Politique et médias

Les élèves nous interpellent régulièrement sur des sujets politico-médiatiques. L’inverse est aussi vrai, en tant qu’enseignants nous interpellons souvent les élèves sur l’actualité. Et lorsque l’actualité politique se télescope avec l’actualité médiatique, le résultat peut être explosif. Il faut dire que la médiatisation du politique pose des problèmes en classe… Pourquoi et comment traiter d’un sujet politique avec ses élèves ?

Traiter d’un sujet politique pose naturellement la question de la neutralité et de l’objectivité mais sa légitimité est acquise. Il ne s’agit aucunement de faire de la classe une tribune partisane. Il s’agit d’apporter un éclairage sur un sujet en soulevant les éléments relatifs à l’éducation aux médias et à l’information. Car nous vivons dans une société de l’information et de la communication, l’École s’est aussi donné pour mission de former des citoyens éclairés dans ce domaine. Parler de ces sujets politiques médiatisés permet ainsi d’éduquer aux médias, de former l’esprit critique des élèves et de déconstruire la désinformation. Cette mission est d’autant plus nécessaire que les élèves sont récepteurs d’une médiatisation des sujets politiques exposés à des déformations via les réseaux sociaux. En effet, le flou de l’omniprésence médiatique peut poser problème et perturber la compréhension du fond d’un sujet.

Aborder un sujet politique nécessite une démarche fine et pragmatique. Il est possible avec les élèves d’évoquer la méticuleuse démarche autour des sources : vérification des sources, fiabilité des sources, comparaison des sources… Dans tous les cas, il vaut mieux éviter l’apparition d’un débat infondé et non argumenté. Les séances d’EMC permettent aux élèves d’approfondir et de se documenter sur les sujets abordés. Quelques passages en salle informatique et au CDI sont souvent très formateurs dans l’apprentissage des élèves à devenir des « experts » de l’information et de la désinformation.

Trump, devenu cas d’école

Le (bientôt ex-)président Trump illustre parfaitement cette complexité. En tant que dirigeant de la première puissance mondiale, il a été un personnage incontournable de nos cours (d’EMC, d’histoire-géographie, de spécialité HGGSP, de langue anglaise…). Incontournable, spectaculaire et… problématique. Son parcours illustre tellement de thématiques qu’il est devenu une personne ressource à évoquer ! Parler de la démocratie étasunienne ? Trump. Parler des fakes news ? Trump. Parler du poids des médias ? Trump. Parler des risques que peut connaitre la démocratie ? Parler du climat ? Parler de la pandémie ? Parler des élections ? Parler des contres pouvoirs ? Trump, Trump et toujours Trump.

En début, en milieu et/ou en fin de cours, le moment pour en parler dépend des situations mais parfois les élèves nous interpellent même au détour d’un couloir ou d’une pause en brandissant leur portable : « Vous avez entendu ce qu’a dit Trump ? », « Vous en pensez quoi, monsieur ? », « Scandaleux non, ce qu’il a fait ? ». Il faut préciser que les élèves n’ont pas le monopole de ce sujet : on parle même de Trump entre collègues dans la salle des profs !

Il m’est apparu alors essentiel d’organiser une séance d’EMC sur la thématique de « Trump et les médias/réseaux sociaux » avec mes élèves de 1ère (le thème du rôle des GAFAM et du poids des médias/réseaux sociaux est aussi au programme de la spécialité HGGSP). Au final, il a fallu deux séances d’une heure. La première séance a eu lieu en salle informatique. Les élèves avaient pour mission de remplir une fiche scindée en deux parties : la relation de Trump envers les médias/réseaux sociaux et la relation des médias/réseaux sociaux envers Trump. Il s’agissait pour les élèves d’effectuer des recherches pour faire émerger les notions de critique et de méfiance/défiance des médias, le rôle des réseaux sociaux dans la propagation des fakes news, le rôle des médias dans le soutien ou la censure d’une personne politique, le pouvoir des réseaux sociaux dans la diffusion de messages politiques… Lors de cette séance, les élèves ont été dans la spontanéité verbale, que ce soit envers Trump ou les médias/réseaux sociaux, ou les deux : « C’est un président et il ose dire ça ?! », « M’sieur, j’aurais honte que ce soit mon président », « Mais comment ? Comment on peut être… à ce point », « Les journalistes dramatisent ! », « C’pas le même monde », « Ils sont fous », « Le pauvre, il lui coupe la parole en direct », « Ce tweet de malade ! ». Je vous le disais quelques lignes plus tôt : Spectaculaire !

La deuxième séance a eu lieu en classe. Il s’agissait alors pour les élèves de travailler l’oral car ils ont eu pour tâche entre les deux séances de faire un compte-rendu de leurs recherches en créant un diaporama. Chaque passage à l’oral était l’occasion d’une discussion avec les élèves pour approfondir des points clés. Et vous savez-quoi ? Quelques semaines plus tard, les élèves me parlent encore de Trump car il faut dire que l’actualité récente sur ce thème est très riche !

Il est possible en effet de revenir sur l’actualité brulante : Trump, si friand de ces outils autant qu’il en est critique, s’est vu bannir des réseaux sociaux ! Que l’on accepte ou que l’on soit scandalisé par cela, là n’est pas la question. Toutefois, cela pose la question du poids et du pouvoir des médias et des GAFAM dans la société. Avant même cette décision, nous avons été témoins fin 2020 de chaînes de télévision coupant en direct les discours du président Trump en annonçant que c’était un menteur. Le fait de couper un tel discours pose la question du débat démocratique en pleine campagne électorale et du pouvoir des médias. Il n’a pas fallu attendre longtemps avant d’ailleurs que les politiques français réagissent au bannissement de Trump des réseaux sociaux et de ses conséquences sur la démocratie et l’influence des médias de masse. Ces jours-ci nous apprenons que l’application « Parler » utiliser notamment par les pro-Trump et massivement téléchargée suite à la fermeture du compte Twitter du président, vient d’être bloquée par Google et Apple. Sans philosopher (enfin un peu quand même), la réflexion est entière sur le passage d’une démocratie reposant sur le non-contrôle des médias à une démocratie sous contrôle médiatique.

Bien qu’en 2021, il convient de se rappeler l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 qui précise que la libre communication est « un des droits les plus précieux ».

 

Une chronique de Sylvain Gérard

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