Pour être honnête, le métier, si je le fais pour les élèves, je le fais aussi pour les collègues. J’aime avoir une bonne classe, ou juste une pas trop mauvaise, avec le moins possible d’enfants abimés par la vie, parce que ça me fait mal au cœur et aussi parce que ce n’est pas toujours facile à gérer ; eh bien j’aime tout autant avoir de bons collègues, des pas trop mauvais, pas trop abimés par le métier, parce que ça m’énerverait et que ce serait difficile à gérer.

C’est ainsi : maître d’école, c’est un métier individualiste. On m’avait prévenu quand je me suis engagé, j’avais levé les yeux au ciel mais j’ai compris quand je me suis retrouvé enfermé avec trente élèves. On était trop nombreux dans cette salle de classe, pourtant j’étais surtout trop seul. Alors quitte à se retrouver en salle des maitres à midi, autant se retrouver entre bons collègues.

Mon école, je l’aime, pourtant c’est une école dure, austère et décrépite, dans un quartier difficile, parfois sinistre et décrépit. Mes collègues sont de bons collègues parce qu’ils la tiennent à bout de bras et de toutes leurs forces, cette école. Nous la tenons ensemble. Nous rigolons à midi, nous rigolons beaucoup, c’est thérapeutique, nous rigolons jaune, et gras, parfois. C’est l’élixir, les collègues. La catharsis. Le remède. On se dit tout, sur les élèves et sur nos vies, entre deux portes et dans le bruit de fond des élèves dans la cour et entre deux impacts de ballons sur les vitres. On se marre à se dire des choses qui feraient bien de ne jamais sortir de la salle des maitres, des choses pas politiquement correctes du tout, mais qui aime bien châtie bien et les élèves, ben on les aime bien, quand même. Et les châtiments corporels étant proscrits, c’est avec de l’affection qu’on se fout un peu d’eux, parfois, en réunion de cycle.

Souvent, entre collègues, nous nous retrouvons pour boire à la santé de l’Éducation nationale, en général c’est la veille des vacances, alors on se dit pas mal de choses sérieuses et puis pas mal de bêtises, on vide notre sac, notre cartable, notre boîte à stress, à rancœurs, à impuissance, à échecs, parfois. On se soutient. On a l’impression de faire le métier ensemble, même si l’on ne se voit que le midi. C’est ça, en fait, le métier d’enseignant : on travaille seul, mais à plusieurs. Alors autant être bien entouré.

Parfois, mais il faut que ça reste entre nous hein, parfois on se fait passer des petits mots, d’une salle de classe à une autre, des petits mots rigolos. Des blagues. Des mauvaises blagues, surtout. Des respirations dans la journée, des reprises de souffle, des clins d’œil ou des tapes dans le dos ; des bourre-pif à la solitude du métier. Alors on rigole un bon coup, les élèves demandent pourquoi, j’explique que c’est Madame X qui me fait des blagues, ils trouvent ça drôle sans savoir, et c’est dingue, mais ça détend l’atmosphère. C’est contagieux. Les collègues, c’est comme les couples : quand on s’entend bien, c’est profitable aux enfants.

Les blagues sont parfois potaches. Minables. Rase-motte. Mais que c’est bon. Vous allez rire, mais pas autant que moi ce matin-là : l’autre jour, un collègue a caché la télécommande du tableau interactif. Je l’ai cherchée, me suis agacé, et c’est un élève qui m’a suggéré que ce devait être un coup de Monsieur Y. Dans le mille. Je fomente ma revanche. Ou plutôt nous la fomentons, avec mes élèves. Alors ça pourrait passer pour un manque de sérieux, de professionnalisme : nous ne serions pas payés à rigoler, mais plutôt à enseigner. Gageons plutôt que cela nous aide au contraire à enseigner, et admettons que nous pouvons enseigner dans la bonne humeur. Nos mauvaises blagues fédèrent nos élèves. Nous essayons de joindre l’utile et l’agréable. J’ai la prétention d’affirmer que ça fonctionne : nous rions, et puis après nous travaillons. Nous rions un peu, et nous travaillons beaucoup.

Alors voilà, mes collègues, parce qu’ils sont de bons collègues, assurent mon équilibre et celui de toute une école. Mes collègues, c’est la lumière et l’espoir à l’intérieur de mon école dure, austère et décrépite.

 

Une chronique de Papalion

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