Montesquieu.

montesquieu

Repères chronologiques

1689
Naissance au château de La Brède – près de Bordeaux – de Charles-Louis, fils de Jacques de Secondat et de Marie-Françoise de Pesnel.
1696
Mort de sa mère.
1700
Études au collège des Oratoriens de Juilly, près de Meaux.
1705
Entrée de Charles-Louis à la faculté de droit de Bordeaux.
1708
Obtention de sa licence de droit. Il est ensuite admis comme avocat au parlement de Bordeaux. Lors de ses premiers séjours à Paris, Charles-Louis fréquente les milieux savants et lettrés.
1713
Mort de son père. Il hérite du château de La Brède et de ses riches vignobles.
1714
Entrée en fonctions de Charles-Louis comme conseiller au parlement de Bordeaux.
1715
Mariage de Charles-Louis avec Jeanne de Lartigue – une riche propriétaire protestante.
1716
Décès de son oncle Jean-Baptiste de Secondat, qui lui lègue la charge de président du parlement de Bordeaux, la baronnie de Montesquieu et tous ses biens. Charles-Louis publie Sur la politique des Romains dans la religion – un traité de philosophie politique.
1717
Élection de Montesquieu à l’Académie royale des sciences de Bordeaux.
1721
Publication anonyme des Lettres persanes, à Amsterdam. Ce roman connaît un immense succès.
1725
Écriture du Temple de Gnide – un poème en prose inspiré du microcosme mondain parisien.
1726
Vente de sa charge de président à mortier, pour payer ses dettes.
1727
Élection de Montesquieu à l’Académie française.
1728-1731
Voyages de Montesquieu dans différents pays d’Europe : Autriche, Hongrie, Italie, Allemagne, Hollande et Angleterre.
1734
À son retour en France, publication des Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence.
1747
Début des problèmes de vue de Montesquieu.
1748
Parution anonyme à Genève de L’Esprit des Lois. Cette œuvre, qui suscite de vraies polémiques, rencontre un succès considérable.
1750
Pour contrer les attaques féroces de ses adversaires, le philosophe publie la Défense de l’« Esprit des Lois ».
1751
Mise à l’Index de L’Esprit des Lois par le pape.
1753
Montesquieu est élu directeur de l’Académie française.
1754
Publication de Lysimaque. Montesquieu rédige l’Essai sur le goût pour l’Encyclopédie.
1755
Mort de Montesquieu à Paris, victime de la fièvre jaune. Diderot assiste à son enterrement.

Montesquieu ou le « gentilhomme-vigneron »

Montesquieu a déclaré un jour avec humour :
« Je ne sais si mes vins doivent leur réputation à mes livres ou mes livres à mes vins. »
Originaire du Bordelais, Montesquieu est l’héritier d’une famille de juristes-viticulteurs. La vigne est sa principale source de revenu. Elle lui permet l’indépendance financière qui assure sa liberté intellectuelle.
À la mort de son père, Montesquieu reçoit en legs les domaines de La Brède, dont celui de Rochemorin à Martillac qui se trouve à cinq kilomètres du château familial. Une bonne partie de la production du « gentilhomme-vigneron » est assurée par les onze hectares de vignes situés dans le terroir des Graves, au sud de Bordeaux.
La Guyenne, qui fut une possession anglaise du xiie au xve siècle, exporte depuis toujours le meilleur de sa production vers l’Angleterre. Or, en février 1725, un arrêt du Conseil royal interdit les plantations de vignes nouvelles pour freiner la surproduction. Montesquieu rédige alors un mémoire d’arguments pour convaincre les autorités de revenir sur leurs positions. Il prône le développement de vins de qualité :
« La Guyenne, comme nous avons dit, doit fournir à l’étranger différentes sortes de vins, dépendantes de la diversité de ses terroirs. Or, le goût des étrangers varie continuellement, et à tel point qu’il n’y a pas une seule espèce de vin qui fût à la mode il y a vingt ans qui le soit encore aujourd’hui ; au lieu que les vins qui étaient au rebut sont à présent très estimés. Il faut donc suivre ce goût inconstant, planter ou arracher en conformité. »
Son mariage avec Jeanne de Lartigue lui apporte en dot d’immenses domaines viticoles situés en Graves, dans l’Entre-Deux-Mers et dans l’Agenais. Montesquieu gère ses nombreuses propriétés avec sa femme, laissant l’exploitation quotidienne à son régisseur, Guillaume Grenier – surnommé « l’Éveillé ». Pendant la saison des vendanges, Montesquieu s’installe au château de La Brède pour surveiller les opérations, arpentant ses vignes avec son fidèle collaborateur.
Il dirige lui-même l’expédition de ses vins en tonneaux et en bouteilles vers Londres ou Paris. Il n’hésite pas à en faire la promotion lors de ses voyages ou lorsqu’il reçoit des hôtes étrangers au château, notamment ses amis anglais – le maréchal de Berwick et les lords Chesterfield, Warburton et Bulkeley – très friands du vin « claret ». Bulkeley le tance un jour avec malice :
« Misérable enfant de la terre, j’espère que vous en avez recueilli les fruits, et que votre chai se trouve à présent rempli de cette maudite liqueur dont vous empoisonnez nos pauvres Anglais. »
Vue du château de La Brède où est né Montesquieu le 18 janvier 1689. Il y restera très attaché.
Vue du château de La Brède où est né Montesquieu le 18 janvier 1689. Il y restera très attaché.

