L’asile de Larundel

L’asile de Larundel

16 juillet 2022 0 Par nicolas

Dans la banlieue de Melbourne, l’asile psychiatrique désaffecté de Larundel projette son ombre lugubre sur les environs pavillonnaires. Seuls quelques bâtiments subsistent, vestiges d’un grand ensemble de lotissements qui abritaient autrefois des centaines de patients placés sous haute surveillance. Des bâtiments rattachés à des histoires surnaturelles qui sont aujourd’hui très prisées du public, aussi bien explorateurs urbains que passionnés de phénomènes paranormaux.

Les derniers vestiges de l’asile psychiatrique de Larundel sont en instance de démolition pour faire place à un nouveau plan de développement résidentiel urbain. Jadis, il s’agissait pourtant d’un établissement prospère qui à son apogée était en mesure d’accueillir pas moins de 750 patients. Les premières fondations de l’hôpital de Larundel on été posées en 1938, mais le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale a mis le projet en pause. Au cours des cinq années qui ont suivi, l’établissement à moitié terminé a été utilisé de diverses manières : un hôpital pour la Royal Air Force australienne et l’armée américaine, ou encore un camp d’entraînement pour la Force féminine auxiliaire de l’aviation. Pendant les années 1946-48, les bâtiments ont également été utilisés comme hébergements transitoires d’urgence.

Les travaux n’ont repris que quinze ans après, et l’asile de Larundel a ainsi pu accueillir ses premiers patients en psychiatrie en 1953. Le site avait noué des liens étroits avec d’autres établissements de Melbourne, comme l’asile de Mont Park ou l’hôpital psychiatrique de Plenty Valley pour les rapatriés. À son apogée, Larundel était en charge des patients souffrant de troubles psychiatriques, psychotiques et schizophréniques sévères. À mesure que les traitements pharmaceutiques ont commencé à remplacer les traitements traditionnels et institutionnels pour gérer les patients dans les années 1990, l’asile de Larundel a dû fermer ses portes, au même titre que bon nombre d’hôpitaux psychiatriques. Dans les quinze années qui ont suivi sa fermeture, 550 nouveaux logements ont vu le jour sur ses anciennes fondations. Certains de ses anciens murs survivent encore, se rattachant à la mémoire des passants, comme s’ils avaient pris conscience de leur disparition imminente.

J’ai visité le site accompagné d’un camarade voyageur et photographe que j’avais rencontré sur Internet. S’introduire à l’intérieur de l’asile ne présentait pas de difficulté particulière. Le site borde une route principale, reclus dans un virage entre deux zones résidentielles. Nous nous sommes dirigés vers le bâtiment principal. De loin, les portes et les fenêtres du rez-de-chaussée semblaient avoir été scellées avec du blindage en métal. Malgré cela, nous avons rapidement découvert sur l’une des portes latérales du bâtiment un endroit où le blindage était plié en deux. Nous avons attendu qu’une voiture sorte de notre champ de vision pour nous faufiler à travers le trou qui débouchait sur un espace décrépi.

À l’intérieur de l’asile

La pièce dans laquelle nous nous trouvions était exiguë et complètement vide, exception faite d’un escalier qui menait à l’étage supérieur. À première vue, cet endroit avait connu beaucoup de passage. Des bouteilles de bière et des sacs en plastique recouvraient le sol de la pièce. La moindre parcelle de mur était taguée. On aurait dit qu’une usine de peinture venait d’exploser. Au premier étage, nous avons traversé plusieurs pièces délabrées, avant de nous retrouver dans un couloir tellement long qu’il semblait sillonner tout le bâtiment. L’asile s’était sévèrement détérioré au fil de ses années d’abandon, et certaines parties du plafond ployaient si bas qu’elles venaient se frotter à la moquette souillée. Je faisais attention où je mettais les pieds, notamment lorsque je me suis mis en tête d’aller examiner un long balcon qui se déployait sur la façade arrière du bâtiment. D’ici, il était possible d’avoir un aperçu sur les bâtiments d’en face qui constituaient l’ancien hôpital, et sur le parc qui se dessinait un peu plus loin. Je distinguais des groupes de jeunes et des promeneurs avec leurs chiens. Je ne me suis pas attardé, de peur qu’ils ne se retournent et ne me surprennent.

De retour dans le labyrinthe de couloirs, je suis tombé sur un meuble de rangement en bois et des câbles électriques gisant en plein milieu du passage. Derrière, je distinguais le corps pétrifié d’une grande chauve-souris. Le bâtiment principal de Larundel était érigé autour d’une cour centrale qu’un chemin surélevé traversait de part en part. La cour était envahie par les mauvaises herbes et l’on distinguait des bruissements d’animaux dans la broussaille, peut-être des oiseaux ou des marsupiaux. J’ai retrouvé mon compatriote photographe de l’autre côté du bâtiment – nous avions emprunté des voies différentes dans les couloirs qui encerclaient la cour. Plusieurs passages convergeaient vers un vaste hall. Un pan de mur entièrement recouvert de graffitis s’était écroulé laissant ainsi filtrer la lumière du jour. La juxtaposition de la canopée verdoyante et des couloirs lugubres et moisis assuraient un contraste saisissant. Dans sa globalité, l’asile de Larundel était complètement vidé de ses installations. Tout ce qui aurait pu témoigner du passé psychiatrique de l’établissement avait disparu. Seules quelques pièces renfermaient quelques étagères ou armoires renversées parmi des vestiges de chaudières rouillées.

