Quand on s’embarque dans le navire Éducation nationale comme un joyeux matelot, plein d’espoirs et de rêves pour aller à la conquête des esprits penseurs, on pense livrer le reste de sa vie à ce « plus beau métier du monde »… Une passion, un sacerdoce, une vocation, un don de soi pour les autres jusqu’à ce que la retraite nous en sépare !

C’est bien comme ça que je voyais ma carrière, m’imaginant déjà en petite grand-mère voûtée, chignon gris épinglé en arrière, lunettes glissantes sur le nez, partageant mes longues années d’anecdotes et d’histoires incroyables à mes élèves et mes petits-enfants. Croisant au cours de ces dernières années, comme un clin d’œil, les enfants de mes élèves devenus alors adultes et parents à leur tour, témoins d’une boucle joliment bouclée.

Sans doute cela aurait-il pu se passer ainsi si…

Phase 1 : le désenchantement

Sans doute si… enseigner n’était pas devenu « en saigner »… En saigner avec les longues heures de correction les soirs et week-ends, privant certaines soirées de longs repas partagés en famille ou de week-ends en amoureux improvisés… En saigner aussi avec les problèmes relationnels et éducatifs des enfants. En saigner avec les réunions à répétition avec des conflits internes, des parents dans le déni, des professionnels absents, des calendriers inappropriés, des heures de papiers administratifs…

En saigner devant l’absence de moyens, l’absence de reconnaissance, et l’omniprésence aujourd’hui du virus informatique (ou pas)…

Mon métier saigne !

Allo Monsieur le Président ? Je vous écris une lettre que vous lirez peut-être si vous avez le temps… Merci pour la prime de 150 euros bruts mais, ce n’est pas ça,  je voulais vous dire que… ah ? Protocole niveau 3 ? Oui mais on n’a pas assez de… et… Bip Bip Bip

Les élèves, nos enfants apprenants ne se limitent plus à être le réceptacle d’apprentissages fondamentaux variés et dynamiques. Aujourd’hui ces élèves sont les enfants rois nés de parents rois devant qui il faut désormais tout justifier, tout argumenter, débattre, abandonnant crédibilité et autorité dans un évident désaveu de confiance.

Sans doute cela aurait-il pu se passer ainsi si la confiance était restée intacte entre les familles et l’école. Si enseigner était resté ma mission principale et non secondaire de l’instituteur devenu professeur des écoles…

C’est le triste constat que j’établis depuis quelques années : la proportion de temps passé à intervenir dans l’éducation ou la psychologie affective de mes élèves ou de leurs parents est bientôt supérieure à celle du temps passé à partager les savoirs et les connaissances… Le temps à réparer les erreurs éducatives, les blessures affectives, les excès de « oui » ou les manquements de « non ». Faire de la discipline plutôt qu’enseigner une discipline.

« Tous les cris les S.O.S

Partent dans les airs

Dans l’eau laissent une trace

Dont les écumes font la beauté

Pris dans leur vaisseau de verre

Les messages luttent

Mais les vagues les ramènent

En pierres d’étoile sur les rochers »

 

Chantait si justement Balavoine…

Ma tête cogne, mes idées s’entrechoquent…

Qui suis-je ? Où vais-je ? Suis-je encore à ma place ? Est-ce ce que je désire… vraiment… ?

Phase 2 : le questionnement

Arrivent alors ces séries de questions qui remettent en question sa propre motivation, sa technique d’enseignement, ses priorités, ses envies, son désarroi, la recherche de soi…

Suis-je heureuse aujourd’hui dans mon métier ?

À cette question, généralement, on a du mal à s’avouer la réponse puisqu’on se rattache à l’enchantement du début : c’était ma vocation, mon rêve d’une vie, mon combat, mon voyage. Oui mais c’était c’est le verbe ÊTRE au passé ! Qu’en est-il du ÊTRE au présent ?

Après ce plus ou moins long voyage en terre « déni », il m’a bien fallu le reconnaître : je ne suis plus heureuse dans mon métier.

Non pas que je n’aime plus enseigner, non pas que je n’apprécie plus le contact des enfants, non pas que je souhaite tout exploser comme un strike parfait dans un jeu de quilles ! Mais je ne suis plus épanouie. Je ne suis plus bien dans mon « métier ».

Et même encore sans l’avoir dit, mon corps m’avait déjà envoyé des S.O.S pour me faire comprendre qu’il ne voulait plus de ça : maux de tête, plein le dos, bras coupés, du mal à avaler… Les maux du corps sont parfois les meilleurs mots pour exprimer son mal-être, il s’agit de savoir les écouter et les recevoir.

Décision : ça ne peut plus durer !

Phase 3 : la peur

Il n’est pas simple d’avouer que son rêve n’est plus le bon. Qu’il va falloir se projeter sur autre chose pour retrouver son équilibre de vie et sa joie intérieure.

