Fébrile. Vous proposez donc qu’il vous remplace. Il accepte. Et en plus la classe semble tout à fait d’accord avec cette pédagogie inversée. Vous vous assiérez à sa place et continuerez la séance en vous demandant comment faire une évaluation sur ce rosiériste lubrique.

 

Phrase culte de l’enseignant. Sorte de marronnier qui revient de manière ponctuelle sans qu’il n’y ait de règles figées à son propos. Le programme, sorte d’épouvantail que l’on sort du placard dès que le nombre de digressions sur la mère à Maxence a dépassé le seuil de tolérance autorisé. Et pourtant. Comme bon nombre d’épouvantails aujourd’hui, le programme. Les oiseaux s’en cognent. Soyons clair. N’agitez donc pas ça devant leurs yeux, puisque le programme n’est plus qu’un vague concept abstrait, sorte de chimère qui règnerait lors des épreuves finales, mais dont on sait que cette même chimère a les dents limées, les griffes émoussées, le dard fatigué. Béllérophon, c’est Enzo qui l’année dernière a eu 17/20 en histoire-géo sans avoir débouché le capuchon de son stylo. Ah oui, il l’a bien Ken la chimère, Enzo. Alors bon le programme…  Et puis, dernière chose. Pour accélérer. Faut déjà avoir démarré.

 

Oui, nous en avons déjà parlé ; les profs sont souvent comme les élèves, capables de piteux mensonges pour éviter le couperet. Alors quand vous arriverez ce bon matin-là, l’œil vitreux, la bouche pâteuse, après avoir ingéré la quasi-totalité des quinze saisons de la série Urgences durant les vacances, tout en, soyons honnêtes, vous gaussant du tas de copies trônant sur votre table, vous sortirez ça, bêtement, devant l’Assemblée à la fois déçue et suspicieuse. Une assemblée qui ne lâchera pas le morceau : Claire demandera sa note, suivi de Fabio. Vous ne vous en souviendrez pas bien entendu, car vous aurez corrigé les premiers jours des vacances. Comment leur dire de toute manière, que vous mettez des notes au hasard depuis des années, sans que personne, pas même l’Institution, ne le remarque. Non, l’excuse est sale. L’excuse est mauvaise. Surtout qu’elle vous oblige à tout corriger ce soir du coup, et d’annuler votre soirée Animojito avec votre collègue prof documentaliste (tu imites des animaux, tu bois des mojitos) .

 

Le lendemain. N’allons pas plus loin. De cette fameuse soirée Animojito que vous n’avez finalement pas annulée (les copies ayant été corrigées entre midi et deux, vous dispensant du steak haché plastifié de la cantine). Vous vous retrouvez dans un état de délabrement encore plus avancé que la veille. Mais, n’écoutant que votre courage, vous décidez d’entamer cette séance si palpitante sur la naissance de l’idée d’Europe au XXe siècle. L’effort devrait être souligné. Car, même à jeun, le cheminement est très délicat. Qui peut donc vous en vouloir de naviguer un petit peu, légèrement, à vue, et de heurter quelques fois le patrimoine européen, donnant des coups de canif au contrat historio-géographique. Maastricht n’en reste-t-il pas puissant, si on lui retire un A ou un T ? L’Europe, qu’elle soit à 28, 26, ou 29… est-ce si important de connaître le nombre exact à l’heure du tout numérique ? Et puis quel plaisir de voir un élève lever fièrement le doigt pour replacer la Croatie sur la carte, alors que vous l’aviez placé en terre hongroise. Vos élèves en sortiront grandis. Vous aussi.

 

Il manque la fin de la phrase :… Il faudra travailler davantage. Phrase souvent prononcée dans les premiers jours et semaines de l’année scolaire. Quand vous passez dans les travées de vos classes et tentez d’instituer une atmosphère propice en un enseignement de qualité. Alors oui, il vous semble opportun de mettre les apprenants au pli dès le début. Cette année, pas le temps de s’amuser à dessiner des petits zizis sur les classeurs, ou d’écouter Nakamura sur le tel pendant que vous parlerez en classe. Ce sera différent. Ce sera plus dur. Il faudra écouter chaque mot, chaque syllabe. Chaque intonation de votre voix. Ou c’est l’abîme.

La fin la chute la perdition le NO MAN’S LAND.

À noter que cette méthode peut être utilisée pour chaque classe. Exceptée peut-être pour la petite section de maternelle.

 

Mais oui, là, vous êtes à bout. Ils sont plus jeunes, plus vifs, plus diaboliques que vous. Et même si vous ne vous retournez plus au tableau, dos à eux, grâce à cet arme absolue qu’est le vidéoprojecteur, vous ne parvenez toujours pas à fixer l’ensemble de vos trente chérubins de bac pro Électricité en un seul regard, les embrassant tous et toutes. Donc.

Qui fait le renard ? Qui ?

Et il y a ce quatuor. Les quatre mousquetaires du mal, partenaires particuliers de l’effronterie. Capables de tout y compris d’imiter ce charmant mammifère.

Quentin Kaïs Kevin Killian : KKKK. (Mais comment sont-ils encore à côté !!!!!)

Alors vous lancez votre anathème, un seul jappement. Et ils iront glapir devant le CPE. Stratégie dite de l’englobement. Et bien entendu, dans ce tourbillon, ne jamais oublier d’englober Dimitri. Dimitri, c’est le demi de mêlée. Sauf qu’il n’y a rien de demi en lui, c’est plutôt le double de mêlée. Donc même s’il se trouve loin des énergumènes, brandissez la punition générale. Tournez vous quelques instants au tableau, pour effacer une trace imaginaire et vous entendrez un chuchotement indistinct. Puis le silence. Le renard vient de décéder. Écrasé par un Boeing 747.

 

Je n’aurais pas choisi cette phrase pour clôturer cette première salve, mais elle m’a été donnée par une élève, et vu que je la prononce souvent, cela m’a permis de jauger de mon fort taux de ringardise actuel. Nous avons tous ces petits gimmicks verbaux, que nous trouvons d’une justesse absolue, et que nous réutilisons d’années en années, sous les yeux hébétés des élèves qui n’osent pas nous dire à quel point nous sommes vieillissants et hors du coup.

« Mange ta main et garde l’autre pour demain. »

« C’est comme le Port Salut, c’est écrit dessus. »

«  En avant Guingamp ! »

Voilà. Bienvenue dans les années 90. Comment voulez-vous enchaîner après ça ?

 

 

À SUIVRE LE MOIS PROCHAIN.

SALUT LES PETITS CLOUS.

Une chronique de Frédéric Lapraz

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