Pour leur plus grand déplaisir

 

Mais la bonne blague. Votre classe de seconde vous a fait vivre l’enfer pendant une heure, et alors que vous dictez votre trace écrite, vous entendez les mêmes gloussements, voyez les mêmes regards bovins pétrifiés par Gorgone. Et personne n’écrit. Ah si, un ! Et là vous lâchez cette phrase. D’un classicisme absolu. Quinze ans que vous l’étrennez chaque année. Et elle fait mouche à chaque fois. Vient-on de crier au fond « Vos gueules maintenant, écrivez ! » ? N’est-ce pas le bruit du silence, écrasant, dominateur, qui succède aux jeux du cirque ? Waouh. Impressionnant. Mais les gars, vous croyez quoi ? Que j’ai envie de passer une minute de plus avec une meute de loups, sachant que si je n’en grille pas une dans l’instant je peux saisir Kevin et m’en servir de masse d’armes sur Kaiss ? Que dans ma main j’ai déjà ma fiole de premiers secours. Et que dedans, ce n’est pas de la Cristalline… Alors les poupinous, que vous vous pendiez au plafond ou que vous suiviez ma prose, dans trois minutes, moi je suis plus là.

 

Ce qui vous énerve vraiment profondément lorsque vous regardez les émissions de talk à la télé, c’est quand on invite un super showman, un humoriste de talent, un acteur enivrant et que tous racontent qu’étant jeunes, ils étaient dissipés mais s’étaient fait remarquer par leurs prouesses verbales et leur charisme indubitable durant les cours de théâtre ou de français. Oui. Ben à ce jour, VOUS, vous ne risquez pas de mettre en lumière qui que ce soit chez Drucker ou Ardisson. Pourquoi ? Pour parler d’Hugo, le plus grand pétomane que l’Union européenne ait sans doute connu ? Ou de Linda, qui une fois au tableau vous regarde d’un air confondant avant de lâcher son célèbre : « sérieux woula j’ai rien pigé. », tout en mâchonnant son vieux chewing-gum. Ou son vieux piercing. Ou les deux en alternance. Non, sérieux, dès qu’ils passent au tableau, les vôtres perdent quasi automatiquement la moitié de leurs neurones. Et ne restent que les sclérosés.

 

Eh oui ! C’est vraiment pas de chance en fait. Si ç’avait été hier, vous n’auriez vraiment pas été contre un vacarme incessant, constant, permanent, au sein de votre cours. Vous auriez été enchanté de voir Lorenzo mimer un acte sexuel avec un escabeau, avant de vous regarder, cherchant sans doute votre approbation. Vous auriez souri de voir que personne ne se souvenait de la séance vue ce matin même, séance que vous avez pourtant reprise pour la quatrième fois car la classe n’est jamais au complet. Sports d’hiver obligent. Mais là non. Il s’avère que de tous les autres jours où vous seriez d’accord pour ne pas faire votre métier, et adopter plutôt celui du gentil animateur de club des lobotomisés ; vos élèves ont choisi le SEUL JOUR où il ne fallait pas vous faire chier. Voilà. C’est ballot. Et vous n’aviez prévenu personne en plus ? Tant pis, ils vont devoir s’adapter. Et puis une journée comme ça où vous êtes à fleur de peau, ça passe souvent super rapidement, n’est-ce pas ?

 

Oui. Chut chut chut chut chuuuuuuuuut. C’est le turning point de votre séance. Quand Dark Vador va annoncer qu’il est le paternel de Luke. Ça veut dire que peu importe si Lucas (ou George) a passé son heure la tête entre ses genoux pour mimer à la classe le crash d’un avion. Ce n’était pas grave. Ce n’était pas important. Mais là, oui. Oui, LÀ, là il faut du silence.

 

Quelle détresse en fait. En arriver là pour avoir le silence durant une séance. Essayer de faire passer la définition de la focalisation zéro pour une nouvelle qui va révolutionner leur existence. Juste pour obtenir le calme. Et éviter de vider votre boîte de Dafalgan ce soir encore. La focalisation aujourd’hui, et avec vous, c’est le Watergate de la narration. Mais vous allez faire quoi demain ? Le mime Marceau pour les homophones grammaticaux ? Bon, profitez de vos trois minutes, redécouvrez le timbre éraillé de votre voix. Voilà. C’est fini. Lucas n’a désormais plus la tête dans ses genoux. Mais sur ceux de sa camarade.