Nous avons trouvé une salle de bain. La plupart des graffitis tranchaient avec l’atmosphère des lieux. Les murs de l’asile faisaient office de terrain de jeu pour des pseudo-artistes en mal de défouloir. Néanmoins, les images et les mots peints produisaient un effet troublant. Au-dessus de la baignoire remplie de terre, les mots « Aidez-moi » avaient été inscrits en rouge. À proximité se trouvait le dessin d’un homme en camisole de force enlacé dans les bras d’une sorte de démon. La masse confuse et diffuse de tags de l’autre côté du mur participait au malaise, au chaos et à la folie ambiants. « Sautez ici », enjoignait une descente de linge dans le couloir suivant. J’ai décliné l’offre, après avoir jeté un coup d’œil dans le conduit et allumé ma lampe en direction des deux étages du dessous.

Nous sommes descendus au rez-de-chaussée en empruntant un très grand escalier. Il débouchait sur un chemin en béton qui traversait la cour. En prenant soin d’éviter la végétation abondante et ses mystérieux habitants, nous avons rejoint notre point de départ. Cette fois-ci, nous allions faire le même chemin, mais en sous-sol. Dans un coin du bâtiment, nous sommes tombés sur un vaste hall où un distributeur éclaté de toute part étalait son stock de boissons vieilles de dix ans. Une porte permettait d’accéder à une chambre à ciel ouvert. Une paire d’yeux criante de réalisme était peinte sur le mur mitoyen de l’entrée. Nous avons suivi un couloir sur la droite qui longeait le contour du bâtiment dans le sens contraire des aiguilles d’une montre. Dans cette section, les portes des cellules étaient seulement dotées d’une petite fenêtre d’observation à hauteur d’homme et d’une fente au niveau du sol juste assez large pour faire passer un plateau-repas.

Ici, l’état de délabrement était pire que ce qu’on avait vu jusqu’à présent. Un incendie avait noirci les murs et les plafonds, tandis que les appliques électriques avaient fondu. On aurait dit les fruits défendus d’un arbre démoniaque et blasphématoire. À certains endroits du couloir, le feu avait brûlé la moquette ainsi que le plancher en bois, dévoilant des poutres et un sous-sol calcinés de part en part. J’ai jeté un œil à travers un trou plus large que les autres. L’idée de descendre pour mener une inspection me tentait beaucoup mais la remontée ne semblait pas si aisée que cela. De toute manière, l’espace en dessous de l’asile devait se résumer à des colonnes et des murs de brique sans aspérités. Le temps de retourner au bâtiment principal de l’asile, il faisait déjà nuit. Nous avons traversé la rue à la lumière des réverbères, et nous nous sommes dirigés vers le bâtiment suivant.

À la découverte du complexe

Avec la nuit tombante, il était difficile de déterminer quels bâtiments faisaient partie de l’asile et quels étaient ceux qui composaient les résidences environnantes. Qu’un site en état d’abandon avancé se fonde aussi bien dans le décor avait quelque chose de surprenant. Les coureurs et les promeneurs avec leurs chiens empruntent les chemins autrefois réservés aux pensionnaires, alors que les bâtiments eux-mêmes sont devenus des aires de jeux pour les jeunes têtes brûlées du quartier. Le second bâtiment se trouvait à proximité d’un pavillon de banlieue aisé. Nous avons dû nous faufiler discrètement par une porte dérobée ouverte sur un côté. Quelque chose a bougé alors qu’on passait sous le linteau. Une créature souple et poilue a bondi du rebord d’une fenêtre du premier étage et disparu à l’intérieur du bâtiment. Ses yeux s’étaient reflétés dans la lumière alors qu’il se déplaçait. N’importe où ailleurs, j’aurais supposé qu’il s’agissait d’un petit chat. Mais ici, cela aurait très bien pu être un opossum. Nous avons vite réalisé que ce deuxième bâtiment, plus petit, n’était pas aussi excitant que le premier. Le lieu avait été sérieusement vandalisé. Le hall du premier étage, que nous avons rapidement atteint, était presque entièrement recouvert de fragments qui s’étaient détachés du plafond. Je découvrais un grand escalier faisant face au mur, où une fenêtre de type Art déco allant du sol au plafond dévoilait un ciel teinté de violet. La partie supérieure du cadre était restée intacte, tandis que chaque carreau de vitre à portée de l’escalier avait été brisé. La fenêtre avait désormais des allures de mâchoire carrée dont la dentition aurait été brisée.