Et c’est là qu’intervient celle qu’on redoute tant : la peur !

Peur de … OK, OK, la liste peut être longue.

Mais dès lors qu’une chose est sûre, que vous êtes certain, certaine de ne plus pouvoir continuer alors vous n’aurez que deux choix :

choix numéro 1 :  affronter les maux de votre corps (dépression, douleurs, maladie…)

choix numéro 2 : affronter votre peur pour chercher meilleur

Pour ma part, j’ai fait le choix numéro 2. Et ce n’est pas sans émotion que je me suis lancée vers la nouvelle conquête d’avenir professionnel.

Phase 4 : La liste de ses envies

Au commencement de cette renaissance, de cette idée de reconversion, il s’agit de retourner à l’écoute de soi-même. Prendre le temps d’établir la liste de ses envies, la liste de ce dont on rêve, ce dont on a réellement besoin pour être bien.

J’ai longtemps cherché parce que dès lors qu’on prend la décision de se reconvertir, tous les imaginaires possibles s’offrent à vous. Vous pouvez, comme au théâtre, décider de devenir tout et n’importe quoi ! Je veux être fleuriste, libraire, boulangère, vendeuse immobilière, photographe, pom-pom girl !

Pourquoi pas ? Mais oui, POUR-QUOI PAS ?

Le tableau des envies peut être bien plus large et répertorier ce qui, dans votre vie quotidienne, donne du sens à votre existence.

Rien n’est impossible, il faut juste s’en donner les moyens et frapper aux bonnes portes tout en étant bien entouré.

Pour ma part, dans ma liste, j’ai répertorié :

Une reconversion est comme une partition qu’on prend bien le temps d’écrire. Il ne s’agit pas de jeter des notes sur une portée de musique mais bien d’imaginer quels peuvent être les instruments qui joueront l’harmonie, l’intensité de celle-ci, sa rythmique, sa répercussion sur vous avant tout.

Ne pensez pas trop « en fonction des autres » et n’oubliez pas que « si VOUS êtes bien, ceux qui vous aiment véritablement le seront aussi ».

C’est comme ça que mon aventure a commencé…

Phase 5 : Oser !

Et puis, il y a ce jour, ce moment, cet instant où vous commencez à entrevoir la lueur d’un futur « hors Éducation nationale » possible. Des rencontres, des soutiens, des encouragements… Des partages d’expériences : beaucoup de réseaux sociaux proposent des groupes d’enseignants en recherche ou en réussite de reconversion. La motivation est décuplée lorsqu’on ne se sent plus « seul ». Il faut aussi se donner les moyens de chercher et se permettre de croire qu’on peut avoir sa place partout car être « enseignant » n’est pas une fatalité !

Pour ma part, plusieurs idées se sont dévoilées à la suite de cette liste d’envies. Une multitude de concours s’offrent à vous dès le niveau BEP ou BAC et il suffit d’en prendre connaissance et de s’y inscrire. S’y préparer ? Oui bien entendu si vous tenez vraiment à accélérer votre sortie… Certains enseignants demandent un détachement ou une mise en disponibilité pour tenter autre chose et voir si cela leur convient. Comme une période d’essai avant le grand saut…

Pour ma part, j’ai décidé de tenter le concours. L’inscription en ligne est facile et les diplômes sont bien là et validés dans la foulée. L’année dernière je me suis vu obtenir le concours d’Agent de Maîtrise territorial spécialité hygiène et ENVIRONNEMENT (pour répondre à mon envie de nature et de contact avec l’autre). Une réussite au-delà de mes pensées, de mes « permissions », de mon imagination même. Je n’aurais jamais cru parvenir à convaincre un jury de ma potentialité hors E.N et pourtant : « je suis professeure des écoles depuis 21 ans, et je souhaite devenir un trait d’union entre les collectivités, la nature et l’école »… apparemment ça les a convaincus (j’avoue que leurs quatre têtes super surprises, relevées pendant leur prise de notes, m’a bien fait sourire !)

Puis est arrivée ma deuxième idée, celle qui m’anime essentiellement aujourd’hui : développer une ferme pédagogique autour du thème de la nature, lieu d’accueil pour le public, particulièrement autour des abeilles. Pourquoi les abeilles ? Principalement parce que ces insectes me passionnent, parce qu’elles sont en danger et qu’elles sont « véhiculeuses » de vie. Je trouve ça extraordinaire et, justement, l’extraordinaire fait briller les yeux des enfants !

En ayant dans une seule idée assemblé une grande partie de mes envies, cela m’a donné des ailes !

