L’autre jour, j’évoquais mon quotidien de TZR, trouiller, zôner, râler. Il fut un temps où enseigner rimait pour moi avec trouiller, enseigner, pleurer. Je n’étais pas TZR, mais néo-titulaire en poste fixe dans un collège dit « très difficile » de région parisienne. À cette époque, pas de réseaux sociaux, ni de smartphones, sinon certains élèves ne s’en seraient pas privés. Je sortais victorieuse d’un stage dans un petit collège et arrivais, la fleur au bout de la craie, si je puis dire. J’avais 25 ans.
Avec certaines classes, les choses se passaient entre « pas terrible » et « très bien » : souvenir d’une troisième avec l’état d’esprit d’une première L, souvenir d’une autre troisième au début très difficile devenue sympa, grâce à un P.P. génial et peut-être aussi ma ténacité. Et puis, il y avait cette classe-là. Impossible de la mettre au travail : chaises renversées, hurlements, jets de projectiles, pas moyen de faire autre chose que des exos sur photocops à la tonne car impossible d’écrire au tableau…
L’année passe. J’ai le sourire quand même, car je viens de rencontrer l’homme qui est aujourd’hui mon mari. Les collègues âgés compatissent, les jeunes se gaussent. Je pleure parfois à la récré, me réfugiant dans les toilettes. Pourtant, tout le monde le sait, je n’ai pas honte de ces difficultés. Rien ne change malgré bien des tentatives : rire de leurs bêtises inacceptables, co-animer un cours avec un prof qu’ils apprécient, etc. J’en prends mon parti : trois heures de cauchemar par semaine et basta. Juste avant un conseil de classe, un élève me traite de : « sal*** ». J’en parle en haute instance. Le lendemain, je suis blessée au visage alors que je monte un escalier. Je ne remettrai plus les pieds dans ce collège à quelques petites semaines des grandes vacances.
Je me remets l’été, après deux séances chez un psy peu compatissant. Je fais ma rentrée dans l’établissement que j’avais demandé à l’intra, mais où je déchante vite. Quatre heures dans le supérieur en plus, ambiance discutable, à la veille des conseils de juin, je craque… Trois semaines d’arrêt et pas envie de reprendre à la rentrée. Mon entourage ne comprend pas mon choix. Je tiens bon. Je demande une dispo. Une nouvelle vie commence.
Pendant huit ans, j’enchaîne les métiers : agent administratif, assistante de direction, responsable de magasin, rédactrice, et traductrice freelance la plupart du temps. Je gagne moins bien ma vie, mais ma mobilité rend service à mon conjoint souvent muté. Et puis, j’apprends plein de choses, je me fais un carnet d’adresses, je suis reconnue… Je donne aussi quelques cours particuliers. L’école ne me manque pas, pour moi, c’est terminé.
Un jour, j’arrête une mission régulière de rédaction qui ne me motive plus, et il faut que je retrouve du travail. Lors d’une réunion, j’entends parler d’une école privée hors contrat post-bac où la prof d’anglais est partie, il faut assurer juste quelques heures par semaine. Je me propose. Je reste un an, deux ans, trois ans. Les étudiants me font confiance, je leur manque quand je pars en congé maternité. Je me dis que j’étais peut-être faite pour enseigner. Et je n’ai plus droit qu’à deux ans de dispo (*). Mon mari me somme de retourner à l’Éducation nationale. Une femme à son compte avec jeunes enfants qui gagne à présent moins qu’un SMIC, ça l’empêche de dormir.
C’est ma troisième rentrée après huit ans d’interruption de carrière. J’ai changé de région, niveau âge je pourrais être la maman de mes élèves, ce qui aide aussi. Aujourd’hui, je ne regrette rien. Il paraît qu’il faut pardonner. Des années de psychothérapie m’ont permis d’y arriver, avec du mal et de la tristesse, encore aujourd’hui.
Pourtant, parce qu’il le faut, je pense à l’ensemble de mon expérience professionnelle et c’est la joie qui prime. Cet épisode, que je ne souhaite à personne, m’a donné l’occasion de réaliser mes rêves : devenir journaliste, voyager, exercer de nombreux métiers… J’aurais aimé que les choses se passent moins violemment, mais aurais-je osé quitter l’enseignement si je n’avais pas été poussée à le faire ?
