On a qui là, l’autre fatigué ?

Un moment de vie, un questionnement récurrent chez nos élèves dont il est courant de constater qu’à l’arrivée dans leur scolarité, nos noms, souvent trop complexes à retenir, se transforment par une habile translation en matières nous représentant.

Je me suis donc, et depuis peu, fait une raison, je resterai à vie Monsieur Français, Monsieur Histoire Gé, Monsieur qui fait trop de photocopies, Monsieur chauve ou Monsieur avec les tatoos. Fatalité.

Mais le propos de la chronique est ailleurs, puisque si à l’oral, l’autre fatigué recouvre les deux genres. À l’écrit c’est tout autre. Pas ici de diatribe sur l’accord de l’adjectif, mais plutôt sur cette question universelle dans l’enseignement :

Faut-il être un prof homme, ou femme pour réussir ?

Entendu en classe

Et une fois la question posée, un peu provocatrice n’est-ce pas, il convient d’y répondre. Sachant qu’on peut y répondre de toutes les façons possibles, toutes aussi vraies et fausses les unes que les autres. Tachons donc d’y voir un peu plus clair en énonçant quelques marronniers pédagogiques, qu’on a tous entendus au moins une fois dans notre vie….

Surtout dans son jean slim taille basse malheur le sang ça me donne tarpin envie de faire sa rédac même si le sujet il est trop mort.

Mais la séduction passe-t-elle uniquement par le physique ou un regard à couper le souffle ? Non, rassurez-vous profs séniors-proches-de-la-fin qui me lisez (j’espère que la police de caractère est assez grosse). Car séduire l’élève, c’est aussi tout simplement l’amener par notre pédagogie et, disons-le, notre charisme, vers notre univers, vers nos connaissances, c’est lui donner envie de nous écouter et ainsi de bosser. Donc là, que vous soyez homme ou femme, beau ou cheum, peu importe. Vous serez un bon prof si vous captez leur attention (mais le jean, disons-le, ça marche aussi très bien).

La vaste blague. Alors bien évidemment, je suis dans un lycée industriel. Je suis donc déjà passé en atelier pour donner un devoir à mes élèves. Passant la porte, je fus surpris du silence de mort qui y régnait. Je crus d’abord à une évaluation, mais voyant mes apprenants debout à leur poste de travail, sans bouger, je crus ensuite à une alerte du type PPMS avec pour mention spéciale « le terroriste, non voyant, se repère aux bruits et aux mouvements ». Raté. Non, il s’avère que monsieur Lemarteau, charmant au demeurant en salle des profs, portait bien son nom. Ses mains, plus proches de battoirs à linge que de simples extrémités corporelles, tapotaient sur son bureau. Le bruit sourd inspirait le respect. Et quand Monsieur Lemarteau demandait le silence, il l’obtenait. Sans même élever la voix. Moi avec cette classe, j’étais sous Codotussyl toute l’année.

Mais là encore, l’autorité n’a pas de genre. Car on a tous rencontré dans nos établissements des professeures qui imposent le respect. La terreur même parfois. Sans forcément utiliser ni leur physique, ni leur voix, ni quoi que ce soit de coupant ou de brûlant.

Déconstruire les archétypes

Ainsi, répondre à cette question sans véhiculer les mêmes clichés sexistes ou machistes que nous subissons chaque année est un exercice périlleux. Et c’est sans doute cela aussi qui est intéressant dans nos pratiques puisqu’elles permettent de déconstruire les archétypes sexués que les professeurs aussi charrient sur leurs épaules.

Deux situations. Malheureusement tout à la fois drôles, tragiques et réelles.

La première, où l’enseignante arrivera en classe avec une séquence des plus intéressantes. Avec du débat, de l’interaction, du binôme, du cours inversé et j’en passe. Mais elle lèvera le bras à un instant T.

« Haaaaa mais t’as vu, c’est l’Amazonie là-dessous, mais c’est quoi cette jachère ? Mais c’est une meuf, comment elle peut nous faire ça ? » Je pourrais poursuivre bien plus encore. Mais vous l’aurez compris, bien souvent l’année de l’enseignante se finit là. Sur ça.

La deuxième, lorsque durant l’un des débats de fond que je mène avec mes jeunes de 16 h 57 à 17 h 00, je me retrouve à leur expliquer que je n’aime pas le football, ni le sport en général et que je sais faire par contre le ménage et la cuisine avec un plaisir profond.

« M’sieur, en fait, vous êtes en train de nous dire z’êtes homo »

Silence. Soupir.

Bienvenue au Moyen Âge. Ce qui me permet direct et à dessein d’enchaîner sur l’homosexualité et ses clichés, toujours aussi tenaces malheureusement au 21e siècle.

Alors prof homme ou prof femme ? ON S’EN FOUT.

Il y aura toujours des situations où votre genre créera des moments de gêne ou de solitude exacerbée. Ces instants où vous regarderez au sol quand cette jeune fille de terminale vous demandera de sortir urgemment et qu’au départ vous lui assènerez un «  TU ATTENDS LA PAUSE COMME TOUT LE MONDE » (oui mais non car vous le regretteriez amèrement).

Des moments où la prof de PSE se trouve face à de jeunes enfultes (croisement entre enfant et adulte), dont la poussée de croissance et le bousculement des hormones amènent des questions précises, très précises, sur la sexualité. Il faudra y répondre. Avec plus ou moins de gêne, en général de la part des élèves qui ne sont pas habitués à ce qu’on parle de sexe aussi précisément et avec un vocabulaire si « saugrenu » (comprendre «  ah c’est quoi utérus c’est la teuch comme la darone à Lucas ») .

Donc des moments où votre genre pourra créer une réaction différente. Voire différée (ex : ça tu demanderas plus tard à ta prof de PSE, on parle pas d’utérus là mais de politique russe) à celle que vous auriez en temps normal. Mais ces instants sont fugaces, et la majeure partie du temps, même s’il est évident que le genre de l’enseignant permet parfois une sensibilité, un rapport particulier avec tel ou tel jeune, peu importe qu’il soit du même genre ou non. Je parlerais plus généralement d’une rencontre. Qui se produit, ou ne se produit pas, entre eux et nous. Et qui dépend pour cela d’un millier au bas mot de variables.

Fameuses variables pédagogiques !

 

Difficile donc de donner des conseils, puisque c’est davantage le caractère de l’enseignant qui prime sur son genre, et qui vous permettra une approche soit tout à fait identique, soit tout à fait différente de votre collègue homme ou femme.

Je vous laisse, j’ai un veau marengo à faire mijoter. Avant de prendre mon Codotussyl.

 

Une chronique de Frédéric Lapraz

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