Ces derniers jours le teaser du film Les SEGPA co-produit par Cyril Hanouna, enflamme la toile et un fait un tollé dans le monde de l’éducation.

Un film de mauvais goût

La sortie de ce film est prévue pour avril 2022 et est l’adaptation d’une web-série du même nom qui est déjà connue sur YouTube et fait un carton chez les jeunes en parodiant sur le ton d’un humour sarcastique les élèves en SEGPA (Section d’Enseignement Général et Professionnel Adapté).

Les premières images dévoilées dans la bande-annonce du film sont purement une mauvaise parodie au goût amer de ce que n’est pas l’enseignement adapté : des élèves de collège ayant l’âge de lycéens, des parents maltraitants, des classes sans mixités sociales, des jeunes sans codes,  …

L’image des enseignants n’a pas encore été dévoilée dans ce teaser, mais elle sera sans doute tout autant édulcorée.

La web-série Les SEGPA n’a pourtant jamais autant révolté le monde enseignant que l’annonce de ce film éponyme : une pétition a été déposée en ligne sur la plateforme change.org « Non à la dévalorisation des élèves de SEGPA », partagée, tweetée et retweetée. Elle a été signée pour l’heure où je compose ces quelques lignes par plus de 86 000 personnes en moins d’une semaine avec un objectif de 150 000 signataires à atteindre.

Le remake raté

Ce remake met en lumière une image erronée de l’enseignement adapté et met en évidence une méconnaissance totale de ce dispositif éducatif et du profil des élèves de SEGPA. Il exacerbe les traits de comportements et renforce l’image délétère que beaucoup de personnes ont de ces élèves, qui sont trop souvent perçus à tort comme des élèves « agités », « peu intelligents », « violents » ou encore « issus de familles pauvres ».

Ces élèves sont trop couramment pointés du doigt et parfois même simplement traités de « SEGPA » par d’autres collégiens tellement les préjugés sont forts et ancrés dans les mœurs. Ce type de harcèlement est récurrent, les élèves l’expriment eux-mêmes en disant se sentir « nuls », « incapables » ou « bêtes ». Nos élèves souffrent de cette différence qui est en réalité un atout. Être en SEGPA pourrait en faire pâlir plus d’un avec des enseignements en petits groupes, de la transversalité, une connaissance précise de chaque élève par les enseignants, une adaptation continuelle des enseignements aux besoins de chaque élève, la construction progressive d’un avenir avec l’apprentissage de techniques professionnelles en ateliers et une disponibilité des enseignants pour tous les élèves. Cela ne devrait-il pas refléter le fonctionnement de tous les établissements, adaptés ou non ?

Pour nous, enseignants, qui œuvrons au quotidien pour valoriser et redonner confiance en nos élèves et en leurs capacités de réussite, ce film est une aberration sans nom et participe à la stigmatisation d’élèves déjà en souffrance.

Être en SEGPA ce n’est pas un film, mais une réalité

Heureusement, dans ce sombre dessin tout n’est pas noir. De magnifiques projets sont menés pour faire découvrir entre autres l’enseignement adapté avec notamment le festival de courts-métrages « Toute la lumière sur les SEGPA » crée en 2011 dans les Bouches-du-Rhône.

Avec l’aide d’intervenants et de leurs enseignants, des collégiens de SEGPA sont amenés à réaliser des courts-métrages portant sur des thématiques engagées comme la sexualité, les inégalités, la religion, la poésie, la cause animale, la tolérance, etc.

Ce festival permet, comme l’indique son nom, de mettre en lumière le travail et le potentiel de chaque élève qui constitue une richesse illimitée pour mener un projet d’une telle envergure pendant sept mois.

C’est également un moyen pour les enseignants de travailler de manière détournée et ludique les savoirs, savoir-faire et savoir-être tout en valorisant le travail des élèves par la réalisation d’une œuvre concrète à l’image des chefs-d’œuvre engagés récemment lors de la transformation de la voie professionnelle pour les élèves de CAP et bac professionnel.

À l’opposé du film Les SEGPA, le film documentaire #SEGPA Le Film de Max Tchung-Ming, enseignant et formateur Académique interroge d’une manière bienveillante et pragmatique des élèves en SEGPA sur ce qu’ils ressentent, sur ce que c’est « être en SEGPA et être un élève de SEGPA ». Le réalisateur utilise l’interview-portrait pour peindre le quotidien de ces élèves, qui évoquent avec leurs propres mots et leur fragilité ce qu’ils éprouvent. L’insouciance de ces jeunes semble s’être envolée par la stigmatisation qu’ils vivent quotidiennement venant notamment de leurs camarades et de la représentation erronée de l’enseignement adapté.

En définitive, un film portant le nom Les SEGPA en tant que diminutif réducteur pour évoquer le quotidien des élèves en SEGPA est encore un point de plus de non-retour.

Une chronique de Valentin de Angelis, Professeur des Lycées Professionnels enseignant en SEGPA

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