Réfléchir à l’après

Après cinquante jours de confinement et de continuité pédagogique, une chose est certaine, n’en déplaise au ministre, nous n’étions pas prêts. Et nos élèves pas plus. Mais on s’est inventé un nouveau métier en 24 heures, encouragés par certains qui pensaient que l’on serait plus utiles au pays en ramassant des fraises. Et nos élèves étaient là également (ils ont été formidables). Maintenant, il s’agit d’essayer de réfléchir à l’après. Je ne veux pas dire, tirer des enseignements, je fais trop confiance à la technostructure pour cela. Je suis heureux de retrouver mes sixièmes, cinquièmes et mes grands quatrièmes me manquent.

S’habituer à l’usage du numérique toute l’année

En septembre, je vais essayer de proposer des activités plus réfléchies pour préparer mes élèves autant à l’usage du numérique qu’à l’apprentissage des éléments du programme. J’en ai trop vu, trop « galèré » sur des problèmes numériques pourtant simples et basiques. Mais mettre en place un projet numérique au sein d’une classe est très souvent synonyme de gros soucis et pas simplement matériel ! En effet, vouloir faire réaliser un objet numérique par les élèves impose de le diviser et de trouver au moins quinze sous-sujets équivalents. En bon pédagogue, on vise ce que l’on pense être le niveau moyen de compétences numériques et scolaires. Ainsi, les élèves, par groupe de deux, réalisent un poster, un diaporama, un carnet de bord. La moitié trouve la réalisation bien complexe, tandis que les autres s’ennuient. Trouver une quinzaine de sujets d’une difficulté voisine est un autre écueil. Doit-on alors constituer des groupes hétérogènes et leur attribuer un sujet en fonction d’une capacité et de compétences que l’on subodore ? N’y a-t-il pas une certaine injustice à pratiquer ainsi – quoiqu’il s’agisse réellement de travail différencié ? En effet, le travail avec des outils numériques n’est pas simplement un changement d’outils (troquer le crayon pour la souris), mais un changement de logiciel (comme on dit dans les cercles branchés et les rédactions à la page).

La solution du transmédia

Le transmédia est une réponse possible à ces soucis organisationnels, à la complexité de l’outil numérique. Mais, qu’est-ce que le transmédia ? Le terme de transmédialité est issu du concept de « transmédia storytelling » développé par Henry Jenkins, dès 2003, dans son ouvrage Convergence Culture: Where Old and New Media Collide. Il s’agit d’un processus de déploiement d’œuvres de fiction reposant sur l’utilisation combinée de plusieurs médias et permettant une expérience immersive. Un objet transmédia est donc un objet qui se déploie sur plusieurs plateformes. Il ne faut pas le confondre avec un objet cross-média, si cher aux fan-fictions, un objet qui commence sur un média et se continue sur un autre. Par exemple, un film dont l’histoire se continue en livres, puis en sons… Actuellement, la série Skam France offre le meilleur exemple de projet cross-média. Chaque épisode dure 20 minutes, mais on le découvre par bribes pendant la semaine. En effet, des séquences de quelques minutes sont publiées sur Internet, le même jour et à la même heure que dans la fiction. En parallèle, le récit se poursuit sur les réseaux sociaux à travers les comptes Instagram des personnages. L’objet transmédia est donc constitué d’éléments indépendants se déployant sur diverses plateformes. C’est la mise en lien de ces différents documents qui constitue l’objet transmédia. L’indépendance de chacun des composants permet donc une mise en œuvre adaptée à une classe. En fonction des goûts et des compétences des élèves, on proposera la réalisation de textes, de sons ou de vidéos, la conception de diaporamas, voire l’annotation d’images. Les différents supports ainsi que les différents niveaux de maîtrise numérique permettent une réelle souplesse pédagogique. Mais je sens l’affolement poindre : « je ne suis pas un expert en informatique ». Détrompe-toi, cher collègue, tu en sais bien assez !

Comment ça marche ?

Le premier travail consiste à réfléchir au scénario. Quel sujet retenir ? Quels éléments constitutifs de ce sujet ? En histoire-géographie, la révolution française, l’ère industriel ou le tourisme sont des sujets permettant une grande variété d’angles de traitement. De même, en histoire des arts, le changement de point de vue et d’échelle apporte cette variété nécessaire au projet transmédia. En français, pareillement, l’étude d’un courant littéraire, d’une œuvre ou d’un sujet apporte cette diversité. N’y a-t-il pas de nombreuses entrées pour traiter de la poésie ou du fantastique ? Ensuite, il convient de choisir les outils que l’on va utiliser. Là encore, notre environnement peut suppléer l’équipement spartiate offert par l’Éducation nationale et les collectivités locales. Avec le PAP[1], vous avez un vrai trésor caché ! Un Smartphone fournit l’appareil photo, la caméra et le logiciel de montage. De même, il peut servir d’enregistreur numérique. Pour les posters, on trouvera en ligne Glogster. S’il s’agit d’annoter une image, Libre Office permet facilement de l’enrichir de flèches, de formes et de textes. Nous ne parlerons pas ici d’Audacity, véritable couteau suisse du son. En fait, la véritable difficulté réside dans la mise en place de l’environnement de travail. En effet, il faut créer un écosystème qui va accueillir votre œuvre transmédia. Thinglink ou Pearltrees conviennent parfaitement pour former le cœur de votre projet. Il faut ensuite accueillir les différents éléments sur des plateformes dédiées. YouTube pour les vidéos et les diaporamas, Souncloud pour le son, un blog pour les textes et les images. Il faut donc, avant toute chose, vous munir d’une adresse de courriel et d’un mot de passe. Mais après, quel bonheur ! La créativité des élèves fait merveille. On propose aux plus fragiles un poster, les amoureux de l’écrit se lancent dans la note de blog. Il y a certainement un apprenti youtubeur parmi vos élèves. Obligez-le à faire des plans fixes et à rédiger une voix-off et faites-lui confiance pour le reste ! En ce qui me concerne, j’étais très inquiet au départ du projet-test et j’ai ajouté l’expérience transmédia comme la cerise sur le gâteau d’anniversaire. Je suis très fier du travail effectué par mes élèves. Mais, je vous en laisse juges : voici le lien de mon premier essai, ici. En septembre, je proposerai un projet transmédia en suivant deux angles. Le premier sera la mise en œuvre du programme, bien entendu, et le second sera la maîtrise des outils numériques de base (envoyer un courriel, fabriquer un document et l’enregistrer dans un format donné, collaborer pour produire un objet numérique).

Pour aller plus loin

On peut lire l’ouvrage de Henry Jenkins, La Culture de la convergence. Des médias au transmédia, Paris, A. Colin/Ina Éd., 2013, 336 pages. Un article scientifique de Antoine Bonvoisin sur Canopé Un exemple de réalisation transmédia : Aliénor se marie La série Skam (cross-média) est disponible ici   [1]BYOD, abréviation de l’anglais « bring your own device », en français, PAP pour « prenez vos appareils personnels ».  

Une chronique de Philippe Crémieu-Alcan

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