Médée de Max Rouquette

Pièce mise en scène par Jean-Louis Martinelli

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http://www.lyc-levigan.ac-montpellier.fr/doc_animations/treize_vents/spectacles/medee.htm

MEDEE : LA LEGENDE L’histoire de Médée se rattache à la légende des Argonautes. Quand ceux-ci débarquèrent sur le littoral du Pont, en Colchide, pour conquérir la Toison d’or, ils se heurtèrent à l’hostilité du roi Aiétès, gardien de ce précieux trésor. Cependant ils reçurent l’appui de Médée, la fille du roi, qui s’était éprise de Jason. Experte en l’art de la magie, la jeune femme donna à son amant un onguent dont il devait s’enduire le corps pour se protéger des flammes du dragon qui veillait sur la Toison d’or. Elle lui fit aussi présent d’une pierre, qu’il jeta au milieu des hommes armés nés des dents du dragon : aussitôt, les guerriers s’entretuèrent et le héros put s’emparer de la Toison. Pour remercier Médée, Jason lui accorda le titre d’épouse. La magicienne s’enfuit alors avec lui, et, afin d’empêcher Aiétès de les poursuivre, elle tua et dépeça son frère Absyrtos, dont elle sema les membres sanglants sur sa route. Parvenue à lolcos en Thessalie et reçue en grande pompe, par amour pour Jason, elle se livra à toutes sortes de crimes. Ainsi, elle incita les filles de Pélias, sous prétexte de le rajeunir, à tuer leur père, à le découper en morceaux et à le jeter dans un chaudron d’eau bouillante. Aussi, chassés par Acaste, le fils de Pélias, les deux époux se réfugièrent à Corinthe, où Médée donna le jour à deux fils, Phérès et Merméros. Au bout de quelques années de bonheur, Jason abandonna Médée pour Créüse, la fille de Créon, roi de Corinthe. Répudiée et bafouée, Médée médita une vengeance exemplaire. Elle offrit à Créüse une tunique qui brûla le corps de la jeune épousée et incendia le palais ; puis elle égorgea ses propres enfants. Après ces crimes, elle s’enfuit à Athènes sur un char attelé de deux dragons ailés, et épousa le roi Egée, dont elle eut un fils. Bannie par Thésée, qu’elle avait vainement tenté de faire périr, elle retourna enfin auprès de son père en Colchide et, selon la tradition, descendit aux champs Elysées, où elle s’unit à Achille.Joël SchmidtDictionnaire de la mythologie grecque et romaine. Librairie Larousse  PRESENTATION
Magicienne d’origine royale, Médée est d’abord celle qui, par amour, accepte de tout quitter. Elle trahit les siens en aidant Jason à s’emparer de la Toison d’Or, puis s’enfuit avec lui. Ensemble, ils ont deux fils. Mais un jour, l’ambitieux Jason, oubliant ses serments et ce qu’il doit à Médée, décide d’épouser Creüse, la fille du roi Créon. Femme bafouée, extrême dans son désir de vengeance comme elle l’a été par amour, Médée ira jusqu’au bout, jusqu’au pire, jusqu’à l’impensable pour punir le parjure.En 2001, lors d’un voyage au Burkina Faso, Jean-Louis Martinelli, saisi par l’évidente dimension tragique de l’Afrique, conçoit l’idée d’aborder le texte de Max Rouquette, lumineusement inspiré de la Médée d’Euripide. Sur cette terre, magie, superstition et sacré font bon ménage avec le quotidien. Par ailleurs, les démocraties balbutiantes, la brutalité des guerres ethniques, les frontières fragiles donnent une violente résonance à cette tragédie de l’appartenance et de l’exil. Dans ce paysage africain aux allures antiques, Médée attend le retour de Jason.

 

 

 

 

 

 

Aux cris et aux exhortations de la fille du soleil répondent les chants composés par Ray Lema pour le chœur des femmes Bambaras. C’est là que le vaillant argonaute apprendra à la mère de ses enfants qu’il lui préfère le pouvoir et l’argent.

