Un marronnier

Tradition jamais remise en cause, l’élection des délégués de classe est un rite qui accompagne chaque rentrée. Elle est présentée comme une éducation à l’exercice démocratique, mais ne cache-t-elle pas plutôt un système scolaire finalement très vertical et arbitraire ?

Le jour de l’élection

La tension n’est pas vraiment palpable. Comme tous les ans pour ce professeur principal, c’est le moment d’organiser l’élection des délégués de classe. Un passage obligé. C’est un peu comme cela que l’histoire est présentée à la classe. Rapidement, plusieurs élèves se proposent pour assurer cette tâche : Kenza, Pierre, Jonathan, Maéva… Leur candidature n’étonne personne, ils parlent 30 secondes chacun à la classe et dévoilent leur programme : disponibilité, communication, écoute. Dans une apathie assez générale, le scrutin peut commencer. Chaque élève écrit un prénom sur un morceau de feuille à petit carreaux, sur un « poly » de maths ou un bout d’une évaluation de SVT. Le professeur passe dans les rangs, en invitant chaque élève à déposer dans une pochette en plastique légèrement froissée le bulletin, plié en 2, en 4, en 8. Le vote à bulletin secret est pris très au sérieux. Le tour de la classe effectué, une main innocente est conviée à venir dépouiller les bulletins pour un premier tour de scrutin. Léa et Mathis se sont portés candidats pour comptabiliser les voix au tableaux, armés d’un stylo Velleda. Les premières rumeurs semblent annoncer une tendance, confirmée par les premiers bulletins. Rapidement, deux noms se détachent et au bout d’un seul tour de scrutin, la seconde B a ses nouveaux représentants. Pierre et Kenza sont invités à venir se (re)présenter à la classe, sous quelques applaudissements protocolaires. Pendant toute l’année, Pierre et Kenza vont représenter leur classe, soutenir les élèves qui seront convoqués en conseil de discipline et assister au conseil de classe. Affaire classée. Le cours peut reprendre.

Une démocratie Potemkine

C’est la banalité qui se dégage de ce scrutin qui interroge. Tout a pourtant été bien fait, mais les élections de délégués ressemblent souvent à des plébiscites, où les élèves qui l’emportent sont ceux qui occupent une position qui est déjà plutôt dominante : populaire, bon élève, à l’aise à l’oral. L’élève idéal, suffisamment extraverti pour assumer sa position dans des instances peuplées d’adultes, mais assez servile pour ne pas broncher. Tout représentant en démocratie doit s’efforcer de canaliser la communauté qu’il veut représenter. De là naît un discours consensuel, mais qui doit s’accorder avec les convictions du représentant. Rarement les délégués de classe évoquent leur vision, leurs convictions, voire même un programme. L’absence d’idées ou de différences fondamentales entre les candidats réoriente les critères de sélection vers du secondaire voire du superflu. Enfin, pour qu’un système démocratique fonctionne, il doit être équilibré, avec son lot de contre-pouvoirs pour que les décisions prises ne relèvent pas d’un arbitraire mais d’un consensus. Cet exercice avait pourtant tout de démocratique : un vote, des candidats, une élection, un dépouillement, mais tout était creux. Jamais il n’y a de pluralité, jamais de débats d’idées, jamais un délégué ne se pose en contre-pouvoir. Est-ce possible d’éduquer à la démocratie quand le rapport de chacun à l’exercice du vote est rendu aussi automatique et dénué d’enjeux ?

Que faire ?

Les élections de délégués sont organisées selon des règles inscrites dans le code de l’éducation. Il serait donc illusoire de vouloir en imposer de nouvelles, pourtant ces règles ne sont pas d’une grande cohérence avec les principes républicains dont elles s’inspirent. L’égalité revendiquée par l’école se traduit par une certaine indifférenciation des élèves, qui sont rarement invités à exprimer leur individualité propre, que ce soit par l’expression d’une identité par le port de certains vêtements. L’actualité récente l’a rappelé. Ainsi, une classe est plutôt uniforme et nous pourrions en déduire que chaque élève puisse être délégué. C’est vrai, chaque élève peut être délégué, mais à condition d’en avoir envie et d’être capable de se porter candidat. Pour un élève de onze ans, cela représente déjà un effort important, que des motivations qui ne sont pas forcément citoyennes peuvent mener à porter. Alors, pourquoi pas un rôle de délégué tournant par tirage au sort ?

Aussi, la parole des délégués de classe pèse finalement assez peu. L’ersatz de démocratie proposé par le scrutin donne au délégué l’illusion d’une souveraineté, celle de la classe, mais qui ne porte aucune revendication commune. Ainsi, les délégués sont souvent porteurs de revendications basiques et/ou superflues : la qualité du jus d’orange à la cantine est un sujet qui revient souvent sur la table. Les revendications réelles et importantes dans la vie d’un élève : le rythme des devoirs, les modalités d’évaluation, l’état général du lycée sont exclues du champ des débats au motif que « ce n’est pas le lieu » (le conseil de classe) ou « ce n’est pas le moment » (la vie de classe). Les institutions plus formelles (Conseil de Vie Lycéenne, par exemple) peuvent être mobilisés pour ces discussions-là, mais l’opacité de ces instances tranche avec la nécessaire limpidité de l’exercice démocratique. Donc, pas d’influence ou peu de la part de délégués-croupions qui sont le plus souvent des cautions : leur présence sort le conseil de classe de cette opacité, encore elle, qui l’entoure parfois, avec son lot de rumeurs. Mais pour que des décisions soient prises et qu’elles conviennent à chacun, pourquoi ne pas mettre en place des conseils par classe qui seraient collégiaux et d’où sortiraient des décisions plus consensuelles ? Coluche nous rappelait que la dictature, c’était « ferme ta gueule », tandis que la démocratie, c’était « cause toujours ». Peut-être qu’une pratique simple comme cette élection pourrait être l’occasion de mettre un peu plus de démocratie dans nos établissements, plutôt que, comme tous les pouvoirs qui sont en réalité fragiles, travestir les institutions pour exercer un pouvoir arbitraire, vertical et finalement injuste.

 

Une chronique de Gweltaz Caouissin

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