Le grand sujet est un petit objet

Comme si l’époque n’était pas suffisamment anxiogène, le protocole sanitaire s’est resserré comme un étau sur le bon sens et les conditions d’enseignement depuis la rentrée, c’est-à-dire la semaine dernière – on croirait que ça fait un an, ah non il n’y avait pas le Covid il y a un an – mes petits élèves et tous leurs congénères à partir du CP doivent porter un masque. Et nous devons veiller à ce qu’ils le portent. C’est écrit dans une circulaire ou quelque chose de ce goût : nous sommes tenus de vérifier qu’ils s’y tiennent. Tiens donc.

Cette injonction m’a fait beaucoup de mal parce qu’on ne m’avait jamais demandé un truc aussi dingue, et pourtant je ne dis plus rien quand l’Éducation nationale me demande des trucs dingues, comme imposer des livrets d’évaluation A4 en noir et blanc à mes petits CP dès la deuxième semaine de la rentrée, ou comme faire semblant d’exploiter les données chiffrées qui en ressortent au mois de novembre, ou encore quand il faut se rendre en formation le mercredi matin et qu’on sait qu’on n’y apprendra rien.

Mais là, le masque. Vous disjonctez, là-haut.

Je ne m’y fais pas. Cette assemblée de petites têtes masquées fait froid dans le dos. Je passe ma journée avec des enfants masqués ! Ca me stresse, je ne vois que leurs yeux, si ça se trouve ils me tirent la langue. Ou ils la tirent tout court, pour respirer. J’ai le sentiment de me faire braquer par des petits gangsters. Et puis je les trouve nerveux depuis la semaine dernière, quand les retours de vacances sont en général plutôt calmes. Les crayons tombent. Les feutres d’ardoise se perdent. La mise en rang est fastidieuse. C’est un peu vendredi après-midi tous les matins.

Je ne peux pas affirmer que le port du masque stresse fondamentalement les élèves, mais il appauvrit la qualité des échanges verbaux, qui n’était déjà pas bien élevée – ce n’est pas le sujet mais il y aurait fort à dire. Mes grandes gueules se sentent bridées. Mes bavards sont devenus taiseux. Et mes taiseux sont à présent mutiques. On comptera les points à la fin de la crise, mais sur le chantier de l’expression orale, tout à la fois enjeu fondamental du CP et vecteur d’épanouissement, le port du masque nous conduit droit au crash.

Tracas du quotidien

Le mois de novembre fait partie des neuf ou dix mois de l’année ou le petit élève de CP connaît de fortes et continues sécrétions de la sphère ORL. Elles constituent pour certains un axe d’apprentissage fondateur, une séquence qui dure toute l’année en quelque sorte. L’objectif de cette séquence tient en un verbe, pronominal contre toute attente  réfléchi : se moucher. Et nous parvenons en temps à peu près normal, autrement dit le temps d’avant 2020, à des progrès spectaculaires. Il arrive même que certaines générations dorées montent au CE1 sans glaires.

La catharsis glaireuse n’est pas compatible avec le port du masque. Je crains même que ce soit l’objectif affiché par les savants fous qui ont décidé cela : les élèves garderont leur morve sous le nez. C’est très théorique. La pratique est beaucoup plus trash. Les élèves de CP ne peuvent pas garder un masque devant le nez toute la journée. Alors ils le baissent en dessous du nez, ça c’est vers les coups de onze heures, puis fatalement sous le menton, vers 15 heures, avant que le masque ne s’oublie dans le casier, ou sous le cartable, ou qu’il se fasse carrément piétiner. Il faut alors le ramasser et le remettre sur le nez. Les jours de pluie, le résultat est à l’encontre du bon sens médical. Les jours de beau temps, je suis tout de même sceptique. Je ne sais pas pour le Covid, mais les microbes dans leur grande majorité doivent bien se marrer.

Et puis j’ai un élève qui a un bras dans le plâtre. Je dois lui remettre régulièrement le masque derrière celle des deux oreilles qu’il n’arrive pas à atteindre, et ce n’est pas pour le plaisir, parce que s’il y a un moment dans la journée où je veille à porter le mien, de masque, c’est bien celui où je dois réajuster le masque de cet élève derrière son oreille, véritable bain de culture de miasmes et croûtes en tout genre. Foin de l’hygiène, on n’est pas sérieux quand on est enseignant. Je racontais ça à une copine l’autre jour, mon élève avec son bras dans le plâtre à qui il faut rafistoler le masque de longue. Elle m’a répondu : « oh tu sais, moi j’ai un élève qui n’a qu’une seule oreille, ce n’est guère plus plus commode. »

Au-delà des interrogations hygiéniques, la fréquentation quotidienne de visages masqués aura certainement des répercussions psychiques sur nos petits CP. Déjà qu’ils ne s’écoutaient pas beaucoup, voilà qu’ils ne s’entendent plus du tout. Je les fais répéter à longueur de journée. Et quand vraiment j’en ai marre, je leur fais baisser le masque. Ben oui. C’est plus commode pour lire sur les lèvres.

Rire et chanter (dans son masque)

Malgré cela il faut bien vivre et profiter des journées de classe, surtout qu’on ignore si nous en avons encore beaucoup devant nous. Et pour gérer l’angoisse des élèves, incontestablement palpable dès le CP, le rire et la musique sont mes seules parades. Le rire ne s’explique pas, à moins d’avoir Elmer dans la classe. Le rire vient de situations de classe, d’inattendus et de malentendus. Ce sont des pépites dans le tout-venant d’une journée de classe.

La musique se prépare un peu plus et ne nécessite pas de grandes compétences d’arrangeur : c’est au contraire l’occasion de se replonger dans le B-A.ba du solfège. Et ça fonctionne à tous les coups. Je trace une portée au tableau, et une clé de sol parce que c’est toujours joli, une clé de sol. Puis des noires. Je les leur fais taper, dire ou chanter sur différentes pulsations. C’est étonnant comme certains enfants acquièrent le rythme rapidement, et pas d’autres. Parfois ce ne sont pas les élèves auxquels on aurait pu s’attendre qui s’en sortent le mieux, et c’est l’occasion de les mettre en valeur. Puis j’introduis les blanches (« blan-ches ») qui comme chacun sait valent deux temps. Le clou du spectacle, ce sont les croches, qui valent bien entendu un demi-temps et que les élèves prennent beaucoup de plaisir à égrener sur l’air des « croche-croche ». Et puis les mesures à trois ou quatre temps que les élèves remplissent de croches, de noires et de blanches, avec la contrainte de respecter le nombre de temps par mesure, et je crois que ça leur permet de faire des mathématiques aussi, ce qui me donne bonne conscience.

Ces petites séquences de solfège adoucissent-elles les mœurs ? Je le crois. C’est bon pour le corps et la tête, le solfège. Même au niveau zéro, même au CP.

 

Une chronique de Papalion

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