Alors, Médée, l’exilée trahie, deviendra l’héroïne trop humaine d’un crime passionnel.
J’ai souvent rêvé…
…en suivant la route qui, de la Boissière, descend sur Aniane, à un théâtre pour les gens de la contrée, simple et, peut-être, pas tellement onéreux. Il est déjà prêt : la terre, le ciel, les rochers, un ruisseau, l’ont dessiné. Nous n’aurions qu’à le faire théâtre. Il fait penser à ceux de la Grèce. Le ruisseau, sec l’été, entoure aux trois quarts, dans son cours sinueux, un relief qu’il serait vite fait d’aplanir et qui serait la scène. Pour les spectateurs, la pente de la colline, raide, qui encercle à demi le ruisseau courbe.
 
On peut couper les chênes verts ; on peut disposer des dalles, les lauses, ici, ne manquent pas. Les gens s’assiéraient sur les pierres, les rochers, la terre, sur leurs vestes ou des coussins.
Mais ce n’est peut-être qu’un beau songe.
 
Et la pièce ? La pièce serait à l’image de ce théâtre, dans son esprit, pierreux, brutal, dur, sans ornements, mais parfois avec l’ampleur du vent, de la chaleur, de l’air, du ciel, de la nuit ; et aurait pourtant les reflets et les significations de la vie, de ses tourments, des tempêtes, des songes et de la souffrance de tout homme, dans tous les temps.
Mais un rythme comme celui de Médée, il suffit qu’il soit à peine transposé, décapé de ses aspects d’antiquité et que, passé à notre époque, tout en conservant son éclat légendaire, il garde toujours son pouvoir dans l’âme populaire, pour pouvoir toucher directement l’esprit de notre peuple. D’autres l’ont fait ailleurs. Je le sais. Pour d’autres raisons qui ne
sont pas les miennes.
 
Le chœur, je l’ai, lui aussi, détourné de son apparence grecque. En vérité, dans la société méridionale, le chœur antique est resté toujours vivant. Sur les placettes, à la gardette, devant le café, au bon de la nuit, le groupe des vieilles femmes est bien là pour commenter tout événement et le charger de cet écho que le peuple assemblé ajoute à toute chose personnelle.
 
Le maintenir, mais par fragments, de trois ou quatre personnes qui se répondent, ou qui nous donnent, sans se mêler, l’image de pensées différentes, cheminant de concert, sans s’entendre ni se comprendre.
Les vieilles, dans ce passage du mal, je les veux, comme est souvent, en vérité, l’opinion publique, quelque chose de malin, l’image de la vie lorsqu’elle en est venue à l’âge sans pitié, comme, et sans doute pourquoi, sans illusions. Avec seulement, par-ci, par là, un tendre souvenir, un espoir aussi étrange ici qu’une fleur d’amandier sur l’écorce noire d’un
vieil arbre tordu, et mort plus qu’aux trois quarts ; l’espoir que donne en vain, l’enfance, dans l’innocence de sa fleur.
C’est pourquoi je les vois avec des masques qui leur donneraient l’apparence de chouettes, hiboux, grands ducs, ou effraies, à la face blanchâtre, hurlant à la mort, et sans grande pitié au cœur ; miroirs, déjà de la mort triomphante et du mal.
 
Tout au long de la pièce, avant toute action, comme lorsqu’elle s’achève, les vieilles (quatre ou cinq), vêtues de noir, avec leurs écharpes moires qui allongeront leurs gesticulations ainsi que des ailes de corbeaux ou de chouettes, seront dressées, ici et là, à des hauteurs différentes, tournant très lentement, sans mot dire, d’abord, leurs faces blanches d’oiseaux de nuit, seul mouvement de leurs corps. On peut deviner, avant que s’élève toute parole, leur jacassement, leurs cris aigus, leurs battements d’ailes, comme font les pies qui se disputent sur la branche haute d’un arbre mort. Cris de pies ou de corneilles, animaux sans signification. Porter au plus haut l’apparence animale.
Réparties en deux couples de chaque côté de la mère du chœur, celle qui lancera, à voix rauque, la parole majeure, reprise et balancée et renvoyée d’un groupe à l’autre. Chaque couple aura sa voix, l’une aiguë, l’autre basse. Et la mère, au milieu.
 
