Obtenir le silence en classe…

Vous souvenez-vous de ce plaisir éprouvé de pouvoir crier « vos gueules, les mouettes ! » sans être taxé de vulgarité ou simplement d’être grossier ? Non ? Alors vous êtes un petit scarabée, un jeune padawan né de la dernière averse.

Il fut un temps où cette expression culturelle permettait d’obtenir le silence sans déroger. Aujourd’hui, c’est certain, l’expression appartient au registre soutenu. Aujourd’hui, il n’y a plus d’entre-deux et la vulgarité est de mise. À tel point qu’à les écouter, même le corps des filles s’est métamorphosé.

… un challenge

Enfin, ce n’est pas une chronique sur le changement d’époque et la jeune génération. Quoique, aujourd’hui obtenir le silence dans une classe exige une énergie énorme. Et surtout soutenue. Au prétexte qu’un élève écrit, il s’arroge le droit de bavarder. La moindre remarque et la réplique fuse : « mais je travaille ». Autrement dit, j’ai tous les droits puisque j’applique la consigne. Parce que le silence est désormais un accident. Une perte de temps. Pire, une anomie.

En fait, le silence, c’est comme le crayon de bois. C’est la plume Sergent Major du XXIe siècle. Pourquoi prendre un crayon de papier puisqu’on a un crayon effaçable ? Dans le même ordre d’idée, le brouillon est une perte de temps.

Ces dernières années, après la découverte des pratiques pédagogiques anglo-saxonnes, j’avais fait mienne « ne jamais parler plus de trois minutes » à un groupe d’élèves. Aujourd’hui, c’est un sacré challenge ! Certaines classes vous laissent enchaîner 4 phrases de présentation d’une problématique avant de vous couper d’un « quand est-ce qu’on travaille ? » D’autres bavardent gentiment en attendant que vous ayez fini.

Le bavardage

Donc, on met au travail. On peaufine des questions pour enclencher un raisonnement. « On est obligé de faire les questions dans l’ordre ? » Une chose est certaine. Le bavardage possède une fonction « autostart ». Je bavarde parce que l’autre bavarde. Dès lors, c’est le traquenard. Pourquoi me punissez-vous ? Je ne suis pas le seul à bavarder. C’est injuste. Et là, en pointillé, se profile le rendez-vous parental. Injustice, tête de turc et j’en passe.

Si vous décidez de passer outre, d’envisager avec bonhomie la situation – sur le mode : allez ! La moitié de la classe travaille bien ; alors vous arrivez au stade 2, déjà évoqué dans une autre chronique. Car la nature du bavardage, son essence même, a changé. Lorsque vous étiez élève, vous bavardiez sotto voce, la peur au ventre. Il s’agissait d’aller à l’essentiel, de délivrer un message qui ne pouvait pas attendre. Aujourd’hui, un élève qui bavarde ne transgresse, de son point de vue, aucune règle. Il travaille, vous dis-je. Donc, il va vous impliquer. Vous devenez l’arbitre et vous devez répondre à toutes les coquecigrues. Votre refus devient une offense. Pire, vous n’aimez pas les questions des élèves, vous brimez la curiosité. Avec sa variante : « vous dites qu’on n’est pas curieux et vous refusez de nous éclairer alors que nous avons une question ».

Des adolescents en constante interaction

D’aucuns vont penser que c’est l’ennui qui pousse aux bavardages et que si l’enseignant variait ses pratiques, il ne serait pas la victime du bruit. Mais cette grille de lecture ne fonctionne plus. L’adolescent n’est confronté à lui-même qu’en classe. Ailleurs, dans la « vraie vie », il est toujours en interaction. Par exemple, l’autre jour, j’ai accompagné des élèves à la fête des collégiens organisée par le conseil départemental. Au moindre temps mort fleurissaient les téléphones : bavardage et clavardage. Et dès que le spectacle reprenait, rangement automatique des téléphones – il faut dire que les élèves étaient intéressés par ce qui se passait sur la scène.

Alors que faire ? Au risque de vous décevoir, pas grand chose. Nous sommes dans une société du bruit permanent et « horizontal ». Notre bruit n’a pas plus de valeur que celui des autres. Et même, si nous sommes classés parmi les « sachants », disons qu’il a encore moins de valeur puisqu’on subodore que l’on veut imposer un point de vue à un groupe de dominés. Je vous choque ? Parlez plus fort !

 

Une chronique de Philippe Crémieu-Alcan

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