Cette année a été – comme la précédente – difficile à plusieurs égards. Difficile pour les élèves, difficile pour les enseignants. Et elle a certainement été encore plus difficile pour les élèves à besoin particuliers (en situation de handicap, aux troubles des apprentissages, à haut potentiel…). Quoique… !  Force est de constater que l’expérience du terrain révèle en réalité un double constat quant à l’impact de la situation sur l’apprentissage des élèves à besoins particuliers. Le bilan est, aussi, encourageant.

Une année scolaire favorable pour les élèves à besoins particuliers

D’un côté, la situation sanitaire et son lot d’aménagements dans nos établissements (modification d’emploi du temps et du rythme scolaire, accroissement du travail à la maison, organisation de visioconférences, évaluations 2.0…) ont été un formidable moyen pour certains élèves de s’épanouir davantage ou de profiter de conditions plus positives aux apprentissages. Les arguments sont nombreux et évoqués en salle des professeurs : certains élèves gagnent en autonomie, certains gèrent mieux les devoirs car ont davantage de temps à la maison, les effectifs allégés permettent un meilleur suivi… Les élèves à besoin particuliers ont très souvent joué le jeu car les enseignants ont davantage pu s’adapter à eux et, en retour, ils ont témoigné d’une certaine forme de reconnaissance.

Voyons un tour d’horizon non exhaustif des modalités constatées.

L’envoi de fichiers électroniques dans le cadre de la classe inversée ou bien d’un cours/exercice donné à lire à la maison permet, par logiciel, d’adapter rapidement l’interligne, la taille, la police ou les couleurs selon les demandes des PAP ou des PAI. Les élèves malvoyants ou dys avaient ainsi l’opportunité de pouvoir travailler directement sur un document avec zoom et les photocopies non adaptées à ces élèves sont tombées dans le passé. À la maison, il n’était pas question de tiers temps (si compliqué à mettre en place en classe) car ces élèves pouvaient avancer à leur rythme, prendre une pause si nécessaire et avoir la satisfaction de pouvoir vraiment finir un exercice. Pour eux, il ne faut pas négliger que « c’est bon pour le moral » (les guillemets reflètent le fait que j’ai chantonné une célèbre musique en écrivant).

Le suivi des élèves a été certainement plus poussé avec des appels téléphoniques par le professeur principal, des mails ou messages via les plateformes numériques des établissements afin de relancer les retardataires dans le rendu des devoirs. Les corrigés parfois tapés à l’ordinateur par l’enseignant sont généralement plus longs que les versions manuscrites. Les élèves ayant davantage d’individualisation ont été amenés à prendre en compte plus soigneusement nos conseils d’autant plus que la correction a pu être envoyée individuellement. Les temps de reprise en classe permettaient aussi de se pencher de façon plus spécifique sur un temps individuel par élève pour les aiguiller. Les élèves en difficultés ont pu être mieux épaulés.

Les élèves ont été amenés à se dépasser lors de certaines séquences ou projets. Le travail à la maison a révélé des talents cachés chez nos élèves : talents d’écriture, talents en informatique… Il a même révélé chez certains un goût prononcé pour nos matières car ils ont pu avoir plus de temps pour aborder certains sujets ou faire des recherches. Un élève à haut potentiel d’une de mes classes a ainsi pu réaliser un dossier documentaire en histoire d’une cinquantaine de pages là où la consigne était – largement – moins ambitieuse. Un autre élève, dysorthographique, dont je suis professeur principal m’a aussi témoigné de l’opportunité d’écrire à la maison une évaluation où il a pu prendre le temps de se corriger plusieurs fois, là où une évaluation réalisée en classe ne lui permettait pas ce même degré d’autocorrection. Si le travail à la maison a été bénéfique pour ces élèves, le travail réalisé en classe également ! La demie-jauge en lycée a été confortable pédagogiquement pour mieux accompagner les élèves en difficulté et parfois même individualiser les activités (la fameuse différenciation). Par l’effectif allégé, l’enseignant peut mieux accompagner en présentiel les élèves présents et accorder davantage de son temps pour les élèves à besoins particuliers qu’en classe entière. Les heures en classe ont aussi favorisé la prise de parole des élèves ayant le plus de mal à s’exprimer habituellement, des plus timides à ceux malentendants, jusqu’aux élèves allophones (dispositif DAQ par exemple) ou nouvellement arrivés en France. Le temps de parole en classe a été plus intense et les élèves ayant des difficultés de lecture ont pu pleinement profiter de moments pour oser s’exercer en comité plus restreint.

