Le sexisme, moteur de harcèlement et de cyber-harcèlement

Deux journées de prévention sont mises à l’honneur à une semaine d’intervalle : celle consacrée à la lutte contre le harcèlement à l’école du 18 novembre, et celle dédiée à l’élimination de la violence à l’égard des femmes du 25 novembre. Toutes deux entretiennent malheureusement des liens étroits, puisque l’on sait que les femmes sont majoritairement victimes de cyber-harcèlement : humiliations, insultes, propagations de rumeurs, affichage non consenti de photos intimes … Internet décuple la violence du harcèlement en créant une pression 24h/24h, en favorisant l’anonymat des harceleurs, en produisant des effets de meute, en banalisant les actions blessantes telles qu’un « simple » like ou un « simple » partage d’information à d’autres personnes au détriment de la victime, et tout ça, dans la plus grande discrétion puisque un clic est moins sonore ou voyant qu’une claque.
https://www.education.gouv.fr/non-au-harcelement/faire-face-au-sexting-non-consenti-et-au-revenge-porn-325394
Le préjugé sexiste associant les garçons homosexuels à sous-hommes efféminés, ou assignant les filles à un stéréotype de la féminité conduit également à des violences homophobes et transphobes. Comme l’explique l’UNESCO : « La violence fondée sur l’orientation sexuelle et sur l’identité/expression de genre est souvent dirigée contre les élèves qui sont, ou sont perçus comme étant, lesbiennes, homosexuels, bisexuels (homophobie), transgenres (transphobie) et contre d’autres personnes dont l’expression de genre ne s’inscrit pas dans des normes sexuelles binaires, à l’instar des garçons perçus comme efféminés et des filles perçues comme masculines. Il s’agit là d’une forme de violence de genre. » Casser les tabous sur ces questions de harcèlement et de cyber-sexisme à l’école et en famille est impératif pour plusieurs raisons. D’abord, pour que les éducateurs aient tous bien conscience qu’elles existent et qu’elles ne doivent pas être minimisées : 700 000 élèves seraient victimes de harcèlement scolaire, et l’on connaît désormais les conséquences parfois fatales qui en découlent. Il faut maintenir la vigilance, ouvrir le dialogue, mettre en oeuvre des actions de prévention, s’informer et communiquer sur les ressources telles que le 3018, le nouveau numéro national pour les jeunes victimes de violences numériques, ou l’association e-Enfance qui protège les enfants et les adolescents des dangers d’Internet. Ensuite, pour que les témoins qui se sentent souvent innocents prennent conscience, d’une part, du rôle complice incitatif qu’ils jouent dans les agissements du harceleur, et d’autre part, dans le sentiment d’isolement et de honte de la victime. Enfin, pour que ces dernières se sentent soutenues et rassurées : la honte n’est pas de leur côté. Elle réside dans l’intolérance, dans l’incapacité à reconnaître autrui dans sa singularité, dans le fait d’exercer des violences physiques, verbales, psychologiques en raison de différences liées à l’âge, l’apparence physique, le handicap, l’origine ethnique, les croyances religieuses, le statut socio-économique, ou, comme nous l’avons vu, le genre, le sexe et l’orientation sexuelle. Même dans les cas de « revenge porn » où un.e ex. malveillant.e publie des photos ou des vidéos intimes de son ancien.e partenaire, la honte est du côté du premier, et pas du second. On sait qu’aujourd’hui, les échanges de sextos font partie des rapports amoureux, surtout chez les adolescents qui explorent leur séduction et leur sensualité. Blâmer une personne pour avoir partagé, dans une relation intime, des photos d’elle-même n’est pas constructif. Il faut au contraire lui rappeler que ce sont les agissements du harceleur qui sont répréhensibles et condamnés par la loi. Pour en savoir plus, je renvoie à deux émissions de France Culture diffusées sur ces problématiques cette semaine, Etre et Savoir et Le Meilleur des mondes, et à la série web-documentaire Revenge en replay sur France.tv Slash, sur la pornodivulgation ou revenge porn, avec la traque des comptes « fisha », qui affichent des photos intimes non consenties : https://www.franceculture.fr/emissions/le-meilleur-des-mondes/comptes-fisha-revenge-porn-et-effet-de-meute-comment-lutter-contre-le-cyberharcelement https://www.franceculture.fr/emissions/etre-et-savoir/comment-faire-reculer-le-harcelement-scolaire https://www.france.tv/slash/revenge/ Nathalie Anton