 

À manier de manière extrêmement délicate. Oui, car quand vous tentez de ramener le schéma familial sur le devant de la scène pédagogique, et souvent disciplinaire, vous avez souvent des surprises assez folles. Un exemple. Un exemple absolument véridique. Vous venez de reprendre pour la énième fois la première partie de la fratrie gémellaire démoniaque qui sévit en première bac pro. Il ne s’arrête pas d’insulter son frère. Constamment. Et quand vous lui demandez pourquoi un tel acharnement, il vous répond tout simplement « c’est bon il m’a deuh, ce fils de p*** ». Bien, bien, bien. Donc, vous disiez quoi…

 

… et vous retombez directement dans vos travers. Pourquoi penser que le père, la mère, sont encore et toujours les mêmes structures censées que celles que vous avez connues dans votre enfance ? Est-ce encore l’impact de la pantoufle que vous sentez, trente cinq ans plus tard, quand votre mère vous avait surpris à lui répondre à table, un samedi soir, devant Disney Channel ? Non, parfois les élèves n’ont plus ce rapport à la famille, cette peur de l’autorité. Ah mais zut, c’est vous désormais l’Autorité, c’est vrai ! Vous comprenez mieux pourquoi Paul vous appelle papa ; moins quand c’est Arthur qui vous appelle maman, certes ; mais ça reste affectueux, vous en êtes persuadé.

 

Mais que vous êtes méchant. Vous voilà en train d’aiguillonner vos apprenants en faisant résonner en eux des réminiscences de l’école primaire. Voilà encore de quoi vous faire remarquer. Vous les regardez en vous gaussant, haussant les épaules quand ils vous posent des questions, car pour vous c’est simple, si simple. Un jeu d’enfants. Ce même jeu qui cessera instantanément quand votre fils de 10 ans viendra vous voir le soir pour vous présenter ses exercices de mathématiques et vous demander de l’aide. Tout le reste n’est que jurons discontinus sur le système primaire français bien trop novateur, puisque, bordel de merde, on ne pose plus les divisions comme à votre époque ! La soirée se finira au téléphone avec votre meilleure amie instit’ qui vous aidera à résoudre cet imbroglio. Votre enfant en pleurs. Vous, en stress total. Le lendemain vous rendrez leurs copies à vos élèves en leur disant que ce n’était pas noté. Avant de reprendre votre séquence depuis le début.

 

Qui n’a jamais eu son Maître Vergès en classe ? Celui qui va vous expliquer que le devoir non rendu de Bastien, c’est pas sa faute, c’est qu’il a plein de problèmes, que si Tom vous a manqué de respect avec son célèbre « hé vas-y, me rends pas fou », ça n’enlève pas toute la sympathie qu’il a pour vous et qu’une heure de retenue risque de briser votre pacte de confiance. L’avocat des pires. Le commis d’office des malfrats des cours d’école. Celui, avouons-le, à qui vous avez bien envie de claquer le beignet, mais qui se tient toujours à carreaux. Mais attention mon gars, comme dans tout prétoire, la chance peut tourner au détour d’un chemin, ou d’une évaluation…

 

Parfait exemple de la notion de la relativité d’Einstein vue par l’enseignant. Ou tout l’art de comprimer et d’élargir l’espace-temps en fonction du contrat pédagogique. Les élèves vont passer le baccalauréat et semblent amorphes et relâchés face aux épreuves ? Nous sommes pourtant en février ? Et ben les gars, le bac c’est demain. Ouais. Ça va arriver vite vous savez. Les vacances. Les stages. Les fériés. Et hop, on est en juin. Vous venez de franchir quatre mois en un instant. Bougez-vous bande d’amibes.

Au contraire, quand vous êtes face à une classe en stress pré-traumatique pour le même bac (oui ça n’arrive pas QUE dans vos rêves, vous pouvez parfois être verni), vous parviendrez à créer des semaines imaginaires, des mois à 38 jours, des années bissextiles afin de les rassurer. TOUT VA BIEN SE PASSER. Nous avons le temps.

 

Non, monsieur Lapraz ne manque pas d’imagination. Il vous demande juste, POUR UNE FOIS, de bosser un peu et de lui proposer, en commentaire, la dixième phrase horrible que vous prononcez. Pour leur plus grand déplaisir.

 

Une chronique de Frédéric Lapraz

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