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À quoi rêvent les algorithmes

Algorithme

Les algorithmes, ces calculs invisibles qui donnent des séries d’instructions aux machines pour vous permettre d’effectuer une recherche sur Google ou de commenter le dernier post Facebook de vos « amis », vous intriguent et vous inquiètent ? Votre esprit – curieux et rusé – vous pousse à essayer de comprendre les dessous du monde numérique dans lequel nous vivons ? Je ne peux donc que vous recommander la lecture du dernier ouvrage de Dominique Cardon, À quoi rêvent les algorithmes – Nos vies à l’heure des big data. Ce petit ouvrage fort riche a en effet le mérite de dédramatiser notre vie algorithmique en nous donnant des clés d’analyse pour comprendre ses multiples facettes.

Trop rébarbatifs, les algorithmes ? Si cela peut vous rassurer, les maths me donnent des boutons depuis ma plus tendre enfance et je n’ai jamais su écrire une seule ligne de code. Pourtant, À quoi rêvent les algorithmes m’a fait comprendre qu’il était important de se pencher sur le sujet sans faiblir. Comme le rappelle l’auteur dès l’introduction, l’abondance actuelle des données numériques (les fameuses big data), le développement de la statistique prédictive et de la puissance de calcul des ordinateurs, rendent (presque) toutes nos activités numériques calculables.

Mais comment garder notre esprit critique et notre sang-froid face à des procédés techniques qui nous dépassent, me direz-vous ? Dominique Cardon nous encourage justement, pour ne pas céder aux sirènes de la science-fiction, à développer une « culture statistique » qui ne serait plus réservée aux seuls spécialistes.

Là encore, par où commencer ? Pas de panique, l’auteur nous montre qu’il est possible – et nécessaire – d’interroger les fameux algorithmes pour mieux maîtriser leur usage : quelles sont les données personnelles qui servent aux calculs ? Comment les informations recueillies puis stockées sont-elles quantifiées ? Quels principes de représentation animent le modèle mis en œuvre pour classer les divers objets qui circulent sur la toile ? Qui pilote le codage des calculs et quels sont ses objectifs ? sont autant d’interrogations évoquées au fil de la lecture.

 

Pour nous éclairer sur ces questions complexes, tout droit sorties d’un monde nébuleux, l’auteur classe les algorithmes utilisés sur Internet en quatre familles de calculs, que nous retrouverons tout au long de l’ouvrage :

  • La mesure de la popularité, par le décompte des clics (employé dans la publicité sur Internet, par exemple) ;
  • La mesure de l’autorité, qui prévaut, par exemple, dans le système de classement de l’information du moteur de recherche de Google ;
  • La mesure de la réputation, pratiquée sur les réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter ;
  • Et enfin, des mesures prédictives, réalisées grâce à l’apprentissage des machines, à partir des traces de navigation des internautes et du comportement des autres utilisateurs (Amazon, quand tu nous tiens !).

 

Chaque type d’opération, par exemple le PageRank de Google, inspiré des méthodes des revues scientifiques, nous est d’abord décrit de façon détaillée : son histoire, son principe, son rapport aux utilisateurs, mais aussi ses failles. Une fois les présentations faites, Dominique Cardon déplie les ramifications des différents algorithmes, pour mieux nous montrer la place grandissante qu’ils tiennent dans le monde social et leur influence sur nos représentations.

Une petite anecdote tirée du livre éclairera peut-être mes dires de façon plus concrète : alors qu’en 2011, le mouvement Occupy Wall Street prenait de l’ampleur aux États Unis, ses leaders ont accusé la plateforme Twitter de « censurer » la mobilisation. En effet, les hashtags #occupy et #OWS (Occupy Wall Street) ne sont pas apparus dans les « tendances » ou trending topics qui auraient permis d’accroître la visibilité du mouvement sur le réseau social. Si le volume de ces mots clés justifiait leur mise en valeur, ils se sont diffusés trop lentement pour créer un pic attentionnel à la manière, par exemple, des catastrophes naturelles (ce sujet est évoqué dans l’article de Tarleton Gillespie « Can an Algorithm be Wrong? » Limn, n°2, mars 2012).
Selon Dominique Cardon, c’est parce que Twitter privilégie les mouvements d’opinion immédiats et simultanés, à la manière du direct télévisuel et de la viralité sur Internet, que sa méthode a desservi un mouvement citoyen pourtant populaire. Les méthodes de calcul des plateformes qui nous utilisons quotidiennement donnent donc une forme aux informations.  Expliquer aux élèves les rouages de cette « culture du “pic attentionnel”», c’est donc leur apprendre à déconstruire leur représentation des informations qu’ils reçoivent désormais en flux quasi continu.

En donnant à voir les idéaux et, souvent, les idéologies qui président à l’invention de chaque nouveau calcul, l’auteur dessine également un saisissant portrait de nos sociétés, et nous confronte à nos propres idées reçues. Si les algorithmes sont aussi présents dans nos vies, c’est parce que nous leur avons laissé cette place, rappelle-t-il. Loin d’être totalement impuissants, nous portons notre part de responsabilité face à ces calculs, une responsabilité qu’il est peut être important d’inculquer aux jeunes citoyens qui peuplent les classes ? Une chose est sûre, après la lecture de cet essai, vous ne verrez plus Internet, votre smartphone ou les apps qu’utilisent vos élèves de la même manière.

 

Une chronique de Tiphaine

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