Les garçons et l’homophobie à l’école

Savez-vous que l’insulte « pédé » est celle qui est la plus utilisée dans les cours de récréation ? Même si certains élèves la profèrent par habitude, sans totalement adhérer à ce qu’elle signifie, les enfants saisissent dès le plus jeune âge que le fait d’aimer quelqu’un du même sexe est condamnable, voire dangereux, puisque d’après l’association SOS homophobie, les insultes se doublent de mises à l’écart, de harcèlement et d’agressions.
https://cache.media.eduscol.education.fr/file/MDE/53/4/Dossier_formation_LGBTphobies_Academie_Poitiers_2019_1125534.pdf
  • Pourquoi parler des garçons aujourd’hui ?
Parce que ce sont ceux qui sont le plus exposés aux insultes homophobes à l’école, comme le révèlent les enquêtes de climat scolaire, et ceux qui témoignent le plus d’agressions auprès de l’association SOS Homophobie (environ 70% de témoignages proviennent d’hommes, contre 30% de femmes).
  • Comment expliquer ce décalage ?
Par le fait que l’homophobie ne repose pas seulement sur le rejet de l’amour qu’un individu éprouve pour une personne du même sexe, mais sur une dévalorisation du féminin par rapport au masculin. L’idée qu’un homme puisse se comporter comme une femme, en adoptant des traits perçus comme féminins, ou en tombant amoureux d’un autre homme, voire en étant passif car pénétré dans la relation sexuelle reste encore pour beaucoup inconcevable. L’insulte « enculé » est à ce titre tout à fait explicite.
  • D’où vient cette dévalorisation du féminin ?
Culturellement, la différence morphologique liée à la reproduction entre les sexes a conduit à une vision complémentaire des rôles, des aptitudes et des traits de caractère : schématiquement, ce que la femme fait, l’homme ne le fait pas ; ce que l’homme est, la femme ne l’est pas. Or cette division des qualités a conduit à une hiérarchie entre les sexes : l’homme est perçu comme le sexe « fort », courageux, autonome, raisonnable, alors que la femme, apparentée au sexe « faible », serait fragile, dépendante et émotive. L’homme, plus spirituel, est vu comme celui qui conquiert, qui entreprend et qui innove, tandis que la femme, perçue comme plus instinctive, a été longtemps cantonnée à mettre au monde, soigner et nourrir. Même si ces stéréotypes de genre évoluent fort heureusement, notamment grâce à la loi qui accorde désormais les mêmes droits aux femmes qu’aux hommes, il reste plus aisé de valoriser les traits masculins chez une petite fille, que les traits féminins chez un petit garçon. Féminiser le masculin comporte en effet toujours la crainte de dégrader l’image que l’on se fait d’un homme, alors que masculiniser le féminin consiste à rajouter des qualités à une femme. Les preuves abondent : pensez aux pantalons ou couleurs vives autorisés pour les petites filles alors que les robes et le rose sont encore à proscrire pour les petits garçons ; ou bien aux activités sportives compétitives encouragées pour les filles alors que celles impliquant la grâce sont plus boudées par les garçons ; ou tout simplement au fait de valoriser qu’une petite fille soit « presque » un garçon à travers l’expression « garçon manqué », alors qu’à l’inverse, « une fille manquée » pour désigner un garçon est tout bonnement impensable : on sent bien qu’il s’agirait d’une double dégradation, celle d’être une fille, et ratée en plus ! Méfions-nous par conséquent de nos propres biais, et pensons à ne pas enfermer nos garçons dans les cases du virilisme et de l’hétéronormativité. L’homophobie et le sexisme sont intimement liées. Pour lutter contre la honte et la peur qui nourrissent le rejet des différences, il convient de valoriser toutes les qualités chez nos enfants, quel que soit leur sexe, de condamner tout propos ou attitude sexiste et, bien sûr, de mettre en avant le fait que les relations amoureuses entre personnes du même sexe existent ! Nathalie Anton
https://www.eyrolles.com/Loisirs/Livre/le-manuel-qui-dezingue-les-stereotypes-9782416000126/

« Faut-il réinventer l’éducation des garçons ? »

Snoopy, Charles Monroe Schulz
Telle était la passionnante question que posait Louise Tourret à ses invités sur France Culture, dans son émission Etre et savoir du 19 avril dernier. En effet, si les hommes bénéficient dans de nombreux domaines d’avantages liés à leur genre, cette vision du « sexe fort » peut aussi leur porter préjudice, comme je l’explique dans mon dernier ouvrage, Le Manuel qui dézingue les stéréotypes.  
  • Dans le milieu scolaire, faire preuve de virilité implique souvent de transgresser les règles et de braver l’autorité des adultes. En effet, l’école valorise plutôt des qualités culturellement perçues comme féminines : application, obéissance, patience ou discrétion. Résultat : une grande majorité des élèves punis et presque la totalité de ceux renvoyés sont des garçons. Un autre stéréotype de genre joue également sans doute en leur défaveur : l’association du masculin à l’intelligence, à la raison voire… au génie, tandis que le féminin est plus associé aux émotions et à l’exécution de la tâche. Faire des efforts intellectuels pour un garçon peut ainsi menacer cette idée que l’on serait « naturellement bon », avec « des facilités », des « capacités » voire « un don » pour certaines matières. Cette vision s’avère peu compatible avec la persévérance nécessaire aux apprentissages ! Total : les filles réussissent mieux à l’école que les garçons, et ont moins de risque de décrocher.
  • Sur le plan relationnel et émotionnel : les hommes sont encore moins encouragés à exprimer leurs doutes, leurs craintes ou leur peine. Du coup, ils minimisent ces émotions, les transforment en agressivité, ou les anesthésient à travers une plus forte consommation d’alcool et de produits toxiques. Au final, les garçons sont plus victimes d’overdoses que les filles, majoritairement auteurs ou victimes d’accidents mortels liés à une conduite en état d’ivresse, et nettement plus représentés dans les chiffres de la délinquance et de la grande criminalité.
Face à ces constats négatifs et inquiétants, les invités de Louise Tourret rappelaient l’importance, pour les pères, d’investir davantage le domaine scolaire, afin que les garçons puissent mieux adhérer à leurs études. Encore aujourd’hui, l’achat des fournitures, le suivi des devoirs, les réunions parents-professeurs restent le fait des mères, et l’enceinte de l’école peut être assimilée au giron maternel. Pour un garçon, il faut alors en sortir rapidement et s’approprier un territoire extérieur comme celui de la rue. Plus généralement, les intervenants insistaient tous sur la nécessité de valoriser toutes les qualités auprès des enfants, pour que l’adoption d’attitudes dites injustement « féminines » ne soient plus perçues comme une absence de virilité, et qu’il soit permis à tous et à toutes de s’épanouir en toute sécurité. Nathalie Anton