Non, pas du tout !!!
- Car la réforme a pour but de créer des campus d’excellence ancrés dans les territoires. Mais oui. Vous imaginez déjà la scène. Le soleil dardant ses doux rayons sur la cour de récréation. Il y a Brandon et Dylan qui révisent leur cours d’algèbre, cheveux au vent, sur un banc, les lunettes vissées sur leur visage, lunettes de soleil et de vue bien sûr ; qu’ils gardent en classe pour le style. Ils doivent sans doute discuter ensemble du nouveau projet éco-citoyen qui sauvera la planète, mais pour cela, ils iront débattre à la fin des cours, à 16 h 00, au Pitch Pit, la cafèt’ en face du campus, cafèt’ elle aussi ancrée dans les territoires puisque la nôtre fournit des milk-shakes saveur bouillabaisse. Un campus professionnel comme un autre dans le sud de la France, nous avons juste remplacé le base-ball par la pétanque et les NKOTB par JUL.
- Car la réforme va permettre d’enfin aménager le nombre d’heures de cours, et d’alléger une semaine bien trop remplie pour nos gentils apprenants. Combien de fois n’avez-vous pas assisté à cette scène émouvante où un élève de seconde vous déclare toute sa rancœur vis-à-vis des horaires de bibliothèque ?! Quand ? Quand, que diable peut-il s’y rendre pour faire son exposé sur les suffragettes avec des horaires pareils ? Combien d’élèves sont obligés d’abandonner leurs activités sportives, et surtout culturelles, comme la philatélie ou la taxidermie, au profit de leurs études ? Et ce n’est pas le matin, avec des cours commençant aux aurores, qu’il est possible de prendre un petit-déjeuner nutritif avec des céréales au blé complet… Non vraiment, la nouvelle répartition horaire permettra aux élèves de redécouvrir leur ville, leur environnement, et je les vois déjà se bousculer pour s’inscrire à des activités caritatives, afin de faire le bien autour d’eux.
- Car la réforme va enfin se tourner vers le développement des formations tournées vers les métiers d’avenir. Et là, les chantiers sont colossaux. Nous avons bien entendu au préalable consulté les élèves dans un panel représentatif conséquent ; et les ouvertures sont nombreuses. Tout d’abord il y a le fameux bac pro influenceur pour lequel les lycées pro devront choisir l’option Instagram OU Snapchat. Les enseignements seront basés sur la culture de l’ego, avec une mention photo d’abdos ET fessiers (les deux ne sont pas optionnels) et avec toute une partie géographie axée sur les principaux lieux où prendre des selfies. Ce bac pro devrait s’ouvrir en complément de ceux pour devenir star de télé-réalité ou rappeur. Nous nous pencherons aussi sur un CAP (car plus petite formation sur deux ans) Cote et match ; avec un prérequis en mathématiques assez important.
- Car la réforme, que ce soit en apprentissage, ou en CAP, va enfin s’atteler à un fameux serpent de mer, celui de la durée individualisée, « en fonction du profil et des besoins de l’élève ». A la carte donc, un CAP en 1, 2 ou 3 ans. Et un apprentissage bouclé entre 6 mois et 3 ans. Un exemple ? Vous vous appelez Kevin, Enzo, Killian ? Nous allons faire tout notre nécessaire pour accélérer votre formation diplômante afin que vous puissiez faire bénéficier à votre futur employeur de toute votre motivation, joie de vivre et sens de l’effort. Quant aux contenus pédagogiques, nul besoin de s’en inquiéter. En six mois ou un an vous ferez une seule et même séquence, que vous reprendrez à loisir le nombre de fois nécessaire pour que tout le monde l’assimile : le dys, l’ENAF, l’apprenti DYSENAF, le gars de 52 ans qui reprend ses études et les 27 autres.
- Car la réforme va fournir des enseignements généraux contextualisés et mieux articulés ! Qui n’a jamais entendu : « Monsieur, ça va nous servir à quoi J’accuse de La Fontaine ? Et la focalisation, en lycée pro ? Ça va m’aider à faire mon meuble en menuiserie ? » Il était temps d’écouter le jeune, au lieu de nous préoccuper de notre sacro-sainte CULTURE générale !!! Donc, les programmes sont redynamisés afin d’en faire ressortir la substantifique moelle. Adieu donc les objets d’étude rasoirs, les heures de français en terminale qui ne servent pas à grand-chose. L’orthographe, la syntaxe, la conjugaison, c’est tellement OLD RÉGIME ! Connaître le monde dans lequel on vit ? Mais ça va, y a la télé pour ça ! Baisse donc le nombre d’heures de français, d’histoire-géo, mais aussi de maths, de sciences. Les élèves sont en lycée pro, pas en lycée culture G. Les projets d’ouverture pratiqués au CDI ? De toute façon le CDI devrait être remplacé par une salle dédiée aux rapports avec les entreprises dans le cadre d’appels à projets et trouver ainsi et enfin une vraie utilité.
- Pour finir, cette réforme va enfin créer une symbiose bien trop souvent absente entre enseignement général et professionnel : la co-animation va renaître de ses cendres, et tel le phénix, le PPCP va resurgir sous les traits du CHEF-D’ŒUVRE. Alors co-animer, c’est quoi ? C’est apporter ses connaissances et ses compétences, faire surgir sa matière là où ne l’attend pas l’élève. Nous nous imaginons très clairement comment nous pourrons parler de tout l’historique de l’acier, de la création de l’épée de Lancelot jusqu’au chemin de fer en CAP métallerie. Nous pourrons écrire un calligramme en fils électriques en bac pro électricité ; tout cela sous le regard bienveillant de l’enseignant pro, sans doute ravi de voir arriver un doux rêveur au sein de son atelier, avec ses règles et son idée différente de la discipline. Que de bons moments à partager en toute complicité. Et au bout ? Le chef-d’œuvre. Mais quoi de plus valorisant comme terme ? Le chef-d’œuvre en carrière sanitaire et sociale. Le chef-d’œuvre en CAP Vente produit alimentaire. Nous allons voyager. Nous allons enfin vivre des émotions ensemble, main dans la main avec le jeune. Et au bout des 84 heures passées à rédiger des CV et des lettres de motivation… la lumière. Le bout du tunnel. La reconnaissance des paires. Des pairs. Des pères.
De toute manière on s’en branle de l’orthographe, monsieur.