Oui tout à fait !
- Car il est tellement grisant de se voir étaler sur la table basse une imitation du jeu RISK, dont le champ de bataille est votre salle de classe. Les petits pions, vos élèves, disséminés ici et là ; et vous, cherchant souvent et vainement la combinaison miraculeuse qui fera régner le silence dans votre playground. Votre conjoint rentre et vous demande ce qui vous met tant en joie. Mais la création que diable ! D’enseignant vous passez stratège géopolitique, prenant en compte non seulement les conflits spatiaux temporels, mais aussi les indicateurs calorifique et climatique. Paolo, quand il a chaud, il éructe. Priscillia, quand il pleut, elle déprime. Évitez donc pour les deux le radiateur et la fenêtre.
- Car le plan de classe peut tout simplement vous sauver d’une séance d’évaluation qui prend l’eau. Vous avez tous vécu ce moment. Vous étiez intimement persuadé que cet exercice serait effectué en 45 minutes. Le temps de ranger et pim, la cloche sonnait, et vous étiez en week-end au ski. Et pourtant. Au bout de 30 minutes, vous avez beau fusiller du regard les malandrins qui vous rendent les copies, leur demander de se relire, rien n’y fait. Il est 17 h 00 et ils ont tous terminé. Même Joachim, qui n’a jamais vraiment commencé mais qui vous a rendu rapidement sa copie blanche cette fois ci. Que faire ? Lancer un débat, qui se finirait en pugilat ? Nullement. Vous les regarderez et le premier qui parlera deviendra la victime expiatoire. Comme si vous aviez tout préparé d’avance, vous lancerez votre anathème. « Parfait, et bien faisons un plan de classe puisque vous discutez tous ! »
Ils le haïront. Mais la haine bouclera vos 25 minutes.
- Car le plan de classe est un moyen efficace durant le PPCR d’orienter l’inspecteur vers le côté lumineux de votre classe. Placez donc sa chaise en territoire sainement occupé. Entre Noémie, celle qui lève toujours le doigt en premier et Damien, qui en seconde sait déjà plus de choses que vous en histoire-géo. Oubliez les territoires perdus de la République, au moins pour cette heure ! Demain vous pourrez à nouveau écouter les remarques de Clotaire sur le fait que couper les pointes des cheveux les empêche de repousser. Pensez au moins à VOUS une heure dans l’année bordel !
Non pas du tout !
- Car ce fameux soir où vous jouez les Machiavel, les despotes éclairés, vous faillirez. Tôt ou tard. Ils vont plus vite que vous. Leurs querelles, leurs amitiés durables à durée limitée, de « t’es ma BFF » à « espèce de grosse chienne », prendront le pas sur vous. Faire un plan de classe. C’est essayer de gérer les problèmes des Lannister, des Stark et des Baratheon à échelle pédagogique. Rien ne peut être paramétré, contrôlé à l’avance. Vous finirez le plan de classe que les deux meilleurs amis se seront brouillés à jamais. Jusqu’à la semaine prochaine. Vous voulez vraiment stopper un tsunami avec un mur en pâte à modeler ?
- Car établir un plan de classe, c’est faire offense à votre faculté de gérer vos bambins. C’est se faciliter la tâche inutilement, c’est volontairement rompre l’hétérogénéité de votre classe pour la structurer à échelle professorale. Vous prendriez-vous pour Dieu le Père ? Qui êtes-vous pour penser que des antagonismes les plus barbares ne ressort pas la plus belle des colombes ? Abel et Caïn. Romulus et Rémus. Kaaris et Booba. Voulez-vous être celui qui va freiner leurs instincts créatifs, sous la seule et simpliste raison qu’ils se détestent et que vous risquez un conflit ouvert ? Non. « Let the sun shine in ». Vous n’en sortirez que grandi, en laissant les élèves gérer l’apprentissage de la vie, de la vie en communauté. Et vous, en habile tribun, vous saurez ménager les égos, afin de faire sortir le meilleur des situations les plus conflictuelles. Faites-vous confiance !
- Car le plan de classe est complètement dépassé, « old school ». Car ça fait bien des années que vous remarquez que l’indiscipline de vos élèves dépasse le simple cadrage de leur périmètre immédiat. C’est leur faire offense que de penser ça. Vous n’avez jamais vécu cette séance sur la laïcité où soudain, deux garçons situés aux deux coins de la pièce se lèvent, tels deux colosses, pour en venir aux mains. Ils ne sont pas à côté, ne se parlent jamais. Et pourtant. ET pourtant alors que vous parlez de la loi de 1905 les petits doigts de vos élèves font leur travail. Non, pas celui d’écrire votre cours. Celui de répandre sur les réseaux sociaux que Mike a un petit zizi tout fripé. Dixit Tom. Qui le dit à Bastien. Qui le capture écran pour Dim. Qui le snapchat langue de chiot en bombe pour Cédrick. Qui le publie sur sa story Insta hashtag zizimoumike. Et quand Paul partage ça sur FB et qu’il a Mike en ami… Eh oui, tout ça se passe pendant que vous parlez ! Et bim, combat de coqs. Vous voyez bien, plutôt que de faire un plan de classe, achetez un brouilleur. C’est plus efficace.