Le troisième bâtiment s’est avéré plus intéressant. Nous avons dû franchir un périmètre de clôture abîmé pour atteindre cette longue structure de plain-pied. Même si l’asile se révélait vraiment facile d’accès, il n’était pas toujours aisé de déterminer si nous étions toujours dans son périmètre ou non. Nous nous sommes séparés à nouveau, et avons pris des chemins différents à travers le bâtiment. L’entrée du hall principal était recouverte par un épais grillage. Je suis parti en reconnaissance le long de la terrasse, et j’ai trouvé un passage à travers un panneau de bois qui recouvrait une porte de derrière. Ce bâtiment semblait avoir servi de centre administratif pour l’asile psychiatrique de Larundel. Le hall principal distribuait plusieurs pièces qui avaient dû faire office de bureaux. Dans l’un d’entre eux, je trouvais un vieux coffre rouillé. Plus loin, je trouvais une vaste salle subdivisée en cabines de bois. Ces dernières étaient voilées de rideaux à l’origine, mais à présent, ses tringles gisaient sur la moquette poussiéreuse.

C’est ici que j’ai aperçu ma première araignée venimeuse, laquelle tissait sa toile entre deux piliers de bois. Cette araignée australienne, appelée black house (Badumna insignis), n’est pas considérée comme particulièrement dangereuse. Mais elle est si grosse comparée à la majorité des araignées qu’on trouve en Angleterre. Il paraît que sa morsure est susceptible de causer une « douleur atroce et un gonflement localisé ». Ses symptômes peuvent inclure « nausées, vomissements, sueurs et vertiges ». Je décidais de me tenir à bonne distance de la bestiole. J’ai rejoint mon complice dans la pièce d’à côté. Là, une chaise isolée semblait monter la garde à la jonction de deux couloirs. Nous sommes retournés de l’autre côté du bâtiment, dépassant une chaufferie avant de nous enfoncer dans la nuit noire. Enjambant une maigre barrière de sécurité, nous avons regagné la rue principale où nous avons attendu le tram pour retourner en ville.

Les fantômes de Larundel

Tandis que je visitais l’asile psychiatrique de Larundel, j’ignorais alors la quantité d’histoires qui y était rattachée. En effectuant des recherches après coup, je suis tombé sur plusieurs sites dédiés aux fantômes et aux enquêtes paranormales mentionnant l’asile. Dans la quinzaine d’années ayant suivi la fermeture de l’asile, de nombreux visiteurs auraient décrit d’étranges phénomènes à l’intérieur de ce bâtiment en décomposition avancée. Le récit le plus courant évoque de grand fracas et des sons assourdissants sourdant d’entre les murs, de même que des odeurs étranges, des bruits d’enfants ou des pleurs de bébés.

L’asile de Larundel est assurément un lieu bruyant. Situé en bordure d’un parc, ses bâtiments sont souvent frappés par de fortes bourrasques de vent. Les cliquetis et les grognements des planches de métal rivées sur chacune des portes et fenêtres du rez-de-chaussée pouvaient se révéler assez perturbants. À de nombreuses reprises pendant l’exploration de l’asile, j’ai ressenti cette conviction intime que nous n’étions pas seuls dans le bâtiment. Les voix et les rires des passants pouvaient se répercuter entre les murs, rebondissant tel un écho dans les couloirs sans vie de l’asile. L’intervention des services de sécurité et de police représentaient ma seule véritable inquiétude. L’hypothèse d’une présence surnaturelle n’avait pour ainsi dire jamais traversé mon esprit. C’était comme si la plupart des graffitis qui tapissaient l’asile avaient pour but de perpétuer ce sentiment de malaise face au paranormal. Des phrases peintes à la main telles que « sauvez-vous » ou « je peux les entendre à travers les murs » apparaissaient en effet un peu partout.

Le mythe le plus répandu à propos de l’asile reste l’histoire d’une jeune fille retrouvée morte au troisième étage. Elle avait l’habitude de jouer avec une boîte à musique. À la nuit nuit tombée, il serait possible d’entendre résonner la petite musique. Sur Youtube, je suis tombé sur une vidéo qui avait apparemment enregistré les faibles accords d’une musique lointaine à l’intérieur de l’asile psychiatrique de Larundel. Je suis un bon client de ce genre d’histoire, et je serai toujours partant pour prendre part à une expérience aux frontières du surnaturel. Maintenant, je pense que mes sentiments personnels pourraient être résumés par cette citation de Ninjalicious tirée d’un de ses livres phares Access All Areas : « Je ne dis pas que vous refusez strictement de croire en quelque chose de surnaturel, simplement que vous en avez une approche agnostique et que vous n’y croyez pas jusqu’à ce que vous le voyez. Il n’y pas vraiment de danger face à cela, puisque les fantômes, contrairement aux dieux, ne sont pas connus pour punir les gens de leur manque de foi. »