Aujourd’hui, je ne rêve plus que je fais l’école buissonnière comme à mes débuts. Je suis toujours un peu triste aux veilles de vacances car j’ai retrouvé le plaisir d’enseigner. Certes, je ne suis plus dans des coins dits « difficiles », je n’ai plus les 21 points de sortie de stage qui m’avaient fait atterrir dans ce collège. J’ai aussi fait le choix de me rapprocher d’un syndicat pour exercer mon métier de manière plus éclairée, défendre mes droits. J’exerce à mi-temps et continue à écrire car je ne voulais pas ignorer toutes ces années de travail indépendant. J’ai vite demandé une inspection pour être sûre de fournir du bon travail. J’ai même été amenée à avouer sans honte à des élèves que j’avais vécu des violences en milieu scolaire.
Je dédie ce post à tous les profs ayant subi une agression et qui ne savent pas encore s’ils reprendront un jour le chemin de l’école. Rester sur une mauvaise expérience est encore plus traumatisant, m’a-t-on souvent répété. Je pense que c’est vrai.
Une chronique de Frédérique
(*) J’ai appris depuis, que la législation était plus complexe et que l’on pouvait bénéficier de plus de dix ans de dispo avec certains motifs (éducation de jeunes enfants etc.).
Bonjour Frédérique,
Merci pour votre témoignage. Je n’ai pas été agressé physiquement par un élève mais agressé moralement par une élève, une collègue, par la psy, par mon directeur et par l’inspectrice.
Heureusement, les parents d’élèves qui me connaissent depuis longtemps, m’ont soutenu massivement.
Ils ont fait circuler une pétition et m’ont envoyé des lettres pour me soutenir et m’encourager.
Les « collègues » ont réagi par la plus totale indifférence.
Maintenant, je les comprends. A chacun sa « me…. » <>
Nous sommes seuls dans nos classes, avec nos élèves qui assistent à une pièce de théâtre.
Dans ce métier, qui m’a passionné pendant 39 ans, c’est cette SOLITUDE qui m’a le plus touché.
J’ai porté plainte à la gendarmerie pour calomnie mais le fonctionnaire qui m’a reçu a rigolé en disant que ma plainte était irrecevable car sans témoins.
Bref, depuis 13 ans que cela s’est passé, je n’ai pas tout à fait digéré « l’incident »
J’ai eu souvent des idées de meurtre
Mais quelques années plus tard, avec la mort de mon fils ainé ( 34 ans ) due à une maladie nosocomiale ( staphylocoque doré ) j’ai compris, très douloureusement, quelles étaient les vraies priorités dans la vie.
Une psychologue clinicienne spécialisée dans le deuil m’aide à retrouver un peu de mon équilibre.
Je continue de travailler régulièrement avec de très jeunes enfants, grâce à KAMISHIBAI.
.Et là , je suis sur une autre planète.
J’oublie ( si on peut dire ) mon garçon chéri qui me manque et je ne pense plus qu’à mon spectacle et à mes spectateurs qui écoutent mes histoires bouche bée.
Quoiqu’il arrive,( je pense aux attentats ) la vie continue et la terre poursuit sa route inexorable autour du soleil.
Encore une fois, Frédérique, votre témoignage m’a profondément ému et je vous en remercie.
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jacques san.
Jacques san,
J’ai longtemps hésité à témoigner, une dizaine d’années en fait, je cherchais juste le bon média pour. Je suis aujourd’hui contente de l’avoir fait. Au moment où je lis votre témoignage, je viens d’apprendre le décès de la fille d’une collègue, une histoire qui croise la vôtre. Et on se rend compte que les choses vraiment graves nous ramènent à la réalité, font relativiser les choses qui fâchent, qui affaiblissent mais ne tuent pas réellement. Je vais me renseigner sur le kamishibai car je suis curieuse et férue de culture japonaise (même si la mienne a quelques manques). Encore merci pour votre commentaire.
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