Bandes-annonces (B.A.) et affiches de films : une représentation « micro » ou « macro » de notre école ?

À l’heure où la sortie de la bande-annonce du film sur le thème de l’école titré Les SEGPA[1] fait polémique dans le paysage cinématographique de cette rentrée 2022, il m’est apparu le besoin de me pencher sur un cas particulier, celui des objets communicationnels tels que l’affiche ou la bande-annonce servant à la présentation et/ou au lancement médiatique de films sur le milieu scolaire.

Alors, qu’est-ce que sont les SEGPA ?

« Au collège, les sections d’enseignement général et professionnel adapté (Segpa) accueillent des élèves présentant des difficultés scolaires graves et persistantes auxquelles n’ont pu remédier les actions de prévention, d’aide et de soutien. » Mis à jour : janvier 2021. Texte consulté le 12.01.2022 et tiré du site : https://eduscol.education.fr/1184/sections-d-enseignement-general-et-professionnel-adapte

Suite à cette présentation de cadre réflexif, j’aimerais partager ici une pensée que je me suis faite lorsque l’on m’a proposé d’écrire cette chronique : et si ces « micro-films » que sont les bandes- annonces nous incitaient à modeler, pour le meilleur ou peut-être pour le pire, notre perception « macro » du monde éducatif ? Et si ces « raccourcis publicitaires », pour attirer le plus grand nombre de spectateurs dans les salles obscures, nous formataient plus ou moins implicitement ?

Deux interrogations corollaires surgissent alors :

D’une part, quel(s) rôle(s) jouer dans ces conditions en tant qu’enseignant.e.s, parents ou encore grands-parents, en un mot comme en cent, en tant qu’adultes pour aider à re- et/ou à dé-construire l’école d’aujourd’hui et surtout celle de demain qui permettra à la jeune génération de mieux s’armer pour sa vie future ?

Or, pour cette jeune génération en devenir, ces supports de promotion cinématographique soulèvent également une question cruciale : quelle(s) image(s), fidèle(s) ou au contraire caricaturée(s), de l’élève de telle ou telle classe (sociale ?) véhicule(nt) ce genre de bande-annonce ?

Afin de répondre à ces deux axes problématiques, je vous propose l’examen de certaines bandes-annonces à travers une expérience de pensée portant sur deux films mis en confrontation. D’abord, la bande-annonce du film Les SEGPA, réalisé par Ali Boughéraba et Hakim Boughéraba, dont la sortie est prévue en avril 2022 . Ensuite, la bande-annonce du film Dangerous Minds datant de 1995 et réalisé par John N. Smith dont le titre en version française est Esprits Rebelles[2]. Le genre du premier de ces deux films est la comédie quand le second, en revanche, est le drame.

Cette expérience de pensée est la suivante : Si nous nous promenions dans le monde fictionnel de ces bandes-annonces, que verrions-nous de cet environnement normalement « protégé » qu’est l’école ?

Une expérience de pensée : voyage cinématographique en terres scolaires réputées « difficiles »

La bande annonce du film Les SEGPA passe en revue différents milieux sociaux au travers du portrait, pour le moins caricaturé, de familles dont l’un des membres ferait partie d’une classe de Segpa. On y découvre successivement une mère réveillant de manière violente son adolescent (ou plutôt son jeune adulte) pour qu’il se rende à l’école puisque « c’est la rentrée ! ». Puis, on voit un autre jeune dormant sous les escaliers se faire réveiller en sursaut probablement par son frère faisant un boucan du diable en sautant sur les marches. Ceci est suivi d’une scène se déroulant à l’arrêt de bus où un troisième jeune fait « sa loi » en mettant ses pieds sur le banc pour empêcher les autres de s’asseoir. Suivent quelques images de l’établissement scolaire considéré.

Autre séquence « marquante », un père et son fils sont en train de jouer à la console en tenues vert fluo. Ils ont un dialogue qui est édifiant sur le rôle défaillant des parents d’aujourd’hui, vous, moi, n’importe qui ? Non. En réalité, seuls les parents des « Segpa » semblent ciblés ici. L’assimilation et l’identification sont immédiates dans notre expérience de pensée.

Voici l’échange en question entre le père et le fils devant la console de jeux :

Le père : « Vas-y on a le temps d’en faire une autre ! »

Le fils : « Non papa, demain j’ai école, j’peux pas ! »

Le père : « T’as école dans une heure ! »

Le fils : « Quoi !!! »

Le père : « T’as l’temps, allez fonce ! »

Le fils enlève ses écouteurs : « Nan salut !!! » Il se lève et quitte la scène en urgence.

 

L’affiche du film apparaît ensuite à l’écran avec le titre du film, « Les SEGPA » en capitales bleues sur fond blanc accompagnée du nom des deux réalisateurs.

Affiche Les Segpa

Succède à cette affiche, une dernière scène d’échange familial entre un père et ses deux grands fils de couleur dont il ignore même que l’un des deux serait son fils.

