Rien. 5 km séparent ces deux villes. J’habite à Epinay, où j’ai enseigné le français, par choix, toute ma vie. Dans une ZEP, longtemps, à des CPPN jadis, et à tous ensuite, aux classes dites « difficiles » ; et aussi aux germanistes latinistes : j’enseigne aussi le latin.
Mes enfants ont passé les années collège là où je travaillais. Il y a 20 ans, beaucoup de profs faisaient comme ça. Personne ne cherchait à inscrire son fils ou sa fille « ailleurs », car « ce serait mieux ».
Je vous parle d’un temps où, dans un même établissement, se côtoyaient l’excellence et la plus grande détresse. Les élèves gâtés par la vie, et ceux qui, dès la première semaine, n’avaient rien de la fameuse liste de matériel. Ceux qui parlaient à peine le français côtoyaient ceux qui maniaient magnifiquement la langue. Je vous parle d’un temps où tous les élèves étaient « potes », où la question ne se posait pas de savoir si l’on pouvait enseigner la Shoah, où Mamadou récitait les stances du Cid avec l’accent malien et se prenait un dix-huit, tellement c’était bien dit.
Aujourd’hui mes petits enfants habitent le Val d’Oise. Ma fille, dont les enfants sont arrivés à Montmorency le jour de la rentrée, m’a dit tristement : « Oh là là. Ça fait bizarre. Tous les élèves se ressemblaient ! Habillés tous de la même façon. Petit bermuda. Chemisette bleu clair. Tous les parents étaient BCBG. Pas de petits noirs. Pas de maghrébins. »
Je lui ai répondu que c’était bien regrettable. Que ce manque de mixité était un manque de chance pour tous. Je lui ai parlé de ses années collège et de ses copines Fanta, Souad, Stéphanie et les autres.
Je suis allée à mon tour chercher les petits à l’école. Sacha, qui est entrée en sixième, m’a dit : « Il y a une nouvelle, avec un accent. Elle s’appelle Sarah. Elle vient du Canada. Elle m’a dit « je suis juive » et m’a demandé ma religion, et si je « pratiquais ». Je lui ai répondu : « Je suis juive mais je ne pratique pas, je ne vais pas à l’église ». »
Oh là là.
Tout cela m’a rappelé mon arrivée de Tunis en France, où je me suis retrouvée en terre étrangère, puisque pensionnaire au prestigieux lycée Victor Duruy. Avec l’accent. Les habits « qu’il ne fallait pas ». Les odeurs de cantine qui étaient si différentes et me paraissaient écoeurantes. Et le dortoir où ma voisine de lit était une fille de Giscard d’Estaing.
Tout s’est bousculé dans ma tête. À Sacha qui se disputait avec son frère pour je ne sais quoi, j’ai dit : « Avez-vous parlé en classe de la photo d’Aylan ? »
Non, personne, dans aucune matière, n’a cru nécessaire d’évoquer ce drame. Sacha ne savait pas le drame syrien.
Je parlais de l’actualité avec mes enfants et mes élèves. Je parlais de « l’accent ». Je parlais des « autres ».
Bravo pour votre chronique Sarah!
Nous vivons tous sur la même terre mais certainement pas, hélas, dans le même monde !
Merci pour cette chronique, qui donne très envie de continuer par une conversation : depuis deux ans j’enseigne à Villeneuve-la-Garenne, en zone « sensible » et « zone violence »…et je vis à Montmorency, où ma fille est scolarisée. Nous (mes élèves, ma fille et moi) parlons d’Aylan, de Charlie, des accents…mais « je » vis dans deux mondes que rien ne lie, hormis mes propres allers-et-retours de fonctionnaire de l’EN.
Bon courage à tous/tes !
