culture littéraire

La querelle des anciens et des modernes.

L’opposition entre la tradition et la modernité est un motif récurrent au dix-septième siècle, d’autant que la doctrine classique préconisait l’imitation des anciens, à condition toutefois d’opérer un choix et de ne prendre pour modèle que les œuvres qui ne s’éloignaient pas de la raison.

Après la querelle du Cid (1637), après la querelle du «  merveilleux chrétien » qui s’opposait au « merveilleux païen » (1653-1874) , « la querelle des Anciens et des Modernes » anima le monde littéraire entre 1687 et 1715.

Cette querelle littéraire se déroula en deux temps :

– de 1687 à 1694, période au cours de laquelle les modernes contestent le fait qu’Homère soit considéré comme le modèle par excellence

– de 1713 à 1714, les modernes remettent en cause l’existence même d’Homère.

    Pour les partisans des anciens, les ouvrages des auteurs antiques grecs et latins sont parfaits et il convient de les imiter. (imitatio / mimesis) Par ailleurs, ils considèrent que  l’antiquité est une période où la civilisation a atteint la perfection. Les modernes quant à eux, même s’ils reconnaissent talent et mérite aux auteurs de l’antiquité, considèrent qu’ils présentent des faiblesses et qu’en aucun cas ils ne peuvent être des modèles à suivre. De plus, ils refusent de considérer que l’idéal de la civilisation relève du passé. Bien au contraire ils croient au progrès de l’homme, de la société et de l’art.

http://elisabeth.kennel.perso.neuf.fr/fleche.gif Ce que revendiquent les anciens

     L’autorité de Virgile et d’Homère : leurs œuvres sont des chefs-d’œuvre incontestables et doivent servir de références et de modèles. C’est ce que revendique La Fontaine dans son Épître à Huet
    – Il faut imiter la nature et n’accorder d’importance qu’au simple et au naturel. Dans la remarque 10 du chapitre « Des ouvrages de l’esprit », La Bruyère écrit :  » Il y a dans l’art un point de perfection, comme de beauté et de maturité dans la nature ; celui qui le sent et qui l’aime a le goût parfait… » et dans la remarque 15 de ce même chapitre il considère qu’il faut  » revenir au goût des anciens et reprendre enfin le simple et le naturel. »
 
Imiter ne veut pas dire copier servilement et ne pas faire preuve d’originalité et de personnalité. Il faut suivre l’exemple des anciens, avoir la même rigueur qu’eux. 

    – Il faut que les œuvres d’art résistent au temps et pour cela, elles doivent traiter des caractéristiques de la nature humaine, ce qui ne signifie pas pour autant qu’elles ne font pas référence à l’époque précise de l’écrivain. 


 

http://elisabeth.kennel.perso.neuf.fr/fleche.gif Ce que revendiquent les modernes

    – Charles Perrault dans Le siècle de Louis le Grand, proclame la supériorité du siècle de Louis XIV sur celui d’Auguste, il critique les anciens et fait l’éloge des modernes.

     – Ils refusent d’admirer les anciens sans réserve car ils considèrent que tout n’est pas admirable chez les anciens.
Ils refusent de les prendre pour modèles car selon eux, ce serait admettre que l’art a atteint un point de perfection que l’on ne peut plus atteindre et que l’art est figé dans des canons esthétiques ; c’est donc non seulement déconsidérer la création artistique contemporaine mais encore empêcher une évolution de la création artistique.
 Ils ont foi en le progrès, pour eux le monde n’est pas statique, il est en marche et l’artiste ne peut que rendre compte, à travers ses œuvres, de cette évolution. Les sciences progressent et de même les arts.
– Enfin, les modernes vont jusqu’à penser que le culte des anciens a pour conséquence une certaine stérilité dans la création artistique :  » Rien n’arrête tant le progrès des choses, rien ne borne tant les esprits, que l’admiration excessive des anciens. » ( Fontenelle). 

Les différentes étapes de cette querelle

27/01/1687 : Charles Perrault publie Le siècle de Louis le Grand, poème qui fait l’éloge du présent par rapport au passé.
05/02/1687 : La Fontaine répond par lÉpître à Huet           /1688 : La Bruyère Les Caractères, des Ouvrages de l’esprit
1688 : Fontenelle : Digression sur les Anciens et les Modernes 16881690-1693 : Charles Perrault : Parallèles des Anciens et des Modernes
 1693 : Boileau dans le Discours qui précède les Odes pindariques, expose les bienfaits de l’imitation1694 : Boileau : la Satire X dénonce les femmes qui soutiennent les Modernes
 1694 : Charles Perrault répond par l’Apologie des femmes
La querelle s’apaise grâce à Antoine Arnauld ;  Boileau et Perrault deviennent moins intransigeants
 1713 : Mme Dacier, traduit Homère : reprise de la querelle à propos d’Homère : a-t-il vraiment existé ?
 1713 : Houdar de la Motte, écrit une Iliade abrégée, de très mauvais goût.
Fénelon, partisan des Anciens, met un terme à cette querelle dans une lettre à l’Académie dans laquelle il soutient le mérite des Anciens mais aussi des Modernes et invite les modernes à mettre leur génie à surpasser les Anciens.

 La Bruyère et la querelle :

Partisan des anciens, la Bruyère dans Les Caractères et plus précisément dans le premier chapitre intitulé Des ouvrages de l’esprit, prend très nettement position en faveur des anciens, contre les modernes. On sait qu’il s’opposa plus particulièrement à Fontenelle à qui il fait souvent allusion. La Bruyère payera cher ses prises de position quand il se présentera à l’académie française, et s’il est élu de justesse à sa deuxième candidature Fontenelle et ses amis s’opposeront à ce que son discours d’intronisation, dans lequel il ne remercie et ne fait l’éloge que des partisans des anciens, ne soit pas publié.

Remarque 10 :  » Il y a dans l’art un point de perfection, comme de bonté ou de maturité dans la nature. Celui qui le sent et qui l’aime a le goût parfait ; celui qui ne le sent pas et qui aime en deçà ou au delà, a le goût défectueux. Il y a donc un bon et un mauvais goût… »

Remarque 14 :  » tout l’esprit d’un auteur consiste à bien définir et à bien peindre. Moïse, Homère, Platon, Virgile, Horace ne sont au-dessus des autres écrivains que par leurs expressions et par leurs images : il faut exprimer vrai pour écrire naturellement, fortement, délicatement. »

Remarque 15 :  » On a dû faire du style ce qu’on a fait de l’architecture. On a entièrement abandonné l’ordre gothique, que la barbarie avait introduit pour les palais et pour les temples ; on a rappelé le dorique, l’ionique, le corinthien ce qu’on ne voyait plus que dans les ruines de l’ancienne Rome et de la vieille Grèce, devenu moderne, éclate dans nos portiques et dans nos péristyles. De même, on ne saurait en écrivant rencontrer le parfait, et s’il se peut, surpasser les anciens, que par leur imitation. (Avis nuancé, certes, affirmation de la suprématie des anciens mais  La Bruyère reconnaît aussi que l’élève peut dépasser le maître)

Combien de siècles se sont écoulés avant que les hommes, dans les sciences et dans les arts, aient pu revenir au goût  des anciens et reprendre enfin le simple et le naturel ! ( La Bruyère salue le retour du principe de l’imitation de la nature)

Un auteur moderne prouve ordinairement que les anciens nous sont inférieurs en deux manières, par raison et par exemple ; il tire la raison de son goût particulier, et l’exemple de ses ouvrages. (ici, il fait allusion à Fontenelle mais aussi Charles Perrault)

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