La jeunesse dans la rue

Vendredi 15 mars, des étudiants, lycéens ou collégiens de plus de 120 pays ont fait grève pour le climat.

Pointant l’inaction et l’incurie des gouvernements contre le changement climatique, de jeunes militants comme Linus Steinmetz, 15 ans, l’un des porte-paroles allemands du mouvement Fridays for Future, arguent que « la situation à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui est unique. Nous sommes la dernière génération à avoir une chance réaliste de prévenir une catastrophe climatique ».

Et les profs ?

Mouvement du côté des élèves, prise de position aussi chez des profs qui médiatisent le cri d’alerte écologique. Dans le sillage de Greta Thunberg, le collectif Enseignant.e.s pour la planète a publié en janvier 2019, sur le site Reporterre, un manifeste pour contrer cette « crise écologique et humanitaire sans précédent ». Au-delà de l’appel à soutenir la grève scolaire pour le climat du 15 mars, ces collègues « ne veulent plus être les instruments d’une propagande rassurante, qui rend invisible la catastrophe écologique. Nous devons au contraire dire à nos élèves que la situation est gravissime, sur le climat qui s’emballe, la biodiversité qui disparaît, la pollution qui pénètre jusque dans nos cellules, et qu’aucun diplôme ni aucune formation ne les protégera contre cela… ». Remettant en cause des programmes jugés lénifiants sur le sujet et l’inaction politique, le collectif appelle les enseignants à faire prendre conscience à tous les élèves de l’urgence de la situation.

Ayant en début d’année fait de la démission de Nicolas Hulot la leçon inaugurale avec tous mes élèves (Hulot parti, éduquons au politique !), je me questionne aussi sur les leviers pédagogiques à actionner pour expliciter le phénomène complexe du changement climatique et armer les élèves pour demain. J’enseigne dans un établissement labellisé éco-collège en 2010 mais l’équipe pédagogique s’est essoufflée sur le sujet par manque d’interactions, de partenariats et d’un projet fédérateur. En tant qu’enseignant, comment faire et jusqu’où aller pour relever ce défi collectif mondialisé ?

« Aujourd’hui, je me mets en grève car je ne vois plus de sens à mon métier, dans un monde sans avenir. »

Lucie Auvray, enseignante de CM1-CM2 en Normandie et membre du collectif Enseignant.e.s pour la planète, a commencé une grève illimitée pour le climat qui l’éloigne de sa salle de classe pour la conduire vers l’exploitation bio de son conjoint avec la volonté d’animer des ateliers et des cafés citoyens. Dans un article paru sur le site Reporterre, elle questionne le sens du métier d’enseignant dans un monde qui hypothèque l’avenir des enfants.

« Plusieurs collègues m’ont dit : « Mais pourquoi faire grève ? Tu peux faire des actions dans ta classe, pour faire avancer les choses. » Bien sûr que j’ai toujours sensibilisé mes élèves, mais les enjeux actuels sont d’une autre mesure. Nos réactions doivent donc aussi changer de mesure. Il n’est plus temps d’enseigner aux enfants le développement durable, qui, bien qu’obsolète, n’est encore même pas appliqué dans les écoles. Et puis ce n’est normalement pas aux enfants de porter les choix d’une société mature. Nos incohérences sont maintenant tellement flagrantes que ce sont les jeunes, moins « dégénérés » par la société de consommation, qui les dénoncent. Mais c’est à nous, adultes, d’assumer ces choix, sans les remettre sur le dos des générations futures, comme celles d’avant ont pu le faire. »

Le changement climatique au programme, c’est pour quand ?

Appelant à penser des programmes qui retissent un lien fort entre la nature et des élèves majoritairement citadins et de plus en plus sédentaires, des enseignants relaient le SOS de Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue et co-présidente du groupe n°1 au GIEC. Lors de plusieurs de ses passages médiatiques, elle a rappelé qu’on n’enseigne quasiment pas le changement climatique dans les programmes rénovés du collège et du lycée. « Sur 1800 à 2000 heures d’études, collégiens et lycéens suivront quelques dizaines d’heures, au plus, sur le climat sans que les derniers apports de la recherche ne soient enseignés ». Pour donner des leviers d’action aux jeunes générations, il faut transmettre les connaissances de base en enseignant de façon claire ce qu’est le changement climatique : quelles causes ? quels effets ? quelles alimentation et politique énergétique pour demain ? Autant de questions qui structurent la pensée et donnent les repères nécessaires pour agir. Savoir que le degré de réchauffement observé depuis la fin du XIXsiècle est dû à l’influence humaine n’est pas enseigné en France.

