Le premier lundi

La vague nous est tombée dessus. Il faut reconnaître que nous n’étions pas prêts (en tout cas, moi, je n’étais pas au point). Déjà que l’on a mal dormi, le réveil est rude. Très rapidement, il faut répondre à l’angoisse légitime des élèves qui ne savent pas comment faire. Mais en même temps, il faut suivre le fil mis en place par l’administration. Puis vient, ô bonheur, le fil d’aide du collègue, ex-référent informatique, qui sent notre désarroi profond et propose des « tutos » pour maîtriser la bête, Pronote. Les inspecteurs d’histoire-géographie sont aussi très réactifs avec leur liste de diffusion avec beaucoup de bons liens. Sauf que les collègues font systématiquement un « répondre à tous ». Au secours ! Et puis le téléphone pour être plus réactif avec le collège. La liste de suivi des classes. La continuité pédagogique me noie.

Des centaines de messages plus tard

Vers le mercredi, on prend conscience de quelques faits. Pronote est un super outil (on en a rarement douté !), mais à l’ergonomie parfois contrariée. Puis, au milieu d’encouragements de certains parents, on s’aperçoit que les reproches que d’autres parents nous font proviennent de leur propre compte Pronote. Il est temps d’allumer un cierge à Herbert Marshall McLuhan, et d’expliquer que c’est normal, que si on écrit aux élèves, les parents ne reçoivent pas les messages. Et que donc, si les élèves utilisent les codes Pronote des parents, ils ne reçoivent pas les messages. Et que non, je ne dispose pas des codes de votre enfant, il faut voir avec le collège.

Pour faciliter le lien avec les élèves et leurs parents, j’avais rappelé mon adresse de courriel. Enfer ! Une partie de la communauté éducative résout son angoisse en m’envoyant un fichier, puis un second fichier corrigé et amélioré « qui annule le précédent envoi », puis un fichier par Pronote et enfin un message pour me demander si j’ai reçu le fichier. Un message pour s’excuser et me dire qu’il ne faut
tenir compte que du second message. Puis un message pour me demander si j’ai reçu le second fichier. Est-ce que je peux répondre ? Pourquoi je ne réponds pas ? Un message d’un parent me demandant d’accuser réception. Un message du prof principal qui me transfère un message d’un parent qui s’étonne de ne pas recevoir de réponse au message demandant d’accuser réception du message expliquant que le fichier envoyé n’était pas le bon.

Ouf ! C’est le weekend !

Un petit temps de pause. Savourer le silence de la ville. Trouver exceptionnels ses élèves qui, sans ordinateur, sans tablette, utilisent leur téléphone pour faire les exercices. Trouver fantastiques ses élèves qui font les exercices et trouvent le temps de laisser un gentil message. Adorer quelques parents qui nous ont envoyé un feedback et un message d’encouragements. Écouter sa lycéenne de fille qui explique que, c’est génial ! Les profs ont créé un groupe WhatsApp. Et puis, hier, on a eu un Zoom ! Un quoi ? Une classe virtuelle avec Zoom ? Trouver que la classe manque. Regretter de ne plus avoir de craie.

Finalement, prendre contact avec la chambre d’agriculture pour aller soutenir les fraisiculteurs en manque de main d’œuvre. Pas de fraise dans la région. Les asperges peut-être ? Écouter le message du ministre qui nous redit que nous sommes géniaux, que sans nous la patrie s’effondre. Que l’on peut légitimement être fier du travail accompli, Que les professeurs de France font « un travail  extraordinaire, ne comptant ni leur temps ni leur énergie ». Merci Monsieur le Ministre, mais il faut en garder pour le personnel soignant – ce sont eux les vrais héros du quotidien. Déprimer car machin a utilisé la classe virtuelle du CNED, c’est génial tu devrais essayer ! Et machine qui nous envoie un gentil « tuto » sur la réalisation de quiz. Et on peut même utiliser Pronote ! Est-ce que j’en fais assez ? Ne suis-je pas trop old school ?

Non, maintenant, tout roule. Beaucoup moins de messages. Un lien renforcé et individualisé avec les élèves. Des conseils personnels. Des encouragements exclusifs à chacun de mes 150 élèves. La lecture des exercices qui montre un réel engagement des élèves, et même de l’affreux Jojo qui jusqu’à présent nous faisait l’aumône d’ouvrir son cahier. C’est pas mal la classe virtuelle finalement !

Une chronique de Philippe Crémieu-Alcan

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