Merci Messieurs les représentants de la Nation

C’est un songe qui m’a réveillé en sursaut. Le fracas de la chute du dragon Pisa, son terrassement. Enfin, j’allais pouvoir regarder en face, droit dans les yeux, les parents affolés de mes jeunes élèves. Enfin, nous allions tous progresser dans le classement, offrir un avenir radieux à une jeunesse déboussolée, une jeunesse persécutée par ce satané classement PISA. En un mot, une jeunesse vouée aux gémonies de la bêtise et du déclassement. Enfin, nous allions pouvoir monter fièrement les marches du classement de Shanghai. Et ce bonheur total n’était nullement une prophétie, ni bien même une mauvaise argutie. Il ne s’agit pas non plus, ni de mon avis, ni d’une fake news savamment orchestrée. Pas plus que le résultat espéré d’une hypothétique réforme.

saint-georges

Les faits, rien que les faits. Alors que chaque samedi, l’espace public se colore de jaune, alors que les mauvaises langues mettent en parallèle la condamnation d’un ex-boxeur et celle d’un ex-ministre menteur, alors que la défiance est à son comble, l’opinion allait radicalement changer. Pour tordre le cou définitivement à l’idée de ces élites accusées à la fois d’être des « sachants » et de mépriser le bas peuple, de confondre le bien public et les avantages en nature. Pour cela, il faut frapper un grand coup. Marquer les esprits. Au moment où la France périphérique rue dans les brancards et traduit en actes son rejet d’une classe politique qu’elle estime déconnectée des réalités et retranchée dans son égoïsme social, vous, les dignes représentants de la Nation, vous avez décidé de montrer combien ces critiques étaient fausses et injustes.

La classe du XXIe siècle

Au terme d’une nuit blanche vous avez voté le réaménagement de toutes les salles de classe. Dans mon collège, il y en a une quarantaine, c’est dire si l’effort de la Nation est grand. Adieu la classe du XIXe siècle avec ses tables alignées, immobiles, son tableau blanc fiché au mur, ses vieilles cartes. Bonjour la classe du XXIe siècle avec son mobilier mobile permettant d’adapter l’architecture de la salle au travail demandé, travail de groupes, travail en îlots ou cours frontal. De même, un TBI mobile permet de nouvelles dispositions pédagogiques entre travail individuel et travail de remédiation avec le professeur. Et peut-être même qu’il y aura un ilot informatique dans un coin. Vous auriez pu vous arrêter là. Non, n’écoutant que votre courage, vous avez décidé de vous attaquer frontalement à l’inégalitarisme. Déjà, l’adoption des compétences, en sixième, allait dans le bon sens. Nous avons tous des compétences, des savoirs. Terminé l’âne qui ne récoltait que des zéros. Depuis longtemps déjà, il n’était plus stigmatisé par son bonnet et une place attribuée. Plus de honte désormais, plus de rôle à tenir non plus. Un climat de classe apaisé où chacun peut avoir son moment de célébrité. Dans ce cadre humanisé, les élèves rivalisent pour progresser, saine émulation. Donc, terminées les mentions père et mère sur les formulaires administratifs. Place au parent 1 et au parent 2. Je vois déjà le dialogue. Si un élève menace de répéter, « de le dire à son parent », je pourrai rétorquer « Ton parent 1 ou ton parent 2 ? » Cela me permettra au moins de savoir si je dois trembler, appeler le syndicat ou hausser les épaules…

Une réorientation mais à quel prix ?

Hier, nous avons eu une réunion extraordinaire. Notre principal nous a en effet réunis pour préparer la mise en place de l’amendement voté. Il apparaît que cela va être difficile pour ma salle de classe. En effet, s’il faut placer le drapeau tricolore à droite, alors il sera régulièrement caché par la porte d’entrée. En plus, l’espace sert épisodiquement à réaliser des prises de vue pour le théâtre. Sachant qu’il convient de manipuler avec respect le drapeau, on ne peut pas envisager de le déplacer à la volée. La salle va donc être réaménagée, ou plutôt « réorientée ». En déplaçant le tableau blanc sur le mur perpendiculaire, juste à gauche de celui qu’il occupe actuellement, tout ira pour le mieux. Le drapeau placé dans le coin droit sera le premier visible dès l’entrée en classe. De plus, si je place mon bureau à proximité, il sera protégé des jets d’encre et des autres avanies. Pour le mobilier mobile, le principal s’est engagé. Tous les crédits restant après la réimpression des formulaires administratifs nouveaux, l’achat des drapeaux et les frais de réaménagement des salles (déplacement, fixations pour les hampes, modification de l’éclairage et frais de peinture), seront intégralement consacrés à l’investissement dans le mobilier de classe du XXIe siècle. Vivement la rentrée !

Saint Georges, reviens, ils sont devenus fous.

 

Une chronique de Philippe Crémieu-Alcan

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