L’école de Monsieur Lazhar

Je vous propose d’aborder cette nouvelle rentrée scolaire à travers le film québécois « Monsieur Lazhar« ,  sorti en France le mercredi 5 septembre et présenté aux Oscars derniers dans la catégorie « Meilleur film étranger ». Vous retrouverez l’ensemble du dossier pédagogique du film auquel j’ai collaboré en cliquant sur le lien précédant, et dont je vous livre ici quelques extraits :

« Le film de Philippe Falardeau aborde de manière complexe et sensible les relations qui se tissent dans une école élémentaire de Montréal entre de jeunes élèves dont l’enseignante s’est suicidée et le remplaçant de celle-ci, Bashir Lazhar (incarné par l’acteur Fellag), un immigrant algérien de 50 ans, lui-même porteur d’une histoire douloureuse.

Cette rencontre singulière soulève avec sobriété de nombreuses questions touchant à la nature même du lien éducatif, sans jamais prétendre y répondre de manière univoque :

Le savoir peut-il se transmettre de manière immuable ? Quelles sont les qualités requises pour pouvoir enseigner ? Quel espace doit-on accorder à la vie privée au sein du cours ? Qu’attendent les élèves des adultes pour se sentir bien à l’école ? Comment accueillir les mouvements affectifs qui traversent la salle de classe ?

Lorsque Bashir Lazhar propose ses services à la directrice de l’école, il est convaincu qu’il suffit «d’aimer beaucoup les enfants», de reproduire rigoureusement les méthodes qui ont fonctionné pour lui quand il était élève et de porter un costume sombre pour exercer la fonction de professeur. (…)

Mais la «tenue» nécessaire pour faire la classe ne se réduit pas à l’adoption d’une panoplie impersonnelle : Le film illustre (…) avec finesse les différentes facettes de l’autorité enseignant :

– Bashir est tout d’abord respecté dans sa classe en tant qu’adulte et professeur. C’est ce statut, légitimé par l’institution même, qui empêche ses élèves d’exprimer à voix haute leur difficulté à suivre le niveau qu’il impose. Le respect obtenu repose sur la crainte, le professeur ayant autorité pour parler à des enfants tenus de se taire.

– Pourtant, Bashir ne hausse jamais le ton, ne punit jamais ses élèves, même lorsque certains d’entre eux se permettent quelques insolences. Il montre ainsi que l’autorité de la parole enseignante s’enracine non pas dans la contrainte mais dans le savoir qu’elle dispense. C’est parce que l’enseignant possède des connaissances que les enfants n’ont pas et qu’il a le souci de leur transmettre dans les meilleures conditions, que sa légitimité grandit. Les élèves de Bashir passent ainsi clairement du silence poli à la curiosité attentive, et le respect gagné repose alors sur les compétences éducatives qu’il est parvenu à déployer.

– Enfin, c’est parce qu’il (…) accepte d’apprendre d’eux et avec eux, ose exposer ses différences, ses failles et ses propres manques, et chemine à leur côté dans le long processus de deuil qu’il fait ainsi de sa classe un espace de (re)construction mutuelle, dans le respect de soi et des alter ego. (…)

Il est impossible d’enseigner en réduisant l’enfant à son seul rôle d’élève : c’est parce qu’elle accueille les personnes dans leur globalité que l’école assume pleinement sa fonction éducative. La négation de cette complexité constitue une violence réelle pour les individus, qui risquent alors de la renvoyer vers les autres, vers l’institution, voire de l’exercer sur eux-mêmes.

Traverser les frontières

Le film de Philippe Falardeau ouvre par ailleurs la réflexion sur la question de l’apprentissage, en montrant qu’apprendre suppose d’être capable d’abandonner une partie de ses anciennes représentations pour en adopter de nouvelles, de s’ouvrir sur l’autre et l’ailleurs, le pédagogue étant précisément celui qui étymologiquement conduit, accompagne les enfants.

Mais comment faire de la place à la nouveauté sans renier ni oublier ce à quoi l’on tenait précédemment ? La problématique du deuil qui traverse le film de part en part s’avère donc intimement reliée à la question de l’apprentissage : comment les enfants peuvent-ils accepter Bashir et ses nouvelles méthodes sans avoir l’impression de trahir leur maîtresse disparue ? Comment Bashir devant lui-même apprendre à vivre au Québec peut-il concilier son histoire algérienne passée avec la culture de ce nouveau pays dans lequel il repart à zéro ? La culpabilité peut être un frein puissant au changement, et le film montre bien la difficulté qu’éprouvent les élèves et Bashir à se détacher de leur passé pour pouvoir aller de l’avant. »

« Monsieur Lazhar » offre ainsi un moment de réflexion à la fois poétique et réaliste sur l’école, permettant aux spectateurs d’en entrevoir la complexité et mettant l’accent sur l’importance cruciale d’en faire un espace de bien-être et de respect mutuel.

Nathalie Anton

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