Les mouvements de cette sorte de chœur serviront à animer la scène, dans les moments apaisés qui séparent les tensions. Au contraire, le chœur immobile, comme dit plus haut, et muet, aura pour but de souligner, par son silence et les lents mouvements des seuls visages, les points de grande tension.
Quant à la forme, j’ai repris, en dehors du dialogue d’échanges, ces psaumes que j’affectionnais déjà au temps d’ « Occitania » et de « Terra d’Oc », ceux de David, de Job, d’Isaïe ou d’Ezéquiel et qui s’accordent si bien au génie de la langue. En vérité, tout psaume est fait pour être psalmodié. Je ne suis pas, hélas, musicien. J’ai écrit les versets.
Peut-être qu’un jour ces « Psaumes de Médée » donneront à quelque jeune musicien l’idée de chercher, je veux dire de « trouver », la monodie qui, avec eux, s’accordera.
Ce serait l’accomplissement d’un effort, tenté en vain par tant, pour rejoindre les enchantements de cette tragédie grecque qui fascinait Nietzsche, et que Wagner entendit autrement ; ceux qui, dans les soirées vibrantes de la canicule, envoûtaient le peuple grec il y a deux ou trois mille ans.

Max RouquettePréface à Médée, Editions Espaces 34  JOURNAL DE VOYAGE DE JEAN-LOUIS MARTINELLI Il y a deux ans et demi, l’Association Française d’Action Artistique me faisait part qu’un collectif théâtral de Bobo-Dioulasso au Burkina-Faso souhaitait pouvoir travailler avec un metteur en scène français. Je ne connaissais absolument pas l’Afrique noire.Je m’embarque donc pour Bobo-Dioulasso avec le texte de Médée de Max Rouquette que je viens de découvrir. Plusieurs points de concordance se font jour très rapidement entre cette tragédie et les acteurs de ce groupe. Tout d’abord qu’ils soient catholiques, musulmans, animistes, le lien au sacré est omniprésent et assez proche de qu’il pouvaitêtre chez les grecs. Ici la présence des Dieux est réelle. Médée la magicienne peut être à l’image de la femme africaine dotée de dons et de pouvoir.Les tragédies grecques adviennent en un temps et un lieu où s’invente la démocratie, passage donc d’un ordre politique ancien, archaïque à un nouvel ordre synonyme de modernité. Depuis un siècle l’Afrique vit un tel bouleversement.La démocratie se cherche et les différents pays doivent se défaire de nombreux tyrans et la vie des peuples est marquée de nombreux conflits ethniques. Ainsi en va-t-il par exemple du sort réservé à nombre de Burkinabés séjournant en Côte d’Ivoire, suite à la mise en avant du concept « d’ivoirité » par le gouvernement de Laurent Gbagbo. Bon nombre de Burkinabés sont animés d’un réel sentiment de vengeance du fait des violences subies par « leurs frères » et une spirale de vengeance est amorcée, et vécue comme juste nécessaire.La violence qui porte les actes de Médée est un sentiment palpable chez l’homme de la rue.Enfin il semble qu’ici la parole du chœur, comme expression du voisinage ou de la cité ai encore un sens alors que dans nos sociétés occidentales, atomisées, ayant perdu le sens de la communauté et de la solidarité, sa représentation en soit devenue impossible.Hier soir, je regarde un reportage de TV5 Afrique au sujet des affrontements de Bounia au Congo. Le reportage nous entraîne sur les traces des enfants-soldats, véritable plaie de la plupart des conflits armés africains. Un garçon d’une quinzaine d’années, Thomas, pose avec un fusil mitrailleur. Il est très souriant et parle un français très convenable. Lejournaliste lui fait remarquer qu’il est encore un enfant et qu’il vaudrait mieux qu’il aille à l’école :- « Non je ne suis plus un enfant. Je peux me servir d’un fusil. La semaine dernière, nous avons repoussé les lounsis, J’en ai tué cinq. Après, je veux aller à l’école ou en France pour étudier. »- « Peut-être quand la paix sera revenue, tu pourras aller à l’école avec des jeunes avec lesquels tu te bats aujourd’hui. Eux aussi