Une année scolaire défavorable pour les élèves à besoins particuliers

D’un autre côté, la situation sanitaire et son lot d’aménagements dans nos établissements ont été autant de barrières et d’obstacles pour les élèves à besoin particuliers. Nous avons tous des élèves qui ont été négativement impactés par la désorganisation de la situation. Si ce fait concerne potentiellement tous les élèves, ceux à besoins particuliers ont souffert plus intensément de la situation. Ceux qui ont besoin du temps scolaire ont parfois été déboussolés par le manque de repères et l’alternance des groupes en présentiel : difficultés organisationnelles, difficultés de gestion du temps et de planification pour répartir la charge de travail, difficultés matérielles ou de concentration pour ceux ayant des frères et sœurs à la maison avec qui partager l’ordinateur ou le bruit ambiant, difficultés de ne pas avoir l’aide directe d’un enseignant ou de l’assistance d’une tierce personne comme parfois en classe…

Le régime hybride ne convient pas à tous. Les visioconférences pénalisent ceux ayant besoin d’accompagnement, ceux ne parvenant pas à prendre des notes sans assistance, ceux ne maîtrisant pas tous les outils informatiques, ceux ne parvenant pas à jongler entre la visioconférence, le manuel numérique et le cahier de cours en simultané… Beaucoup d’élèves dys avouent en classe ne pas avoir osé poser de questions lors d’une visioconférence ou bien avoir eu du mal à suivre.

Certains expliquent aussi avoir du mal à se concentrer sur la parole de l’enseignant lorsque celui-ci n’est pas présent visuellement : écouter 1 h de son sans voir le prof est un défi pour les troubles de la concentration. On essaye alors de prendre davantage le temps la fois suivante et de mettre la caméra mais la distance demeure une barrière considérable pour eux. L’enseignant à distance ne peut également pas réaliser ce qui est crucial de faire sur l’instant : corriger l’erreur. Effectivement, un enseignant en classe peut veiller aux élèves à besoins particuliers en passant vérifier leurs activités en cours, leurs écrits… et corriger si besoin en direct une erreur dont la correction prend sens pour l’élève justement en raison de l’immédiateté apportée. Corriger une erreur 3 jours plus tard au retour de l’élève n’a pas la même portée en termes de remédiation.

Que peut-on en tirer ?

Puisqu’il faut trouver des avantages à toute situation d’apprentissage et savoir analyser avec recul sa pratique enseignante, il est possible d’établir un retour d’expérience sur l’impact de nos pratiques concernant les élèves à besoins particuliers nées de la situation sanitaire. Si bien évidement chaque élève spécifique est un cas unique, il en ressort globalement que l’enseignement hybride a favorisé une meilleure prise en considération de leurs besoins. Par le temps disponible par élève qui s’est trouvé accru, soit à distance soit en classe, il semble que les élèves à besoins particuliers ont pu bénéficier d’un suivi plus complet. Toutefois, ce constat ne doit pas occulter que l’enseignement hybride a pu aussi engendrer des ombres au tableau dans l’apprentissage de ces élèves parfois isolés loin du cadre scolaire.

Ce constat nuancé doit être mis à profit pour renouveler et améliorer sans cesse nos démarches, notamment en prévision d’un retour à la normale. Il m’invite à reconsidérer notamment la place de l’évaluation ou de l’exercice : permettre aux élèves de finir ou réaliser une tâche semble pertinent et profitable à tous à la condition que l’enseignant se détache de la peur du « copier-coller » maison. Il invite aussi à repenser le suivi des élèves, surtout pour ceux à besoins particuliers : envoyer un message pour s’assurer de la bonne compréhension ou apporter une aide n’était pas mon habitude avant la crise sanitaire mais je compte poursuivre ce lien par la suite car j’en ai constaté les profits dans la progression des élèves et le relationnel avec eux (et les familles). Les habitudes également prises peut-être plus qu’à la normale pour s’adapter aux protocoles de certains élèves (PAP, PAI…) doivent s’ancrer dans la durée afin de devenir des réflexes. Peut-être nos administrations prendront-elles aussi le temps nécessaire de ce retour d’expérience en nous accordant davantage de séances en demi-groupes. En ces semaines qui vont voir arriver les conseils d’enseignement pour nos matières afin de fixer les modalités de l’année scolaire prochaine, il pourrait être pertinent d’évoquer tout cela collectivement.

 

Une chronique de Sylvain Gérard, enseignant d’histoire-géographie

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