Nous, spectateurs, tentant cette expérience de projection en pensée, sommes invités par la caméra à entrer dans l’intimité de ces jeunes adultes et de leurs familles. Nous ressentons alors la parodie du ton et comprenons l’indignation suscitée par cette bande-annonce sur la toile. Car, si nous vivions avec eux, si nous étions eux, ce(s) parent(s) démuni(s), et/ou ces élèves « grand format » présentés comme « fainéants », « tête en l’air », etc., comment réagirions-nous ? Se poser la question est déjà faire preuve d’empathie et de considération. Valeurs que cette bande-annonce semble passer sous silence au profit d’un buzz médiatique ? Laissons la question ouverte.

Cette bande-annonce se veut humoristique mais transforme ces jeunes en « stigmates » de la société éducative, pour reprendre à mon compte le vocabulaire d’Irving Goffman. Si l’on pense à Pierre Bourdieu et à Jean-Claude Passeron dans leur livre Les héritiers. Les étudiants et la culture, le milieu éducatif y est décrit comme une « institution reproduisant les inégalités, les exigences et les critères du système d’enseignement jouant au détriment des classes défavorisées » (site Wikipédia[3]). Ici, le diagnostic de ces sociologues est vérifié sans ouverture possible vers une image « positive » de cette catégorie d’élèves.

Pour comparer et montrer l’évolution possible des visions d’une école « de la dernière chance » au cours du temps, voici ce que je peux dire concernant la bande-annonce du second film, plus ancien, Esprits Rebelles. Cette bande annonce met en avant une scène de classe entre une ex-membre des Marines, Louanne Johnson, qui a accepté d’enseigner à la East Palo Alto Highschool, au sein d’un établissement à la très mauvaise réputation due à la présence d’élèves, jeunes adultes, présentés comme des « cas sociaux, des cancres échappés de l’enfer » et nommés « ces foutus PES ». En somme, ce sont des blousons noirs issus de classes sociales défavorisées. Là encore, pour désigner ces élèves réputés difficiles, on utile un acronyme « PES ». Ainsi, dans notre expérience de pensée, le parallèle peut aisément être fait avec les élèves en « SEGPA ». Mais, réalisant que ces jeunes possèdent des capacités intellectuelles insoupçonnées, l’enseignante de lettres du film Esprits Rebelles décide de les aider à s’en sortir par les études. Par exemple, elle leur apprend qu’il faut être combatifs pour pouvoir choisir leur chemin dans la vie. Elle leur dit pour les motiver : « je ne vois pas de victimes dans cette classe. »

En somme, la différence entre ces deux bandes-annonces est que la première, récente, se contente de mettre en image les « préjugés basiques » de ces jeunes et de leur milieu familial, social alors que la seconde, de 27 ans plus ancienne, prend la peine de montrer la face « sombre » de ces élèves tout en signalant l’espoir qu’ils représentent, pour eux-mêmes d’abord, pour leur milieu familial et social ensuite.

 Affiche Esprits rebelles

Fin du voyage cinématographique en terres scolaires réputées « difficiles » : quand la réflexion s’invite dans l’affichage.

Pour conclure, je peux terminer notre voyage cinématographique en terres scolaires réputées « difficiles », en comparant les affiches des deux films sur l’école et ses « terreurs ». Pour le film Les SEGPA, le titre en majuscules se suffit à lui-même. Pourquoi une telle simplicité ? Le raccourci cognitif est vite fait entre ce minimalisme et le type d’élèves décrits dans ce film. Ces jeunes en difficulté sont « invisibilisés » car c’est un fond blanc qui compose l’arrière-plan de l’image. « Invisibles », ces élèves le sont-ils réellement ? Rien n’est moins sûr et la polémique actuelle témoigne du rôle de lanceurs d’alerte sur les préjugés qui gangrènent la société quant à la représentation collective de ces élèves et de leur entourage.

Pour le film Esprits Rebelles, un parti-pris contraire est affiché : derrière l’actrice principale, Michelle Pfeiffer, nous voyons une bande de jeunes aux allures de « voyous ». Néanmoins, le slogan « Dans la vie, c’est toujours une question de choix », montre que rien n’est joué d’avance pour ces jeunes comme pour tout un chacun.

Par conséquent, ce voyage en pensée montre que le cinéma est avant tout un miroir qui sert, espérons-le, à faire réfléchir les spectateurs sur les représentations souvent archétypales qu’il construit et véhicule parfois à tort ou à raison.

 

[1] Lien de la bande-annonce du film Les Segpa : https://www.youtube.com/watch?v=ktfSPOdu2eE

[2]  Lien de la bande-annonce du film Esprits Rebelles : https://www.programme-tv.net/videos/yakoi/esprits-rebelles-bande-annonce_27946

[3] Article Wikipédia Les Héritiers (sociologie) : https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_H%C3%A9ritiers_(sociologie)

 

Une chronique de Séverine Oswald

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