Vendredi 18 mars, fin de matinée, un élève de 4e me demande candidement « Est-ce qu’on parlera de politique cette année ? ». Ce jour-là, nous concluons le chapitre de géographie intitulé « Un monde de migrants » que j’ai entièrement connecté à la guerre en Ukraine et à ses effets. Depuis près de trois semaines, je m’efforce de tisser le contenu du programme au cœur d’une actualité internationale tendue et d’un débat électoral très polarisé. Aux rudiments de l’histoire-géographie qui délivre les repères et les clés de compréhension du conflit, j’ajoute parcimonieusement quelques notions géopolitiques, je répète inlassablement les explications, je rassure du mieux que je peux. À la croisée des préoccupations internationales et des programmes, une sorte de cours total s’est élaboré, il mêle les contenus disciplinaires, interroge les émotions en tâchant de mettre à distance. L’ouverture politique de ces séances est limpide… de mon côté. Réfugiés ukrainiens VS migrants syriens, l’étude aboutit sur les prises de position hexagonales allant de Rokhaya Diallo à Eric Zemmour. Nous sommes dans le débat présidentiel, à la rubrique « grand remplacement et immigration zéro » mais pour ce collégien le lien avec la politique n’est pas évident.

La politique à l’école, objet pédagogique non identifié ?

Guerre russo-ukrainienne, présidentielles, crise sanitaire, nucléaire, terrorisme, rapport du GIEC, prix du carburant, GPA, autonomie de l’île de Beauté, tout cela est éminemment politique. Ces sujets relatifs à l’organisation de la cité, à ses effets sur la société ou à la pratique du pouvoir s’ancrent dans une finalité essentielle de l’enseignement, celle qui consiste à éveiller les consciences citoyennes. De façon intentionnelle ou fortuite, la politique est partie prenante dans nos cours sans qu’un contexte électoral particulier nous y incite.

Mais dans la tête d’un ado, qu’est-ce que la politique quand elle se dilue dans tous les sujets ? À quels moments a t-il le sentiment qu’on en parle vraiment, qu’on lui explique, qu’on lui accorde le droit de dire ce qu’il en pense ? La politique, c’est aussi un héritage de pensée qui se transmet dans le cercle familial avec une reproduction sociale qui n’empêche pas les divergences de point de vue. Cependant pour les élèves dépourvus de cette toile de fond où les acteurs, les enjeux, les rouages sont clairement identifiés, le rattrapage est difficile car l’école ne consacre pas assez de temps au décodage politique. Bien sûr, la vie politique et sociale fait partie du programme tout comme l’étude des institutions. On enseigne le combo république, démocratie, citoyenneté mais on parvient péniblement à ce que la politique s’incarne dans leurs vies.

Coudre un bout d’actu à un morceau de programme est insuffisamment explicite pour une partie de nos élèves. La spé HGGSP (Histoire-Géographie-Géopolitique-Sciences politiques) l’est mais pour des lycéens déjà décidés et emballés par le sujet. Les séances bricolées où nos disciplines croisent le fer avec l’EMC, l’EMI pour traiter un fait d’actualité sont des mécanos où manquent certains fondamentaux. À l’heure d’une dépolitisation et d’une polarisation de la société française, éveiller à la chose publique les enfants des abstentionnistes et des méfiants peut paraître une gageure. Pourtant d’après une récente étude de l’Institut Montaigne, la jeunesse française est plurielle : engagée, révoltée, résignée, transgressive. 26 % des 18-24 ans, appelés dans l’étude « les désengagés », sont en retrait des questions sociétales et politiques et n’expriment pas d’opinion politique.

Si la désaffiliation politique s’amplifie, l’intérêt pour les questions de société reste vif. Les jeunes aiment la politique quand elle n’est pas servie froide. L’impartialité valable pour les enseignants dans le traitement des sujets politiques n’empêche en rien la prise de position et l’engagement des élèves en classe. Bien que notre culture politique s’enracine dans un 1789 bouillonnant et malgré le prescrit incitatif, l’école française n’entraîne ni n’engage tant que ça l’élève à exprimer son opinion et à faire valoir ses arguments. Les choses évoluent cependant et des tendances apparaissent pour un éveil politique et une prise en compte des préoccupations des élèves. Aujourd’hui, la place de l’oralité s’affirme grâce à la multiplication des concours d’éloquence ou dans le sillage du grand oral. L’inscription d’une pratique orale régulière, argumentée et contradictoire manque clairement dans nos enseignements mais la pédagogie de projet (comme celle proposée par les Bâtisseurs de possibles) invite les élèves sur une temporalité de travail d’une année à apporter leur pierre à l’édifice.

Même si l’on peut collectivement mieux faire, l’école reste cette fabrique de citoyens éclairés, la rampe de lancement pour un éveil politique et un engagement pérenne. Elle est surtout le lieu du politique.

Le politique à l’école : liberté, mitoyenneté, fraternité

S’asseoir en classe à côté de ses camarades est en soi politique. Cette mitoyenneté dont parle Sylvain Connac est au centre du projet du collège unique qui, bien que remis en cause de manière forte par certains candidats actuellement, reste la traduction de la devise républicaine à l’école. Le politique, au sens de la capacité à vivre avec ses semblables, doit s’articuler avec l’éveil à la politique qui organise notre vie en société. Dans une France polarisée, l’école est le lieu de l’apprentissage d’une parole politique où l’écoute est aussi importante que l’expression. Tout l’inverse d’ailleurs du spectacle offert par certains candidats lors de cette campagne. Dans la postface de son livre Les Tisserands, Abdennour Bidar appelle de ses vœux une école tisserande où le lien à l’autre, le lien à soi et le lien avec la nature se nouent avec vigueur. « Penser ensemble, c’est déjà agir ensemble. Mais agir ensemble, c’est aussi s’engager ensemble. Chaque semaine, on proposera aux élèves de s’engager dans une activité collective au service de l’intérêt général. On créera des équipes selon un principe simple : une équipe, une responsabilité. (…) Ils prendront conscience concrètement du fait que le « je » et le « nous » ne s’opposent pas, à condition qu’on apprenne à les faire aller de pair – et de la nécessité que chacun dans la société participe au bien commun ».

À l’école, le meilleur programme politique est bien celui que l’on compose et qu’on fait vivre les uns pour les autres.

 

Une chronique d’Emmanuel Grange

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