Depuis la crise sanitaire liée à la Covid-19, nos conditions d’enseignement ont radicalement évolué. En passant d’un enseignement en classe à un enseignement à distance, l’importance de l’éducation aux médias est devenue une question récurrente dans nos pratiques quotidiennes de professeurs.

Alors, en tant qu’enseignants, comment aider nos élèves « hyper connectés » à faire le tri nécessaire dans la masse de données qu’ils reçoivent depuis leurs smartphones, ordinateurs et autres objets « high-tech » ? Comment leur faire prendre du recul sur ce qu’ils vivent, les accompagner dans leur compréhension de l’actualité ? Et que penser des réseaux sociaux et d’Internet  ?

Informer, communiquer, apprendre : quelle place pour les élèves dans ce triptyque ? L’exemple de la covid-19

Depuis plusieurs années, je suis professeure de culture générale en secteur tertiaire. Pendant le confinement, en classe à distance, nous avons exploré le thème de l’éducation aux médias par la constitution d’une revue de presse. Cet exercice, réalisé à l’écrit puis présenté et discuté à l’oral par visio-conférence, a été un outil intéressant pour délier la parole des jeunes.

Lors de cette activité nous avons notamment été confrontés à la question suivante : dans la société hypermoderne qui est la nôtre, « s’informer » est-ce la même chose qu’ « apprendre » ?

Notre société est une société de consommation qui est régie en grande partie par les médias. Or, les médias modifient notre manière d’interagir avec le monde extérieur ainsi qu’avec autrui. Notre modernité fonde son sens et son pouvoir sur l’apparence, sur le spectacle médiatique plutôt que sur la réalité concrète. La publicité, la presse, la télévision et plus encore les réseaux sociaux par le biais d’Internet, uniformisent notre pensée collective. Tout le monde, au premier rang desquels nos élèves, se compare sur Instagram, Snapchat, etc. Tout le monde désire les mêmes biens de consommation.

Mais ces derniers temps, le spectacle de la maladie (covid-19), de la souffrance et de la mort possible, nous rappelle notre désir de revenir à une existence « normale ». Cette période difficile, avec la limitation de nos libertés individuelles, fait réagir nos élèves à la fragilité de nos droits et les fait réfléchir au type de société qu’ils veulent dans le futur. Et l’exercice de la revue de presse a permis de s’interroger sur le rôle que chacun aura ou voudra y jouer. Car il s’agit bel et bien de jouer un rôle qui soit conforme aux attentes sociales normatives : être à la mode, être conforme au diktat qu’impose le flux médiatique sans cesse exposé, relayé et décuplé par les réseaux sociaux.

C’est là que le recours au débat en classe peut s’avérer un outil efficace au réveil des consciences de nos élèves. Ainsi, c’est ce que j’ai pratiqué en classe à distance via Teams. Chacun de mes élèves a pu exprimer, oralement et par écrit, son vécu professionnel et personnel de la situation actuelle.

La revue de presse sur la crise : un exercice qui se prête au débat

La revue de presse[1] est un exercice qui rencontre un franc succès auprès des élèves. Il permet une confrontation, grâce à une recherche sur Internet par mots clés, dans les journaux, de différents points de vue sur un même sujet. Au niveau méthodologique, nous avons appliqué la technique d’analyse du paradigme de Lasswell aussi appelée « la méthode des 5 W ». Cette méthode se base sur cinq questions au cœur de la communication qui sont : Who says What to Whom in Which channel with What effect ? » soit « Qui (dit) quoi (à) qui (par) quel moyen (avec) quel effet ? ».

Cette revue de presse a révélé la controverse scientifique sous-jacente à la gestion de la crise (auditions du Pr Raoult, etc.). Ce constat nous a amenés à questionner le rôle du politique dans le traitement scientifico-médiatique de cette crise. À cause de l’urgence de la situation et de la pression sociale, avec en toile de fond les élections politiques à venir, les élèves ont repéré que les politiques ont fait un certain nombre de choix tantôt maladroits (destruction des masques, etc.), tantôt plutôt réussis car plus conformes aux attentes sociétales (aides sociales, financières, etc.).

