« Madame, à quoi ça sert d’avoir des cours d’art dans nos parcours de formation ? »

Il n’est pas rare, lorsque nos jeunes sont à l’école, qu’ils nous demandent, à nous, les adultes, « pourquoi fait-on des arts à l’école et à quoi ça sert ? » sous-entendant par là que les cours d’arts plastiques, d’arts oratoires ou dramatiques, de musique, ou de danse, ne leur paraissent pas très « importants » vis-à-vis du reste de leurs enseignements généraux.

En tant qu’enseignante-formatrice de français, mais aussi d’arts appliqués, pour mes classes de baccalauréat professionnel (en section commerciale), il n’était pas rare, chaque année, que la question me soit posée dès le premier cours, notamment au moment de la présentation de chacun(e), lors de mon habituel tour de salle.

Pour « dédramatiser », sans mauvais jeu de mots, cette question assez déroutante pour les parents comme pour les enseignants et plutôt que de me lancer dans une longue et fastidieuse tirade philosophique sur l’intérêt individuel, collectif, pratique, ludique et enfin intime de toute création artistique, en cours de français puis d’art, j’ai proposé à la classe de jouer à plusieurs jeux. Ces jeux, à l’origine inventés par les surréalistes et les dadaïstes, ont été revisités par mes soins selon l’objectif de présentation des élèves dans ce tour de salle. Pour mémoire, le mouvement Dada (1915-1923) est un acte de révolte contre l’ordre bourgeois, le mouvement du surréalisme (1924-1969) conteste quant à lui les conventions et normes esthétiques.

Quels étaient ces jeux aux origines artistiques dadaïstes/surréalistes ?

Le jeu du « cadavre exquis » :

Comme le rappelle à juste titre Wikipédia, « le Cadavre exquis est un jeu graphique ou d’écriture collectif inventé par les surréalistes, en particulier Jacques Prévert et Yves Tanguy, vers 1925. » Ses origines sont les suivantes. Le jeu du « Cadavre exquis » est une pratique des adeptes du mouvement littéraire, culturel et artistique appelé « Surréalisme », daté du début du 20e siècle et créé notamment par le poète et écrivain français André Breton. On retrouve parmi les adeptes surréalistes des artistes renommés tels que Salvador Dali, Apollinaire, Luis Buñuel…

Le principe de ce jeu aux multiples possibilités créatives (dessin, peinture, sculpture, écriture, poésie, etc.) est de créer un texte ou un dessin collectif sans que les participants ne puissent s’inspirer de ce que les autres joueurs ont fait avant eux.

Les règles d’application du « Cadavre exquis » en classe de dessin :

Donnez à chaque élève une feuille de papier vierge et demandez à chaque jeune de se dessiner soit le visage, soit une partie du corps. Faites-les plier le papier en deux. Puis, chacun(e) fait passer son « morceau » de dessin à son voisin et dessine la suite du visage ou du corps, sur la même feuille, avec l’élément de leur choix. Ces éléments graphiques sont des choses, des formes, des couleurs, etc. dans lesquels ils doivent se reconnaître, et ainsi de suite jusqu’aux pieds ou tout du moins jusqu’à ce que le corps et la tête/le visage soient entièrement « complétés ». A la fin, chacun découvre alors le dessin final qu’il a en face de lui. Le succès de cette expérience ludique et artistique est assuré et les fous rires garantis. La première fois, mieux vaut participer vous-même au jeu pour guider un peu les élèves qui sont le plus souvent plutôt incrédules au départ.

Le jeu vous pouvez demander aux élèves d’ajouter sur la feuille des éléments qui les définissent, qui leur ressemblent ou encore auxquels ils tiennent tout particulièrement.

Une fois une ou plusieurs sessions du jeu terminée(s), prenez le temps de débriefer avec les élèves à l’oral pour qu’ils présentent leur création et expliquent le pourquoi de leur(s) choix représentatif(s). Cet exercice donne ainsi l’occasion de pratiquer collectivement le dessin et ensuite de l’interpréter individuellement pour se raconter à l’autre.

C’est donc une belle expérience de co-construction identitaire que ce jeu artistique du Cadavre exquis. Voici une première réponse concrète à apporter à la question « À quoi servent les arts à l’école ? ».