https://www.facebook.com/latacfi/videos/399140897301588/

La Fresque du climat : un outil pédagogique pour comprendre le changement climatique

Valérie Masson-Delmotte appelle l’Éducation Nationale à « créer une culture de gestion de risques car plus de 60 % de la population française est exposée aux risques du changement climatique ». Comprendre pour prévenir et agir, telle est la mission assignée aux pédagogues que nous sommes. Et justement, pour enclencher cette réflexion complexe auprès des élèves, des outils s’élaborent. Pendant les vacances scolaires, j’ai eu le loisir de tester la Fresque du climat, un atelier à la fois collaboratif et créatif pour sensibiliser au changement climatique. Une version adultes (stimulante mais costaude) a été adaptée pour le jeune public (jeu de cartes à commander sur le site ou à imprimer après inscription).

En équipe, il s’agit de retrouver les liens de cause à effet entre les cartes du jeu distribuées progressivement pour élaborer une fresque du changement climatique qui prend l’allure d’un schéma ou de carte mentale participant activement au processus d’appropriation. Une équipe est ensuite choisie pour faire un exposé sur le climat, en s’appuyant sur la Fresque fraîchement réalisée, qui pourra rester affichée et constituer un panneau pédagogique dans les salles de classe. L’activité constitue une entrée adaptée pour faire saisir aux élèves les mécaniques en jeu dans le changement climatique et aboutir à une prise de conscience pour agir.

Une chronique d’Emmanuel Grange

Une réponse

  1. Pour faire suite à l’article et enrichir la réflexion, l’association la Fresque du Climat a bien voulu répondre à quelques questions concernant l’atelier et la dynamique de sensibilisation/d’action des jeunes à l’heure actuelle. Merci à eux !
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    Pourquoi un atelier pour comprendre le changement climatique ?

    Le dérèglement climatique est un sujet complexe, clivant et angoissant. Le faire comprendre par un atelier ludique, collaboratif et visuel est un excellent moyen pour déclencher des prises de conscience rapides et collégiales. Parce que construire et décorer sa fresque du climat avec les données du GIEC est beaucoup plus percutant et convivial que d’écouter passivement une conférence ou une vidéo.

    La fresque du climat existe en version adulte et junior. Quels retours avez-vous de l’animation menée en milieu scolaire ?

    Avec 5000 joueurs dans le monde dont un bon tiers dans les écoles, les retours sont très bons, aussi bien dans des établissements publics que privés, dans les grandes villes, en banlieue ou en région ! La fresque junior peut se jouer dès 8 ans avec beaucoup d’accompagnement jusqu’à 13/15 ans : certains des animateurs ont une très grosse expérience sur ces profils d’âge. Pour les lycéens, la fresque adultes fonctionne très bien à condition de retirer les cartes les plus complexes (Aérosols, Forçage radiatif, Budget énergétique) et d’avoir un encadrement renforcé soit 1 animateur pour deux groupes (12 élèves).

    A l’heure où la grève scolaire pour le climat se développe, quel est votre regard sur la dynamique de sensibilisation et d’action des jeunes ?

    Ce qui se passe est très positif car les jeunes se rendent bien compte du grand écart entre le constat climatique et l’action bien trop prudente du système. La mise en avant de Greta à l’international permet de fédérer toutes ces énergies positives qui pourront faire accélérer la transition plus que nécessaire. Ainsi, la formation des jeunes à ce dérèglement climatique est fondamentale pour leur donner les bons outils.

    D’après vous, que peut (ou doit) l’école face au changement climatique ?

    L’école a un rôle majeur d’éducation climatique car nous vivons déjà des changements qui vont s’accentuer. On ne peut nier l’intérêt grandissant des générations les plus jeunes autour de la question climatique : les lycéens et étudiants se mobilisent, comme cela fut le cas dans le monde entier le 15 mars dernier. Les établissements doivent, au delà de proposer un programme intégrant véritablement ces problématiques sociétales, un cadre ouvert à la discussion, au rassemblement, et où l’intelligence collective, l’entraide et la montée en compétences des jeunes générations sur ces sujets sera favorisée. C’est nécessaire et urgent, et l’école a un rôle stratégique d’accompagnement et de facilitateur à jouer.

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