souhaitent vivre en paix. »- « Jamais, s’exclame-t-il, même s’ils venaient à l’école avec nous, tu ne pourrais pas faire confiance, ils auraient des couteaux cachés et on pourrait se faire égorger ».Ainsi, même si les conflits cessent du fait de la présence de troupes d’occupation ayant en charge de pacifier la région, tout laisse à penser que le germe de la méfiance et le désir de vengeance seront ancrés au plus profond du jeune Thomas et donc prêt à se ranimer à la première occasion.La vengeance est ressentie comme une nécessité. Il en va de l’honneur de l’ethnie, comme s’il s’agissait d’actes ayant porté atteinte à l’honneur familial. Ainsi, en discutant avec Moussa, aussi bien qu’avec Abou, je mesure qu’ils sont prêts à un conflit avec les ivoiriens qui ont, me disent-t-ils tous deux « commis des atrocités contre nos frères burkinabés.D’ailleurs, notre armée est la plus forte ». Moussa se dit même prêt à repartir à l’armée s’il le fallait.Ici à Bobo, je ne vois pas de traces du conflit en Côte d’Ivoire. Pourtant, j’apprends par Abou que sa famille est rentrée à Banfora, ville du Burkina, proche de la frontière. Amadou (Jason) a également reçu des cousins dans sa cour, et nombreux sont les « parents » ayant dû revenir.L’autre soir, Abou me montre deux 4 x 4 qui arrivent près de l’hôtel de nuit, de hommes en sortent. Abou m’indique que ce sont des mercenaires engagés par les rebelles de Bouaké ; Bobo-Dioulasso est d’ailleurs leur base d’approvisionnement dans laquelle ils opèrent de nuit.La vengeance donc comme condition du rétablissement de l’honneur est sans aucun doute le sentiment premier qui relie Médée à une lecture africaine. Bien que l’acte que commet Médée soit profondément étranger à Justine, elle saisit viscéralement elle aussi ce désir de vengeance. La trahison est ici plus qu’ailleurs inexcusable, or Jason trahit son clan et immédiatement son attitude, sa fuite, son futur mariage avec Créüse font écho à la violence générée par la polygamie, contre laquelle les jeunes femmes s’insurgent. Ainsi la Médée abandonnée délaissée par Jason – l’opportuniste – préférant la couche de Créüse qui lui ouvre la route du paradis éveille-t-elle la compassion des femmes du chœur.Plus les répétitions avancent et plus je m’imprègne de ce pays et plus je ressens le texte de Max Rouquette comme lié à la terre d’Afrique. Cette impression est certainement due au fait que la poésie de Rouquette s’appuie sur une observation de la nature. Ces textes sont pleins de senteurs des plantes, des mouvements des astres,… et ici le rapport à la nature est essentiel ; la survie des hommes en dépend (progression du Sahel, attente de la saison des pluies …).Certes un grand nombre de personnes vit aujourd’hui dans des grandes villes que sont Ouagadougou et Bobo mais la plupart sont originaires de villages, villages d’agriculteurs et la langue de Rouquette est bel et bien celle des agriculteurs du Sud de la France, celle qu’enfant j’entendais de la bouche de ma grand-mère et que je qualifiais alors de patois.L’Occitan et ses images répondent au Dioula. Une langue plus archaïque que le français donc pour faire lien avec la Grèce Antique, et créer des images qui semblent avoir pris naissance en Afrique de l’ouest ou « Entouka » en parler comme ses filles.Rouquette rêve d’une représentation dans un théâtre de plein air et « la pièce serait à l’image de ce théâtre, dans son esprit, pierreux brutal, dur, sans ornement mais parfois avec l’ampleur du vent, de la chaleur, de l’air, du ciel, de la nuit, et aurait pourtant les reflets et les significations de la vie, de ses tourments, des tempêtes, des songes et de la souffrance de tout homme, dans tous les temps ». Les paysages entre Ouagadougou et Bobo obéissent au souci de l’auteur. Extraits du Journal de Voyage de Jean-Louis Martinellijuin 2003.  A PROPOS DE LA SCENOGRAPHIE DE MEDEE