Vous savez, les animaux aussi ont des « langues », des « dialectes », des « accents »… (Etude scientifique sur une espèce d’oiseaux dans différents parcs de New York dans les années 90. Découverte de « dialectes » chez ces oiseaux). La différence avec nous c’est que lorsqu’un individu quitte le groupe et rencontre un autre groupe, il ne parvient pas à communiquer et il est voué à mourir, même si le nouveau groupe fait des efforts pour l’aider. (Observation scientifique d’un mammifère marin tout jeune n’ayant pas parvenu à survivre après s’être perdu et avoir rencontré un groupe étranger qui a tout fait pour l’accueillir : le petit ne comprenait pas ce qu’on lui « disait ». Découverte de dialectes chez ces mammifères marins.) Nous les humains, sommes supérieurs aux animaux car nous avons la capacité de nous comprendre au-delà des langues, des dialectes, des accents. Nous avons cultivé bien d’autres langages : le repas, la fête, le travail, la sexualité, l’amour, la spiritualité, les arts…
Il faut partir du début : un enfant de 6 ans se passionne toujours pour l’histoire de l’humanité. L’humanité est UNE. Il n’y a pas « les autres » et « moi », mais « NOUS ». Cette humanité nait en Afrique, il existe encore un groupe héritier de ce peuple du « départ » auquel nous devons la plupart de nos gènes, notre intelligence d’Homo Sapiens, nos langages… et notre besoin d’aventure, aller voir ailleurs, coloniser la Terre pour essaimer cette humanité, la renforcer, lui donner toutes les chances de survie possibles. Ce groupe a essaimé en Afrique, mais il est aussi sorti d’Afrique par vagues successives, il a vaincu des glaciations et des sécheresses terriblement destructrices pour trouver son paradis d’abord en Australie, puis une autre vague a essaimé au Moyen Orient où elle a rencontré l’homme de Néanderthal qui était dans le secteur et en Europe depuis des centaines de milliers d’années et dont nous portons des gènes, en Asie où il a rencontré l’homme de Flores au Sud et au Nord l’homme de Denisova auquel il s’est uni comme on le prouve par les Tibétains qui ont reçu d’eux des gènes qui les rendent capables de vivre avec 40% d’oxygène par rapport au reste de l’humanité.
Ce qui a rendu notre survie possible, c’est à la fois l’intelligence du Sapiens des « départs », celui vivait en Afrique, assez mûre pour permettre les grandes aventures périlleuses de l’exploration de la Terre, et la capacité de tous les Hominidés à communiquer ensemble, quelle que soit leur espèce, jusqu’à s’unir en enrichissant leur capital génétique (et technique, et culturel, et spirituel…) si précieux pour augmenter nos chances de survie.
Lorsqu’un étranger arrive dans notre groupe, il ne vient pas nous affaiblir ni s’affaiblir, il vient nous renforcer et se renforcer tout autant. En racontant l’histoire de l’humanité aux enfants, il devient évident que la mixité est un renforcement, pas un affaiblissement. Est-ce que les enseignants pensent à raconter l’histoire de notre humanité aux enfants ? Je ne crois pas qu’on fasse passer un message aussi important que l’accueil du différent juste par de bonnes paroles, des yaka, des fokon, des lamentations et de la morale à 2 balles… Des faits, du réel, de la démonstration, des arguments, des histoires bien concrètes ont bien plus de poids. Sans parler de la beauté de cette grande aventure : les enfants sont esthètes, est-ce qu’on pense à les nourrir de beauté aussi ? La beauté de l’humanité, toute cette diversité, ce courage, cette intelligence, cette créativité, toutes ces folies, ces erreurs aussi, comment on en vient à épuiser un sol il y a des milliers d’années, comment on en vient à décimer presque toutes les espèces de grands mammifères il y a des milliers d’années déjà, comment des espèces humaines entières en sont venues à disparaitre de la Terre (Néandertal, Denisova, Flores et les autres à découvrir bientôt…), comment on en est venu à presque éradiquer des dizaines de millions d’Amérindiens… Pourquoi avons-nous peur de ce qui nous a toujours renforcés ? D’où vient cette peur ? Qui la fabrique ? Pourquoi obéissons-nous bêtement ? Qui a intérêt à fabriquer et entretenir ces peurs ?..
Bonjour Sarah !
J’enseigne à Paris dans un établissement ZEP du 11ème populaire, dit « collège d’Europe » avec pourtant des enfants de toutes les couleurs, et de toutes les origines. Depuis quelques années, l’évolution de la population dans le quartier, le changement de carte scolaire, l’ouverture de l’option bilangue en 6ème, d’une classe de NSA (non scolarisés antérieurement), et même d’une classe ULIS, une autre mixité s’est installée, plus sociale. Les enfants apprennent ici, en plus des enseignements dispensés par leur professeurs, la tolérance et la curiosité de l’autre.
Tout un petit monde qui se côtoie dans la joie et la bonne humeur le plus souvent : ce sont tous des enfants avec des rêves plein la tête, même si certains ont des parcours parfois compliqués voire douloureux.
La semaine dernière, « semaine des langues « européennes », notre collègue d’espagnol a choisi de proposer à tous les élèves qui le souhaitaient de présenter leur langue d’origine, ou langue parlée par leurs parents. Tous les continents étaient représentés. Une belle idée pour créer du lien !
La réforme du collège qui se prépare et notamment la possible fermeture des bilangues nous fait craindre pour ce fragile équilibre d’autant que dans le quartier un établissement privé recrute sur les mêmes écoles que nous.
Affaire à suivre donc !
Bon courage à tous.