Exemple illustré ci-dessous d’un jeu de « Cadavre exquis » par les artistes surréalistes :

exemple de cadavre exquis

Document 1 : Capture d’écran issue du blog http://il-etait-une-fois.com/jeu-cadavre-exquis/, blog consulté en ligne le 22.06.2022.

D’autres exemples de jeux dadaïstes/surréalistes

À partir des lettres de son prénom, chaque élève doit créer un poème surréaliste dont chaque lettre est l’initiale du premier mot de chacun des vers de ce texte.

Chaque élève devait écrire un texte d’au moins une page manuscrite « en écriture automatique » sur le thème de son choix.

Application des principes du surréalisme/dadaïsme en classe : l’art est source d’apprentissages pratiques autant que culturels

Dans le parcours de formation en arts appliqués des baccalauréats professionnels, les directives du référentiel sont précisées en ces termes dans cet extrait :

Référentiel ministériel pour l'enseignement des arts appliqués en bac pro

Document 2 : Capture d’écran du Référentiel ministériel pour l’enseignement des arts appliqués en baccalauréat professionnel.

Par conséquent, pour « construire son identité culturelle », chaque élève doit « élargir sa culture artistique » et « appréhender son espace de vie ». Le surréalisme en occupant une place essentielle dans l’histoire de l’art et des idées de la première moitié du 20e siècle, était l’occasion d’approfondir les connaissances des élèves sur cette période en développant leur culture artistique. En effet, le surréalisme affirme dès sa fondation en 1924 son ambition subversive de réinventer la création en mettant en avant l’inconscient et le rêve (éléments importants de toute construction culturelle et identitaire). Si cette première phase du surréalisme est bien connue, celle qui suit l’est beaucoup moins.

En 1927, une partie de ses membres, parmi les plus influents, s’engage au Parti Communiste Français et, pour rendre compatible art et matérialisme dialectique, cherche de nouvelles pratiques pour subvertir le réel sans le nier. À travers plus de 200 œuvres, des premiers ready-made de Marcel Duchamp aux sculptures de Miró de la fin des années 1960, le dadaïsme puis le surréalisme retracent les moments clés de ce recours à l’objet quotidien.

Pour illustrer cette réflexion autour de l’objet quotidien dadaïste/surréaliste, vous pouvez admirer ci-dessous quelques-unes des réalisations de mes élèves en classe d’arts appliqués (Documents 3 et 4).

dessin d'élève

Document 3 : Travail de Chloé (élève de Bac Pro) sur les « ready-made ».

collage d'élève

Document 4 : Travail de Coline (élève de Bac Pro) sur une version surréaliste d’une chaise.

Cet exemple du mouvement surréaliste/dadaïste exploité dans mes cours d’arts appliqués en baccalauréat professionnel, apporte une seconde réponse à la question de l’utilité de l’art à l’école : étudier l’art au sens large à l’école c’est permettre à la jeunesse de s’ouvrir à un monde de connaissances nouvelles à la fois culturelles et personnelles.

Les cours d’arts sont sources de révélations, parfois même, de vocations !

Pour conclure, nous pouvons dire, grâce à ces différentes situations de classe, que l’imaginaire en arts est prépondérant et qu’il peut servir à la construction de la personnalité de nos élèves.

Avec l’exemple du « surréalisme/dadaïsme », on a vu que l’objet quotidien se trouvait placé au centre des réflexions de l’élève. Ces réflexions se trouvent alors nourries par l’inconscient, le rêve, la création pratique et l’acquisition de savoirs artistiques et culturels. Cette culture, à la fois personnelle et commune, est un gage de savoir-faire comme de savoir-être pour la jeunesse qui parfois se découvre une âme d’artiste au point d’en faire son choix d’orientation professionnelle comme certains de mes élèves poursuivant à présent leurs études et/ou formations professionnelles dans les domaines aussi variés que l’art mural, le luxe ou encore l’art du tatouage, etc.

Les arts semblent donc essentiels à nos vies et possèdent, comme dirait Marcel Duchamp, une « valeur d’usage » incontestable voire déterminante pour certain(e)s d’entre nous.

 

Une chronique de Séverine Oswald

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