Interprétez-le comme vous le souhaitez, punition ou chance : je suis professeure des écoles dans… le Nord ! Non, non pas « le grand Nord », l’Arctique ou le Pôle Nord où on y perd ses orteils dans l’heure suivant son arrivée. Juste le Nord. Ou plutôt devrais-je maintenant dire les « Hauts-de-France », ça fait plus « chic ». Ça y est, vous situez ? Vous savez cette région à laquelle une étiquette grise et collante s’attache, gluante, ricanante, caricaturant ses habitants d’êtres « alcoolo-dépressifs » incapables d’évolution sociale, personnelle ou professionnelle…

Je suis prof dans le Nôooooord ! Depuis 22 ans.

Mais ça va, je vais bien. Ce matin il ne pleut pas. Il fait 9 degrés pour un début février, ce qui est relativement doux pour la saison. Les perce-neige ont déjà pointé le bout de leur nez et j’aperçois de-ci de-là aussi quelques pointes de jonquilles et futures tulipes préparer leurs premières feuilles.

C’est mercredi et c’est jour de repos. Comme partout en France pour les élèves du primaire. Pareil.

Alors ? me direz-vous, comment tu t’en sors ?

Pas si mal en fait, le Nord ; et même il me plairait de vous dire que le Nord est un lieu d’enseignement « stratégique ».

La stratégie météorologique

Chez nous, il pleut mais parfois non. Alors, dans nos cours d’école on saute au-dessus des flaques, on enfile nos bottes et on part quand même en récréation. On a mille occasions d’observer les arcs-en-ciel. On a des capuches ou les poches pleines d’imagination et on finit par composer avec les nuages et les saisons entre préau et longs pantalons. Ou parfois oui, c’est l’hiver, il a gelé. Alors on arrive emmitouflé dans nos écharpes et bonnets et le lendemain, pensant que c’est le même refrain, on vient et… on cuit, l’hiver est parti…

Dans le Nord aussi, le dérèglement climatique nous fait des farces. Et il faut y faire face…

La stratégie culturo-géographique

Dans le Nord, on a de tout : de la campagne et des villes, des rivières et des fleuves, des forêts, des plateaux, des plaines, des collines et des vallées. Et, au plus haut du Nord, flirtant entre le Nord et le Pas de Calais : la mer. La Manche. On a aussi des voisins, super sympas : les Belges. Et on s’entend plutôt bien… Dans le Nord, on cultive la betterave, le maïs, le blé, le colza, le malt, on y élève de la vache à viande, de la laitière noire et blanche. On y fabrique et on y trouve du bon fromage, puant aussi : le Maroilles. La bière est boisson princière, préparée dans les belles cuves en cuivre des brasseries rénovées, elle permet régulièrement de sceller l’union sacrée de cette belle amitié franco-belge.

L’occasion est donc vite donnée aux scolaires de partir découvrir sur le temps d’un après-midi ou d’une journée : « La Maison de la forêt », de remonter les canaux de l’Audomarois, de découvrir la faune et flore aquatique en explorant les zones portuaires, de parcourir la campagne pour regarder le blé lever, de s’arrêter dans la belle capitale de Lille ou la grand place d’Arras pour découvrir une architecture particulière ou typique du « coin » ou de profiter d’un des plus grands parcs animaliers belges (Pairi Daiza)…

La stratégie historique

Dans le Nord, il reste beaucoup de vestiges du passé et même si l’œil s’y habitue, comme à un décor permanent, la Seconde Guerre Mondiale a laissé en héritage des blockhaus dans les pâtures et les champs cultivés et ponctué les campagnes de cimetières militaires pour comprendre et ne pas oublier le passé… L’occasion de réveiller la mémoire collective et de sensibiliser les élèves à l’effort et l’offrande de leurs aïeux courageux… Un instant d’histoire, vrai, visible, palpable comme l’émotion…

Mais aussi,…comme le chantait si bien Pierre Bachelet « Au Nord, c’était les corons, la terre c’était le charbon ». Les mines, les chevalements,… un passé bien présent lorsque se dessinent, au sortir du brouillard, ces curieuses montagnes noires : les terrils. L’occasion aussi de pousser un peu plus loin la visite du côté de Nœux-les-Mines, en Pas-de-Calais, pour découvrir le site minier de Lewarde, le plus grand site historique minier en France ou pour y faire du ski !

