Enfin ! Avec l’épidémie qui s’éloigne et le spectre du confinement qui commence à disparaître, on va pouvoir revenir à nos saines pratiques d’enseignement. Parce que s’il est une tradition solide, c’est bien celle des professeurs d’histoire et géographie qui, de tout temps, vivent sur le pays.

Alors, il ne s’agit pas ici de pratiquer la politique de la terre brûlée, de piller les ressources, à moins qu’elles ne soient symboliques et patrimoniales. En effet, quel enseignant n’a jamais emmené ses élèves se recueillir devant le monument aux morts du premier conflit mondial ? Compter les morts pour la France, s’étonner des familles décimées. Remarquer les autres conflits… À peine nommé, avant même de rencontrer ses futurs collègues, l’enseignant d’histoire-géographie suppute les trésors qui l’attendent dans sa nouvelle région. Alors, la moisson est assez irrégulière, mais les trésors, fort nombreux.

Déjà, jeune lycéen à l’autre bout du monde, je fus surpris un bon matin par la violente diatribe de notre professeur d’histoire à l’accent toulousain, vitupérant la compagnie aérienne locale. Nous nous tenions cois, comme c’était toujours la règle en ce temps. Et nous apprîmes l’infecte forfaiture ! Notre professeur ne s’était perdu dans le Pacifique que pour peaufiner sa thèse sur le rugby et assister à la rencontre France-All Black. Las ! L’avion ne quitta jamais le tarmac. Et vous savez le pire ? C’est que pour la première fois de l’histoire, le quinze tricolore battit les All Black sur sa pelouse par 19 à 24.

De même, nommé dans le Médoc, un collègue m’égraina toutes les communes viticoles et leurs fabuleux châteaux. Bon, jamais il n’a été question de faire goûter aux élèves les dives bouteilles. Vivre sur le pays, c’est autant un réflexe égoïste qu’un partage.

Chacun ses sorties

Et c’est ainsi que tout jeune collègue arrivant en Normandie soignera la Tapisserie de Bayeux (et signalera le discours de Bayeux) et le mémorial de Caen. Il peut aussi parler des enfants de Bayeux. Une sortie assurée pour les troisièmes et les cinquièmes ! À Bordeaux, le rêve ! Architecture classique du plus grand port français du XVIIIe siècle, commerce avec les Antilles. Et, assez récemment (parce que pendant longtemps, il n’y avait rien), visite des salles consacrées à la traite négrière. Le bonheur de l’année de quatrième. Les collègues qui enseignent dans la vallée du Rhône vont faire dans le romain et le grec ! Les petits sixièmes vont se régaler devant l’Arc de triomphe d’Orange, la maison Carrée de Nîmes et quelques arènes. En Lorraine, on ne trouve que les collègues les plus motivés. Des spécialistes. C’est que la Voie Sacrée vers Verdun, la beauté de Douaumont, toutes ces larmes et ce sang, il faut pouvoir le mériter et surtout le recevoir. Ceux que l’on plaint, dans le nord ou l’est, doivent se rabattre sur quelques reconstitution de puits de mine. À peine si la mise en valeur des terrils leur fera oublier le ciel bas et lourd.

Pour tous, il y a bien souvent une cathédrale, un château à se mettre sous la dent. Et c’est justement là que les nouvelles de la pandémie qui recule réveillent l’historien. Car, au diable le bilan carbone, si le château est absent, allons à sa rencontre ! Et c’est ainsi que, chaque année, des hordes d’écoliers doivent s’ébaudir dans le petit théâtre versaillais de Louis XIV, admirer la cathédrale Notre Dame (ah non, il faut attendre un peu encore), parcourir la Saline royale d’Arc-et-Senans ou la corderie de Rochefort (juste à coté des parapluies et du Bélem), faire le tour des remparts de Carcassonne, admirer le panorama visible du sommet du château de Quéribus…

Les voyagent forment la jeunesse

Il existe une routine de l’enseignant, sa sérotonine, le marqueur du temps scolaire qui passe. Le voyage annuel. Vive le mois de mai et son pèlerinage à Paris ! J’ai cette nostalgie de mes années de jeunesse lorsque, fous que nous étions, nous amenions une centaine de collégiens ruraux passer une semaine à la capitale. Mais la distance n’est pas toujours le gage du bonheur ! La visite historique de Bordeaux, à l’automne, avec l’échange franco-espagnol fut une de mes madeleines régulières, tout comme l’excursion dans la forteresse de Blaye. J’en connais qui adorent la villa gallo-romaine de Plassac.

Nous partageons cette habitude de vivre sur le pays avec les enseignants de SVT (vous avez remarqué comme le prof de maths est casanier ?). Certes, la découverte de la biodiversité autour du collège ne fera pas rêver et ne suscitera pas un enthousiasme très prononcé. Au contraire, la visite d’une réserve naturelle est plus prisée. Le top, c’est peut-être la visite d’une carrière et plus souvent d’une gravière.

Dans ces aventures, la catastrophe, c’est moins la pandémie que le changement de programme. Durant quelques années, le mois de juin signait la « sortie à Saucats ». Les animateurs de la réserve naturelle avaient concocté un grandiose programme et cette journée, c’est certainement la plus fabuleuse qu’il m’ait été donné de vivre. J’en serai éternellement redevable à mes collègues de SVT. Pensez donc ! Le matin, analyse chimique du petit ruisseau et récolte de spécimens pour juger de la biodiversité. Je revois encore les aquariums grouillant de cette vie aquatique, la mine déroutée des élèves devant les insectes et la belle clef de détermination. Et l’après-midi, géologie ! Reconstitution des paysages à partir des fossiles, avant l’expérience grandeur nature devant les stratotypes mondialement connus de l’Aquitanien et du Burdigalien. Qu’il est beau, le sable coquillé ! Et les faluns ! Mais quel besoin avaient-ils de changer le programme des cinquièmes ? J’en ai encore les larmes aux yeux.

Et vous ? Quelles vont être vos premières excursions post-confinement ?

En ce qui me concerne, j’inviterais bien mes élèves à visiter :

Et bien sûr, je reviendrai du côté de La Réserve Naturelle géologique de Saucats.

 

Une chronique de Philippe Crémieu-Alcan

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