Les élèves ont également réalisé que ce qu’ils lisent dans la presse, ce qu’ils voient à la télévision ou encore sur les médias sociaux, n’est ni forcément ce qu’ils vivent avec leurs amis ou leurs familles, ni forcément ce qu’ils vivent au travail.

Notre conclusion fut que, comme le dit M. Mac Luhan dans Pour comprendre les médias, « les possesseurs des médias s’efforcent toujours de répondre aux goûts du public parce qu’ils pressentent que c’est dans le médium et non dans le message ou le contenu que réside leur puissance ».

Quels avantages et inconvénients à utiliser les réseaux sociaux ?

Dans l’exercice préparatoire à la revue de presse, un de mes élèves a fait ce commentaire :

« nous devons faire la différence entre ce que montrent les réseaux sociaux et la réalité car souvent des personnes nuisibles peuvent agir en réalité. Selon moi, les réseaux sociaux ont une bonne comme une mauvaise influence, tout dépend des personnes qui les utilisent. »

Grâce à un débat sur l’usage des réseaux sociaux, nous en avons conclu ensemble que l’information n’est rien moins qu’un miroir aux alouettes qui, de par sa vitesse, nous donne l’illusion du savoir et de la vérité. Les informations récoltées ou fournies par les réseaux sociaux, bien que personnelles, ne sont que des valeurs marchandes, chose que l’on oublie bien volontiers.

Grâce à l’informatique, il nous est possible d’obtenir facilement des informations sur tout ce qui nous intéresse. Lorsque les élèves veulent savoir, par exemple, comment faire un gâteau ils n’ont qu’à cliquer sur un site de cuisine en ligne. Pour eux, plus on s’informe, plus on apprend. Apprendre pour les jeunes équivaut, par conséquent, à consommer le plus d’informations possibles. Ainsi, comme le dit P. Virilio dans L’art du moteur : « la vieille formule selon laquelle l’information est à peu près la seule marchandise à ne plus rien valoir au bout de vingt-quatre heures mérite donc réflexion. »

Le débat a également permis de comparer le contenu médiatique avec le ressenti des élèves sur le terrain professionnel comme dans leur usage personnel des médias ou réseaux sociaux. L’écart présent dans les deux cas a montré que « apprendre » et plus encore « comprendre », ne devrait pas seulement se réduire au fait de « s’informer ». L’information est une connaissance vide de sens si elle se contente de divertir au lieu de nous donner matière à penser et à réfléchir.

Je laisse le mot de la fin à l’une de mes élèves :

« Les avantages à utiliser les réseaux sociaux ou internet sont que nous pouvons nous renseigner sur beaucoup de choses, nous pouvons informer nos amis ou autres sur les bons endroits à fréquenter, pour lancer notre entreprise ou à faire de la pub de bons plans. Tout ce que nous partageons devient finalement le média lui-même. Mais malgré tout cela, les inconvénients sont nombreux. Pour pouvoir s’inscrire sur des réseaux sociaux, nous devons donner nos données personnelles comme notre date de naissance, notre nom, notre numéro de téléphone. (…) Ces données sont revendues à certaines entreprises qui cherchent à vendre leurs produits. Donc nous sommes, tout simplement des produits de vente sur Internet et dans les médias. »

Finalement, cette élève est parvenue à la même conclusion que P. Virilio qui dit dans L’art du moteur : « Au XIXème siècle et au début du XXème, en pleine fortune de presse, il s’agit moins de « faire de l’information » que de la devancer, de la prendre en marche, pour finalement la vendre avant qu’elle ne soit littéralement dépassée. »

 

[1] C’est une synthèse des articles de la presse généraliste ou spécialisée, de source principalement écrite (presse écrite ou en ligne) sur un même sujet qui montre comment les médias traitent les faits et les présentent à leurs publics en reflétant le pluralisme des médias. Cela montre la variété des attitudes et des points de vue face à l’actualité en France.

 

Une chronique de Séverine Oswald

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