Hautement branchés les gens des Hauts-de-France, non ?

La stratégie culture artistique

Au Nord, on est aussi très inspiré artistiquement. Peut-être en raison de la météo ? Allez savoir… De nombreux artistes ont généreusement marqué de leur empreinte créative la région : Carpeaux et Watteau à Valenciennes, Matisse au Cateau-Cambrésis, Eugène Leroy, … dans les différents musées dont le Palais des Beaux-Arts à Lille ou encore l’atypique musée piscine de Roubaix ou le Louvre-Lens.

Mais aussi, la belle région des Hauts-de-France, offre moult sites pour découvrir son art du métier avec « la dentelle de Calais », les briqueteries ou poteries de la belle terre d’argile qui « sous-couche » nos sols nordistes et une leçon d’humilité en découvrant la célèbre « bêtise de Cambrai »…

Chaque enseignant et chaque enfant peut trouver une mine de sujets à exploiter !

La stratégie des frites magiques

Dans le Nord, on a des pommes de terre et notre art culinaire est d’en faire des… frites ! D’ailleurs, nous sommes bien fiers d’avoir des « baraques à frites » stratégiquement placées aux chemins croisés de nos villages et au cœur de nos villes. Il est même arrivé d’en voir une stationner dans la cour de récréation du collège voisin pour fêter la fin du brevet ! C’est pas top ça ? Baraque à frites privée pour des collégiens soulagés !

Et puis, les frites, elles ont leur place à la CANTINE ! Elles font partie du menu (si, si, promis !) et tous les mardis c’est « frites » dans les assiettes, c’est magique !

Ça rend les enfants heureux !

La stratégie didactique

Pour les besoins du lecteur, la partie suivante sera traduite en français

Et pis, din ch’nord i’a qué qu’cosse qu’in n’peut nin ignorer : ch’est l’langache.

(Et puis, dans le Nord, il y a quelque chose qu’on ne peut ignorer : le langage.)

In parl’à not sauce. In s’débroulle com’in peut, in fait à s’mote. R’marque d’cou cha donne eun’occasion d’faire du bon franchais !

(On parle à notre façon. On se débrouille comme on peut, on fait à notre manière. Remarquez, de ce fait, cela nous donne une occasion de faire du bon français !)

Eun’ occasion d’apprendre incontournap’. (incontournable). En effet, cette particularité langagière marquée par le relativement facilement identifiable « accent ch’ti » conduit l’adulte enseignant à une pratique indispensable d’articulation des mots.

Il doit permettre à ses apprenants de distinguer : le a/ô, ch/s, ple/ble, j/ch, d/t, p/b, d/t, ouille/oule…

Ajard’hui (aujourd’hui), guernoulle (grenouille), raisonnap’ (raisonnable), apsurte (absurde), garache (garage),…

L’effort pour l’enseignante, pour peu qu’all’ s’laisse in tchio peu ôller…(qu’elle se laisse quelque peu aller), est bien moindre que celui demandé alors aux enfants puisque pourtant ils ont fait ce qu’on leur demandait :

« écris comme tu prononces » …

Qué mic-mac din s’tiète !  (Quel tohu-bohu dans sa tête !)

 

Finalement, c’est peut-être un peu vrai, la vie est tout de même dure dans le Nord…

mais l’essentiel c’est qu’on a la frite !

 

Une chronique de Claire Maurage

2 réponses

    1. Merci pour ce compliment. Puis-je vous demander de quoi il s’agit comme projet ?
      Bon courage.

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