Les garçons et le foot

L’autre jour, à l’occasion d’un compte-rendu sur l’occupation de la cour de récréation, j’avoue être tombé dans un « abysse de réflexion ». Pour faire dans le rapide, les responsables de l’étude nous ont expliqué que les garçons jouent au foot. Bon, ce n’est pas un scoop. À l’âge où les hormones perturbent l’activité cérébrale, les garçons se prennent de passion pour un ballon et ne le quittent plus. Ils sont mignons, transportant dans leurs bras un gros œuf, se transmettant, parfois, doucement, cette charge lors de la montée des escaliers. Il faut voir, les jours de pluie, comment l’objet est essuyé, pansé, parfois à l’aide d’un blouson. Cela déclenche des disputes, crée du désordre en classe puisqu’il faut ranger l’objet dans un coin, surveiller qu’il ne soit pas pris. Surveiller qu’il ne « roule pas ». Dans certaines classes, il y a deux ballons. Indice d’un dysfonctionnement du groupe classe.

filles-foot

À la vie scolaire, c’est le coup de feu permanent, surtout depuis qu’un AES n’a pas tenu le choc. Burn out. Il faut conserver les ballons, rendre les ballons, intervenir dans les petits litiges au sujet des ballons. L’ouvrier de service, excédé, a jeté son échelle afin de ne plus devoir intervenir dans les arbres et sur les toits. Tout cela pour dire que l’on est assez nombreux à s’être aperçu que les garçons du collège jouaient au ballon.

La mixité dans l’espace

Et l’intervenant de nous faire remarquer que si les garçons jouent au ballon, ils excluent les filles. Elles ne peuvent donc pas jouer au ballon. Or c’est inadmissible au XXIe siècle. J’avoue ne pas avoir bien perçu si le scandale venait de l’exclusion de la partie de foot, ou de l’impossibilité pour les filles de faire une partie de foot. Peut-être même qu’elles voudraient seulement jouer au ballon. Je me suis demandé quel pourcentage de filles aimerait jouer au foot. Est-ce qu’un pourcentage aime le foot ? Est-il plus important d’aimer ou de pouvoir ? Est-ce même primordial dans un collège ?

Et puis l’intervenant a commencé à me faire culpabiliser. Aimer, prendre plaisir, étaient des options hors de propos. Je ne faisais qu’étaler une vision « ancien monde », loin de l’esprit de l’époque. Pire, poser ainsi le problème, c’était cautionner l’échec des filles dans les études scientifiques. Au bout du bout, c’était asseoir la différenciation salariale au détriment des filles alors qu’elles font de meilleures études. Bigre.

Nous devons donc réagir et aménager la cour de récréation afin qu’elle soit ouverte à toutes. Il faut mettre plus d’espaces de repos, plus de bancs. Mais pas le long des terrains. Car les filles s’installent sur les bancs pour regarder jouer les garçons et cela obère leur potentiel social. Elles sont en effet spectatrices d’une activité déterminée par le sexe. Ce positionnement passif les empêchera de devenir cadre dans une entreprise. Il faut que les terrains d’activités de la cour ne soient pas pré-assignés à un sport. Donc, exit les cages, bienvenue au modulaire. En cas de besoin, on vient chercher une cage que l’on installe. Alors là, je souscris à la modernité. Plus besoin de mettre deux cartables pour symboliser les poteaux, et en plus, cela permettra aux filles de faire une partie de foot.

D’autres solutions

Ne faudrait-il pas cheminer autrement ? Déjà, interdire le foot serait un bon point de départ. En effet, quelle autre activité prône autant l’individualisme, le culte du héros (le n°10 et les autres) et le refus des règles, la suspicion généralisée de l’arbitre ? Faire société, c’est justement faire le contraire de ce qui se passe sur un terrain de foot.

Ensuite, il faudrait que les collectivités en charge des collèges cessent leurs hypocrisies. Prétendre construire le collège de l’avenir en envisageant uniquement la construction de salles de classe, de salles de permanence et d’une salle de sport, c’est un peu court ! C’est les mêmes qui aménagent un terrain de foot : c’est populaire et cela coûte moins cher qu’un espace de spectacle.

Réfléchir sur la mixité dans l’espace, c’est également prévoir des espaces ouverts à l’échange, à la négociation. Ce sont des espaces de rencontre, ce sont aussi des espaces d’expression et de création. C’est étonnant de constater que si on pose une sono avec une musique adéquate, on voit spontanément s’organiser un flash mob !

L’égalité fille/garçon est un véritable enjeu. Peut-être le plus important. Au lieu de parler uniquement sous l’angle de l’égalité (non pas, les mêmes droits, c’est trop XXe, mais les mêmes pouvoirs), ne faudrait-il pas envisager une perspective plus vaste ? Les gender studies sont un outil qui permet un diagnostic. Et après ? Qui est responsable de ces normes qui attribuent aux uns et aux autres des conduites, des distinctions et des hiérarchies ? Moi, en tant que parent, mon épouse en tant que fille et que mère. Et puis, dans la sphère publique, l’école. Et la collectivité locale qui décide des aménagements. Lequel de ces acteurs a été formé, a été sensibilisé ? Aucun.

 

Une chronique de Philippe Crémieu-Alcan

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