Si on veut, nous dit Max Rouquette, l’espace du jeu nécessaire à cette tragédie, pourrait se réduire à la couverture rouge derrière laquelle apparaît Médée pour la première fois.Aux confins de la ville, Médée la paria, occupe l’espace aride d’une ruine dans un terrain vague, plus de portes, plus de fenêtres, juste une couverture rouge…C’est entre deux espaces extrêmes, la ville et l’immense au-delà du terrain vague, que nous avons posée, en équilibre, la fragile couverture, le pauvre univers où vit Médée.Ce pourrait être en périphérie d’une ville africaine, la banlieue de Ouagadougou, où tentent d’exister des morceaux d’humanité, accrochés encore à la ville, tendus vers elle, mais déjà presque lâchés par elle, avant d’être tout à fait engloutis par la poussière…Murs effondrés, murs remontés, briques en tas abandonnées depuis des siècles à moins que déposées la veille.Reconstruction ou archéologie, les yeux brûlés par la poussière rouge et la misère, on ne fait plus la différence.  
De cet espace concret la scénographie se dilate vers les espaces extrêmes de la ville, vers la salle, atténuant la limite avec le plateau que l’on peut rejoindre de plain-pied, et, à l’opposé vers l’image d’une immensité désertique qui, absorbant le regard le projette dans la dimension irraisonnable, fantasmatique et magique de Médée.Au bord du chaos, Médée lance sa terrible vengeance entre l’espace des vivants et celui des morts, là où cohabitent les fétiches et les petites cuvettes de plastique bleu.Gilles Taschet, mai 2003
TEXTE A MAX ROUQUETTE : LE TEMPS DES DIEUX Ce qui me semble important – et certain – c’est l’importance dans l’oeuvre de la place accordée aux nuits, place telle qu’elle nous oblige à pressentir et à reconnaître son caractère de médiation.Que ce soit une façon de permettre la mise en scène d’effets flamboyants ou d’isoler dans cette nuit des êtres confrontés à la pureté de l’essentiel ; de souligner le contour d’un visage, d’une silhouette qui se détachent dans la ténèbre ou de les fondre dans la pénombre et de créer une illusion de fusion dans un même destin, la nuit semble être toujours l’éclairage, le climat propices à une méditation sur l’essence des choses – propices aussi au passage du visible à l’invisible – au retour à une terre plus originelle que la terre natale.Bien sûr, il faudrait parler de Médée – Médée reine de la nuit, face nocturne de l’âme. Médée, son incandescence et sa violence, Médée et ce brasier dans lequel elle nous jette (à tel point que le choeur en devient indispensable – fait quasi unique depuis l’Antiquité – pour nous rassurer, nous rappeler que « c’est ailleurs » et nous permettre de nous y abandonner). Médée qui nous envahit de cette horreur voluptueuse où nous pouvons, si loin, si loin en nous, retrouver l’inexprimable – l’interdit – ce que nous avons toujours enfoui, ce que nous refoulons – le sauvage, le sacré, « le temps des dieux ».Car c’est bien Dionysos qui est là – l’enfant du feu – le « sauvé du feu » en personne et qui nous propose d’exorciser nos démons et de nous faire, dans l’éphémère de l’ivresse, réintégrer l’âge d’or, mais qui nous dévoile une splendeur meurtrière dont nous ne pouvons supporter l’éblouissement.Soleil maléfique dont la brûlure nous consume, nous emporte – cendres et fumée – mais ramène à nos origines (l’homme né de la cendre des Titans) dans l’abîme qu’elle ouvre entre les dieux et les mortels. Médée qui nous laisse, exorcisés et anéantis, face à nous-mêmes, face au silence, face à ce « rien du tout »… et pour l’infinité des temps…Sans doute aurais-je encore évoqué le royaume d’Hadès, l’enlèvement de Perséphone, entraînée dans le gouffre, et la quête de Déméter (déchirée