Mes commandements

Il y a vous. Et les autres.

Vous êtes prof de français, de lettres, d’EMC ou d’histoire géo. Par chance je suis les quatre. Donc j’ai des avantages. Et vous sentez bien que vos collègues profs de maths ou de SVT/PSE tirent la gueule quand vous passez dans les couloirs et qu’une meute de bambins vous suit, l’air émerveillée et en silence.

Vous êtes monsieur Z et vous allez leur passer un film.

Pourquoi ?

Mais car vous le pouvez, tout simplement. Faudrait-il vous en priver alors que vous êtes de plain-pied dans la variation des supports pédagogiques ? Mais jamais ! Et peu importe si après monsieur Dyean devra subir trente énergumènes tout droit sortis du Ciné-lycée, énergumènes qu’il accueillera avec des fractales. Beaucoup moins glamour que Charlize Theron ou Ryan Gosling. D’ailleurs, même pas sûr qu’ils sachent ce que sont des fractales. Dyean il est dans la demer.

Alors passer un film oui, mais pas n’importe quoi et n’importe comment. J’avais déjà, il y a quelques années, traité du sujet dans une chronique sobrement intitulée « Le dossier de l’écran ». En la relisant, j’ai pu constater ô combien je m’étais amélioré dans la pratique de l’expérience cinématographique et que je savais désormais slalomer entre les écueils, tel le marin aguerri à la longue barbe blanche (excusez-moi je suis déjà dans un film aquatique).

Donc s’il est bien quelque chose d’essentiel que vous devriez retenir, ce sont ces commandements séculaires.

Ne jamais leur laisser le choix. Sinon chez le directeur tu finiras.

Les choses sont donc établies. Et figées. Aucune espèce de démocratie dans le domaine cinématographique, même si vos bambins savent vendre un long métrage comme personne.

«  M’sieur, je l’ai vu, j’ai eu mal au cœur pendant six jours. C’est dégueulasse, c’est horrible, c’est trop bon. »

« C’est sur le sujet que vous avez parlé des femmes et tout. Là elle est seule et elle les fracasse tous, je crois même elle en mange un des gars tellement il l’a vener ; c’est un film féministe. »

«  C’est un vieux film, il est sorti en 2015 je crois, ça raconte l’histoire de l’indépendance américaine avec les guerres et tout. Et les soldats ils se battent aussi contre des vampires et des zombies, c’est tiré d’une histoire vraie »

«  M’sieur Le Loup de Wall Street ça passe ? Madame Michu la prof de gestion elle nous parle de longue de la bourse en plus ! » (mais pourtant elle n’a jamais fait sa rentrée elle est toujours en arrêt…)

De parfaits commerciaux je vous dis.

Ton film tel un acteur studio tu défendras.

À défaut donc d’un quelconque choix, vous allez pouvoir distiller en eux l’envie, le désir de proposer ce qui est votre choix depuis le début. Actors studio. Moteur. Action.

« Oui j’ai bien pensé à vous passer un film, mais voilà, je ne sais pas si vous êtes prêts à le voir. C’est très particulier, très subtil, je ne sais pas si vous êtes capables d’en saisir toute la substance… en plus il y a des scènes un peu chocs… »

Inutile de finir votre phrase, la classe entière hurle déjà son approbation quant à votre pertinente sélection. Alors bien sûr après il va falloir expliquer en quoi le cinéma de Ken Loach peut comporter des scènes chocs. Il va sans dire que le personnage principal qui écrase son pudding du poing le matin au réveil a été pour vous une source de traumatisme.

Deuxième fait évoqué dans ma chronique précédente : les portables. Oui, ils regardent bien un film.

Mais pas le vôtre.

Tout en vous disant bien entendu qu’ils suivent AUSSI votre film. Vous avez déjà imaginé le cinéma de Kubrick qui rencontrerait Oggy et les cafards ?

2001 l’odyssée d’Oggy ou Full Metal Jack and Furious.

Oui, vos terminales en sont là. Toujours là.

Pour contrer ce phénomène, il existe un moyen simple et efficace.

Un quiz à préparer tu penseras.

Le quiz.

Derrière ce simple mot se cache la méthode pour les tenir en haleine tout le long métrage. Tout comme le premier point, il faut au préalable préparer le terrain en indiquant aux élèves quel type de questions vous poserez à la fin de la séance :

Vous obtiendrez un silence pesant et des visages angoissés, mais des visages angoissés qui se fixeront sur votre écran, et pas le leur.

Je terminerai ces commandements par celui-ci :

Par un débat tu finiras.

Car il paraît inévitable qu’une classe dans son ensemble n’adhérera jamais entièrement à un film. Le tout est de savoir discuter avec eux de ce qu’ils n’ont pas aimé et de les inciter à débattre. C’est pourquoi il me plaît de mettre en place des films assez controversés pour les pousser dans leurs retranchements ; les déranger dans leurs habitudes, les bousculer.

«  Pourquoi choisir de mettre en parenthèses sa vie professionnelle pour atteindre un idéal ? » (impec’ pour les absentéistes récurrents)

«  Peut-on tout faire par amour, y compris s’adonner au cannibalisme ? (impec’ pour les végans)

Alors bien sûr on évitera de passer La Passion du Christ de Gibson à des classes de sixième. Cette année j’ai donc décidé de passer Midsommar, un film sorti cet été et qui a quelque peu défrayé la chronique. Il y a notamment quelques scènes chocs. Avec les classes de BTS, donc mes grands, nous avons pu l’analyser et voir comment il était constitué et quels étaient les mécanismes employés.

Ce qui a donné lieu à cette punchline qui me fera sans doute mon année :

« Monsieur, si vous aimez ce genre de film, on comprend mieux pourquoi vous êtes comme ça ! »

À ce stade je n’ai pas encore su comment je devais prendre cette phrase.

Mais j’ai vu dans un article qu’une séance de cinéma avec des lycéens avait été interrompue. La cause : des malaises suite à la projection du film surréaliste Un chien andalou.

Pompiers, ventilation, tout ça tout ça. Mais RIEN de bien méchant ne vous inquiétez pas.

Un autre enseignant appliquerait donc certains de mes principes, je vois que je fais déjà des émules…

Pour le coup, je connais des élèves qui préfèreront faire des fractales la prochaine fois.

 

Une chronique de Frédéric Lapraz

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