J’y avais vraiment cru…

Nous voilà de retour pour le dernier épisode des variables pédagogiques, ou comment votre cours peut être réduit à néant par des éléments extérieurs que vous ne contrôlez pas, ou à très petites doses. Donc vous vous souvenez du postulat. Séance préparée avec soin, clé USB en poche…

Météo au beau fixe, ni trop chaud, ni trop froid.

Pas de dispute. De rupture. La parole est fluide et coule telle une rivière.

Tout semble réuni pour une séance réussie. Mais c’était sans compter sur…

LE MATÉRIEL

Bien entendu, quand on pense au matériel, le premier réflexe professoral est d’imaginer notre principal organe reproductif, je parle évidemment de la photocopieuse. Mais de nombreux philosophes de l’éducation ont déjà traité du sujet, et vous savez que votre Serviteur aime sortir des sentiers défraîchis.

Mais il y a désormais d’autres situations où votre matériel peut vous coûter bien plus que votre vie, je parle bien entendu de votre santé mentale.

Surréaliste

Vous arrivez en classe, tout frétillant d’impatience à l’idée de faire découvrir à vos apprenants de première les joies du courant surréaliste. Vous leur donnez leur feuille de séance, préparée donc avec soin, et vous lancez le vidéoprojecteur. Alors certains croient spoiler la chronique en disant : « oui, le vidéoprojecteur ne va pas s’allumer ou l’ordinateur va planter ». Eh bien non ! Vous avez bien sûr vérifié, en bon fonctionnaire de l’État éthique et responsable, que tout fonctionnait la veille. Glissant la clé USB dans l’ouverture, vous vous apprêtez à pénétrer dans le royaume de Dali et de sa célèbre Girafe en feu.

« Alors, nous allons déjà travailler sur les couleurs et la lumière »

« Bah c’est tarpin bleu, m’sieur »

« Oui, effectivement, y a une dominante, mais encore ? »

« Bah non c’est tout bleu, y a rien, Dali il s’est pas foulé non, il avait en gros que deux couleurs dans son atelier, et après moi on vient me faire chenef car j’ai pas mon quatre couleurs ? »

Et là, vous retournant pour comprendre cet échange ubuesque, vous apprendrez à vos dépens qu’il y a pire qu’un vidéo qui ne marche pas, il y a le vidéo en fin de vie, le vidéo qu’on pensait débrancher, mais on s’est dit « Oh, pour du texte, ça passe ! ». Oui, mais non. Déjà, avec du texte, on a l’impression de lire un manuscrit dans une salle engloutie du Titanic ; mais là… là on est au-delà du surréalisme. On est dans l’illisible. Le diaporama prend alors des allures d’échec cuisant. Du Napoléon conquérant de 08 h 06, vous voilà à Waterloose. à 08 h 08.

Sortir de la salle pour en trouver une autre ? Mais quelle riche idée ! La dernière fois que vous avez tenté cette manœuvre délicate, vos collègues des salles adjacentes vous ont regardé d’un mauvais œil. Effectivement, quand vos bambins font des doigts d’honneur en passant sur les coursives, ça peut en tendre quelques-uns. Surtout que le temps de trouver une salle, d’aller chercher les âmes égarées qui regardent les cours d’E.P.S. et de les remettre en posture de travail, c’est rapidement 08 h 57.

Non, la séance va continuer. Coûte que coûte.

Show must go on.

« Eh bien, nouvel exercice, je veux que vous imaginiez les couleurs qu’a pu utiliser le peintre, et, en transversalité avec l’enseignant d’arts appliqués, nous retravaillerons cet aspect-là. »

BIM. Et là votre inspecteur est en larmes. Enfin s’il était là. Car il est parti en dépression.

PPCM (plus petite connerie qui se multiplie)

Car tout peut commencer d’un rien.

« Le battement d’ailes d’un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ? »

Alors le battement d’ailes, je ne pourrais dire.

Mais le stylo de Damien.

Il peut vous flinguer une séance d’un simple cliquetis.

« Monsieur, on m’a piqué mon stylo »

Battement.

« M’sieur j’rigole pas, j’ai plus mon stylo, là, on me l’a garof »

Battement.

Notez la mention ajoutée. Damien ne plaisante pas. Il y a sans doute un rapport affectif, c’est le stylo de son papy, il écrivait avec à sa mamie pendant la Seconde Guerre. Damien est énervé. Quand il est énervé, il s’argotise. Vous demandez comment est la plume ?

« C’est un quatre couleurs Bic mâchonné, sa mère la folle celui qui l’a piqué, qu’il se chope le scorbut aux dents. J’men fous, personne ne travaille tant que j’l’ai pas, j’ai le démon, là. »

Le Papillon. Il est fébrile.

Pour le papy, on repassera. C’est plutôt un objet affectif du quotidien, on est plus chez Perec finalement. Notez que Damien a retenu votre leçon sur les maladies qu’on attrapait sur les caravelles. Un bon réinvestissement syntaxique. En revanche, l’anathème final vous laisse dubitatif. À voir la tête de ses camarades, personne ne comptait travailler à la base. Sentant la tension monter, vous lui demandez de prendre un autre stylo, même un crayon.

« Mais j’en n’ai qu’un, sérieux Msieur vous me chauffez là, déjà qu’on m’a vilipendé mon bien ; et les autres crasseux ils en ont qu’un aussi, vous croyez on est des papeteries ? De toute manière moi je veux MON 4 couleurs, c’est tout, y a pas moyen ! »

Tornade.

Vous avez brusquement envie de lui enfoncer votre double-décimètre dans la gorge. Non mais vous vous posez une question, là, brusquement, puisque ce matin on a clairement décidé de saboter votre séance pour une sordide histoire de vol et recel de Bic.

Le concept de trousse ?!

Est-il obsolète ? Qui a décidé de ringardiser le principe d’avoir plusieurs outils d’écriture en fonction de l’exercice demandé ?

Alors les gars, vous avez 4 paires de pompes, quasiment identiques.

Ah non, pardon, ça c’est l’équipe B de Manchester City. Car le trait, là, il est légèrement en diagonale.

Mais vous avez UN stylo.

Alors allez acheter des stylos à Manchester City si ça vous chante !!! MAIS ME FAITES PLUS CH… !

Tornade professorale

Il est 08 h 50.

En fait, le stylo, il s‘avère qu’il est chez lui. Sa mère l’a appelé, en classe, pour lui dire qu’il l’avait oublié quand il a rempli le Cote et Match sur la table de la cuisine. À côté du Nesquick. Du coup, là, Damien il vous regarde en rigolant niaisement. Se demandant comment il va faire en maths l’heure d’après.

Et vous ?

Vous espérez brusquement qu’il neige.

 

Une chronique de Fréderic Lapraz

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