d’angoisse, de tourment et de douleur) aux frontières du monde connu, et la malédiction dans la stérilité de la terre.La tête d’Hadès est environnée des ombres de la nuit. Celle de Déméter a la lumière du blé. Chaque printemps – Zeus l’a permis – Perséphone s’échappera du monde souterrain pour retrouver sa mère, rejoindre la lumière : les pousses sortiront des sillons… puis retourneront à l’ombre avec elle quand le temps sera venu, pour s’enfouir avec les semailles.Ce monde évanoui, dont la disparition de Perséphone peut être une évocation, n’est-il pas ce gouffre, ce rien, cette absence qui hante la parole poétique quand elle pose sans cesse la question de son rapport au vide et au néant ? Et le surgissement, l’émergence, le jaillissement du chant qui s’élève n’est-il pas, comme cette plainte, fondé sur la perte, la déchirure, l’ouverture de la terre à l’abîme, sur le vertige et l’épreuve du vide ? Ne nous y ramène-t-il pas nécessairement en nous confrontant au sens de l’ombre qui l’a fait naître?Voici les questions que l’ombre de votre oeuvre a suscitées en moi – et que j’aurais posées vendredi, questions qui n’appellent pas de réponse, mais une percée plus profonde, un « creusement » : l’aventure de se couler à l’infini dans la spirale de l’œuvre créée.Françoise WyattMax Rouquette Actes du Colloque International (Montpellier, 8 octobre 1993) Extraits  MAX ROUQUETTE Max Rouquette, né en 1908 à Argelliers dans l’Hérault, est considéré comme le plus grand écrivain d’expression occitane vivant. Co-fondateur du Nouveau-Languedoc à Montpellier en 1928, où il rencontre Jean Lesaffre et Roger Barthe, il devient rédacteur en chef d’Occitania, revue occitane créée par Charles Camproux. Fondateur en 1945, avec Ismaël Girard et Camille Soula de L’Institut d’Etudes Occitanes, il lance en 1965, avec Jean Camp le P.E.N.-Club de Langue d’Oc. Max Rouquette a publié une oeuvre importante, tant en prose qu’en poésie, qui a renouvelé la littérature d’oc, en l’éloignant du folklore et du pittoresque pour retrouver un chant profond et universel.« Max Rouquette n’est pas seulement l’un des derniers troubadours, il est aussi un très grand écrivain de langue française. Il a, le plus souvent, traduit lui-même ses textes dans un français étincelant et précis, inventif, d’une beauté éblouissante. Son style est limpide. Il sait, en mots, traduire le grain des choses, la spiritualité des êtres, fussent-ils les plus frustes apparemment.Les thèmes de Rouquette sont très larges, son inspiration est à la fois cosmique et quotidienne. Il aime les humbles et le ciel étoilé, il aime le petit peuple et les grands savants, il aime l’intelligence et la naïveté, il aime les cailloux et les animaux.Nouvelles (Verd Paradis – Vert Paradis), pièces de théâtre tragiques (une Medelha-Médée sublissime) ou cocasse (Le Glossaire, joué au Studio de la Comédie-Française), poèmes (D’aiçi mil ans de lutz), albums – Le Bout du monde avec Bernard Plossu –, dessins – le trait est fin, aérien, juste –, prose (Graves pensées sur la lagune), Max Rouquette excelle en des formes très différentes.Ce qui lie cette exceptionnelle constellation d’encre et de poudre scintillante, c’est l’inventivité d’une langue fruitée, belle, puisant aux sources classiques pour imposer son propre tempérament lyrique. Max Rouquette, c’est un continent toujours à découvrir, un homme bon, enjoué, amical, sensible, traversé d’humeurs sombres parfois parce que tout le marque, le blesse, et qui, loin du tapage, a construit une oeuvre littéraire immense qui flambe haut et clair, mystérieuse, rassurante. Eternelle. »Armelle Héliot, Le Figaro, 15 février 2002

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