Comment donner du sens à l’enseignement du français au collège ? Comment créer une émulation dans un groupe-classe ? La pédagogie du projet.
La non-production ou le non-sens du cours de français au collège
Quel professeur d’une matière dite générale n’a pas ressenti cette frustration : « je ne produis rien » ? Les élèves, en perte de sens, se demandent à quoi le cours sert ou pis, ne se demandent plus rien et subissent… En revanche, on remarque, dans les sections professionnelles, quand l’orientation n’est pas subie mais désirée, que les élèves sont motivés, s’impliquent dans des tâches concrètes.
Oui, mais j’enseigne une matière générale…
Les élèves sont en compétition pour les notes ou ne le sont pas. L’individualité et le non-sens semblent régner. Il n’y a pas de cohésion dans le groupe-classe. Les intellos veulent travailler et être les meilleurs. Les cancres veulent jouer et empêcher la bonne marche du cours. L’ambiance est conflictuelle, pesante.
Qui commande dans la classe ?
Au début du deuxième trimestre, j’ai dit à l’une de mes Sixièmes peu motivée et turbulente que nous ne pouvions pas travailler avec les Intelligences Multiples, ni avec les jeux-cadres (que je leur avais pourtant présentés et qu’ils avaient fortement appréciés) en leur expliquant que l’ambiance de la classe ne permettait pas de travailler. Je leur ai demandé si je pouvais néanmoins leur laisser une chance. Une chose stupéfiante s’est alors produite. Un élève m’a fixé, un de ceux qui jouent avec une sarbacane, et qui font partie d’une petite bande. Il m’a dit : « Non, vous ne pourrez pas faire les Intelligences Multiples. » et m’a expliqué que ce serait impossible à cause du désordre (sous-entendu qu’il mettrait avec sa bande). J’ai alors demandé à la classe entière ce qu’elle voulait. Une grande majorité d’élèves a dit qu’elle voulait travailler avec les I.M.
Heureusement, l’autre Sixième était studieuse et nous nous régalions avec les Intelligences Multiples.
J’ai demandé à la classe turbulente qui allait l’emporter : la majorité ou un petit groupe qui voulait empêcher les autres de travailler.
La pédagogie du projet : facteur de cohésion et d’émulation
On pourrait dire que j’ai des outils pédagogiques innovants, qui devraient résoudre tous les problèmes mais que faire avec une classe turbulente, avec une ambiance peu propice au travail ?
J’ai proposé à mes deux Sixièmes un concours d’écriture. Il s’agissait d’écrire un conte collectif et de le mettre en concurrence avec celui de l’autre Sixième – le jury serait composé des élèves des deux autres Sixièmes de mon collègue (il y a quatre Sixièmes dans mon collège et j’en ai deux). Les deux classes ont accepté.
Nous avons donc pendant deux mois, à raison d’une heure par semaine, écrit un conte collectif. Les élèves imaginaient l’histoire et les personnages collectivement, écrivaient chaque étape individuellement, et enfin votaient pour le plus beau texte. Nous avons écrit toutes les étapes, retravaillé l’ensemble avec la classe entière (les transitions, les répétitions et nous sommes interrogés sur la dénomination des personnages, les indices et symboles qui annoncent la fin du texte…) Des élèves ont illustré le conte et nous avons soumis chaque conte au vote. Si vous êtes intéressé, vous pouvez lire le conte des 6°3 et celui des 6°4 sur le site du collège de la Foa .
La classe turbulente, la 6°3, s’est mise au travail à tel point qu’au troisième trimestre, j’ai été le seul, lors du conseil de classe, à dire que les élèves avaient progressé et muri, au grand étonnement du professeur principal. Les élèves ont pu travailler avec beaucoup de joie et de sérieux avec les Intelligences Multiples (le petit élève perturbateur n’a finalement pas réussi à influencer le groupe-classe). Ces élèves étaient tellement studieux que deux collègues stagiaires, venus observer mes classes, ont cru que c’était ma classe la plus sérieuse. Même la petite bande a participé au projet.
Que s’est-il passé ? Comment le pouvoir a-t-il changé de mains ?
Les élèves perturbateurs ont été marginalisés. Certes, ils essaient encore d’utiliser des sarbacanes mais leur influence s’est fortement atténuée. Les 6°3 ont commencé à avoir un esprit d’équipe – il s’agissait de battre leurs rivaux, les 6°4.
L’enseignement du français prenait sens, il s’incarnait, prenant la forme d’un texte illustré. Une élève (pour ceux qui sont allés lire sur le site du collège) a même créé une allégorie, à mon grand étonnement, celle du lapin qui se bat avec une scolopendre.
Les 6°4, la classe sérieuse, sont restés motivés mais ont été dépassés par les 6°3, véritables outsiders qui ont, au troisième trimestre, une moyenne de français un peu supérieure.
Ce que j’en ai retiré
Je travaille sur des projets depuis des années mais j’ai compris une chose intéressante cette année. Mon projet – l’écriture d’un conte de A à Z- est très ambitieux et, de ce fait, aboutit trop tard dans l’année. Dans le meilleur des cas, le projet prend forme à la fin du deuxième trimestre, créant une émulation, un esprit d’équipe, une culture-classe, mais trop tard.
L’année prochaine, je compte morceler mon projet, le diviser en petits projets intermédiaires, de façon à créer, au plus tard, cette émulation dès la fin du premier trimestre.
L’enseignement du français prend sens, prend chair. Les élèves contemplent fièrement leurs productions. Un esprit de groupe naît grâce à une saine compétition, non au sein du groupe-même (elle serait délétère) mais entre les classes qui veulent donner chacune le meilleur d’elles-mêmes. Le groupe-classe trouve une cohésion dans un travail collaboratif.
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