Une minute de silence à l’école,
je n’ai pas le souvenir d’en avoir vécu en tant qu’élève… Mais dans la France des années 2010, secouée aux larmes par les attentats et touchée au cœur du pacte républicain, nous avons tous connu ce temps suspendu dans nos salles de classe ou sur les cours de récréation où l’on faisait silence, accompagnant le recueillement après avoir informé les élèves sur les faits et accueilli leur parole en rassurant les plus inquiets. On se dit parfois qu’on aurait pu, ou dû, mieux faire, prolonger la réflexion, aller au cœur du problème. Mais le temps passe, l’émotion s’atténue ou s’efface. Happé par la vie, chacun retrouve un élan où l’on évacue la mort et ce qui fait peur.
Nous savons aussi que cette minute de silence chargée émotionnellement et ce qui la précède ne suffit pas à prévenir les dangers de la radicalisation et à offrir un temps de réflexion sur ce processus mortifère. Associer un travail de fond à l’accompagnement d’urgence que l’institution nous demande paraît essentiel, mais rien ne nous oblige vraiment à traiter ces questions sensibles en classe. Parce que c’est compliqué et long à préparer, parce que les programmes n’en disent pas grand-chose, parce qu’on peut se sentir en difficulté. Pourtant, tout justifie que l’on en parle, en dehors de ces tempêtes humaines et médiatiques qui nous traversent. Un contexte calme, loin des sirènes de l’actu est propice à une réflexion sereine sur ces sujets dont les supports aujourd’hui ne manquent pas.
Enseigner les sujets sensibles, comment faire ?
Génocides, antisémitisme, radicalisation, sexualité, genre… Des sujets sensibles car ils sous-entendent une complexité à enseigner avec l’idée que l’enseignant peut être en difficulté dans sa classe en raison d’un conflit de loyauté, d’une prise de position contraire ou d’une contestation des faits. C’est pourtant essentiel car notre devoir est d’éclairer les élèves sur ce qu’ils entendent et vivent, surtout quand cela peut les mettre en porte-à-faux avec ce que nous leur enseignons. Philippe Martin, professeur d’Histoire moderne, disait lors d’une conférence à Lyon que, plus qu’internet, l’important dans le processus de radicalisation c’est la rencontre avec quelqu’un… dans un sens comme dans un autre. Et l’on sait que le rendez-vous avec l’enseignant peut vraiment compter dans la construction d’un parcours de vie.
Quand on se lance, il est bon d’avoir à l’esprit ces points de vigilance :
- Élaborer un scénario pédagogique pertinent : bien choisir les supports et documents pour mettre à distance en garantissant un juste équilibre entre émotion et compréhension d’un processus.
- Un cours d’histoire/d’EMC, pas de morale : comme le note un article paru sur le site du Mémorial de la Shoah, il faut articuler raison et émotion et ne pas se limiter à un « Plus jamais ça ». Il s’agit bien d’expliquer les faits et de comprendre un processus.
- L’importance du mot juste : « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement« , le cours doit faire appel à des connaissances précises. Ainsi, le vocabulaire doit être juste et maîtrisé.
- Comment se forge le bourreau ? : quand il s’agit de génocides ou d’attentats, il est important de réfléchir aussi à la fabrique du mal, « à l’aptitude ordinaire des hommes à une extraordinaire inhumanité ».
- Anticiper pour savoir réagir quand le contexte l’impose
Art et jeux sérieux, une entrée pour traiter des questions sensibles
Utiliser des œuvres artistiques ou des jeux sérieux est une démarche intéressante car on met à distance l’événement pour articuler émotion et raison dans la séquence. Commencer une séquence par des extraits de Maus d’Art Spiegelman pour comprendre ce qu’a été la Shoah permet de filtrer l’horreur des camps de la mort par le recours aux animaux de la fable mais ancre le sujet dans la réalité par le témoignage de Vladek, le père du dessinateur, rescapé d’Auschwitz.
Dans le mur de ressources ci-dessous, les supports et œuvres rassemblées concernent la radicalisation islamiste (mais le phénomène de radicalisation ne se limite bien entendu pas seulement à ce domaine et ouvrir la perspective vers d’autres radicalités avec les élèves est important).
L’art et les jeux sérieux, des ressources pour prévenir la radicalisation, par lapasserelle
La variété de ces œuvres permet d’imaginer des scénarios pédagogiques très différents. Pour avoir réfléchi sur le traitement de la radicalisation islamique,voici deux propositions dans lesquelles le recours au théâtre, à la BD et au jeu sérieux s’avère d’une grande utilité pédagogique. On trouve facilement des productions récentes, adaptées à plusieurs publics scolaires. Voir le film Le Ciel t’attendra, lire la BD L’Appel ou dernièrement C’est quoi un terroriste ? de Doan Bui sur le procès Merah aident véritablement à la compréhension du phénomène en parlant à la fois à notre tête tout en touchant au cœur.
Aller plus loin :
- Savoir accueillir la parole des élèves après un attentat sur Eduscol
- Pour les séquences, + d’infos sur ce diapo