Tout s’est enchaîné ensuite :

C’est là que généralement, malheureusement, beaucoup d’entre vous abandonneront ! Eh bien non justement ! C’est à ce moment qu’il faut se lancer encore plus loin, plus fort, plus convaincu ! Il existe plein de plateformes de financement solidaire aussi appelé financement participatif et, si vous êtes convaincus et soutenus par vos proches alors vous récolterez le soutien dont vous avez besoin ! Vous pouvez aussi présenter votre projet auprès de financeurs d’appels d’offres ou de mécénat. Le tout c’est d’oser. Rien n’arrive si l’on ose juste rester inactif.

C’est ainsi qu’Abeilles City est née (voir photo et lien), fruit de rencontres mais surtout d’une récolte généreuse d’un financement participatif (plus de 3 500 euros), d’un prêt de pâture et d’une incroyable folie solidaire tout autour. Les réseaux, les amis, les amis d’amis entraînent vite tout un chacun à suivre l’aventure de cette reconversion et de belles surprises s’enchaînent alors dans un chaleureux élan de solidarité et dans le besoin d’un retour aux sources de la nature…

Option « secure »  : comme un funambule avec des filets

Pas simple de démarrer une activité (auto-entrepreneuse pour ma part) car tout est nouveau et il faut tout découvrir, apprendre ou interroger. Mais ça y est, me voilà lancée, plus de marche arrière, je pars vers mon « nouveau rêve », je vais pouvoir quitter mon vieux radeau qui prend l’eau. Un terrain, 3 ruches, l’installation de bûches pour s’asseoir. Il restera le plus compliqué : aménager l’espace pour un accueil conforme et sécurisé des groupes extérieurs. Compliqué parce que cela demande encore un investissement financier considérable.

Cette année, j’ai donc décidé de commencer ma sortie en mettant un pied (une jambe et un bras) dehors. Mais pas question de démissionner au risque de me retrouver asphyxiée par le stress, les dettes, l’impossible retour !

Un raisonnable mi-temps pour commencer afin de m’assurer un filet financier.

Je commence donc à continuer le développement d’Abeilles City : me faire connaître, faire mes preuves, nouer des relations, créer un réseau, prendre de l’essor, exister !

Aussi, avez-vous encore en tête la « liste de mes envies ». Et vous remarquerez qu’il reste encore quelques volets non exploités. C’est ce que ce mi-temps m’a permis de travailler dans le prolongement des vacances d’été :

Depuis septembre (et même avant en amont) je travaille à la proposition d’animations pédagogiques dans les écoles ou les groupes extérieurs. En réalisant ce service, je retrouve toutes les composantes de mes envies en éliminant ce qui me faisait saigner dans mon métier.

Et voici que j’ai le temps d’écrire des histoires, inventer des jeux, créer une vidéo, exercer mon talent de conteuse humoristique pour faire rentrer les abeilles dans l’école en mode « étoiles dans les yeux ». Boule de Pollen et Mademoiselle Abeille sortis tout droit de mon imaginaire me permettent de m’épanouir dans mon écriture et mon théâtre.

Je rentre dans les classes pour faire mon « show écolo » et repars heureuse et enchantée d’avoir en ½ journée, enseigné comme j’aime le faire : le jeu, l’humour et l’histoire au service des apprentissages et de la protection de la nature !

Et tous ces applaudissements et encouragements me donnent envie de créer encore et encore (en ce moment « Les ateliers autonomes pour les maternelles autour de Boule de Pollen »).

Bien entendu le don de soi est énorme, le mi-temps se transforme en nouveau sacerdoce mais à la différence, cette fois, c’est que je retrouve le plaisir de faire, l’épanouissement de moi et que mon corps ne dit plus de maux !

Les sacrifices sont bien là aussi, sacrifices financiers évidemment et autres mais n’oubliez pas que « si VOUS allez bien, ceux qui vous aiment sincèrement aussi ».

Bonne chance à tous ceux qui tentent la nouvelle aventure et bon courage à ceux qui restent parce qu’ils n’osent pas… encore…

Prof version « reconversion », en cours…

Facebook : @AbeillesCity

Instagram : abeillescity

Site internet :  https://abeilles-city.jimdosite.com/

 

Une chronique de Claire Maurage

Une réponse

  1. J’ai le cas d’une collègue. Elle a enseigné 6 ans en tant que professeur des écoles. Pour suivre son conjoint, muté dans une autre région, elle a démissionné (et elle avait bien pensé à d’autres moyens…) et elle a fait évoluer sa carrière. Elle a effectué des remplacements dans le second degré. Elle a réussi le concours interne et elle est maintenant professeur en collège. Au moment de son re-classement, ses années de remplacement ont été pris en compte mais absolument pas ses 6 ans avant démission. Un article du 13 juillet 1983 stipule en effet qu’une démission vous fait perdre tous vos droits et toute reconnaissance professionnelle. Je trouve cela regrettable. Il serait temps de reconnaître que les carrières ne sont plus des lignes droites.

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