Montesquieu et Mme de Lambert

Comme tous les beaux esprits de son époque, Montesquieu fréquente assidûment les brillants salons qui fleurissent à Paris, à savoir celui de la marquise du Deffant, de Mme de Geoffrin, de Mme de Tencin, ou le très fermé club de l’Entresol. Mais le plus en vue est, sans nul doute, celui tenu par Mme de Lambert.
Anne-Thérèse de Marquenat de Courcelles, marquise de Lambert, peut être considérée à juste titre comme l’une des personnalités marquantes du « siècle des Lumières » – expression forgée par Montesquieu lui-même. Pendant plus de vingt ans (1710-1733), elle reçoit à Paris, dans son hôtel de Nevers, toute l’élite française du moment : écrivains, artistes et savants se pressent à ses réunions du « mardi » ou du « mercredi ». Son salon est un véritable temple des Modernes où s’échangent les pensées les plus hardies, où fleurissent l’esprit critique et le bon goût.
Après le prodigieux succès des Lettres persanes, Montesquieu y est introduit à son tour par l’abbé de Saint-Pierre. C’est dans ce cadre élégant et raffiné que Montesquieu fait la connaissance des grandes figures de son temps : Fénelon, La Rochefoucauld, l’abbé de Bernis, Marivaux, Crébillon, Fontenelle, Houdart de La Motte…
Montesquieu et la marquise de Lambert, qui s’estiment mutuellement, partageront une longue amitié. Dans une lettre qu’il lui adresse en 1724, Montesquieu déclare :
« Voici, Madame, quelques Lettres persanes. Vous voyez que j’emploie toutes sortes de moyens pour surprendre votre estime. C’est qu’il n’y a personne dans le monde à qui j’ai plus ambition à plaire. »
Très influente, Mme de Lambert contribue d’une façon décisive à la diffusion des idées nouvelles et à la protection de leurs auteurs. Le marquis d’Argenson dira d’elle : « Il est certain qu’elle avait fait la moitié des académiciens. »
Cette femme de lettres appuie en effet la candidature de Montesquieu à l’Académie française, malgré les réserves du roi Louis XV et de son ministre, le cardinal de Fleury, agacés par le ton satirique et badin des Lettres persanes.

L’auteur vu par d’autres écrivains

Montesquieu est l’un des principaux représentants de l’esprit des Lumières. Ses idées novatrices et la subtilité de ses écrits sont saluées par tous, comme en témoignent ces quelques citations d’écrivains célèbres.
Voltaire (1694-1778)
« Un génie mâle et rapide. »
Jean-Jacques Rousseau (1712-1778)
« Le droit politique est encore à naître. Le seul moderne en état de créer cette grande science eût été Montesquieu ; mais il n’eut garde de traiter des principes des droits politiques ; il se contenta des droits positifs des gouvernements établis. »
Diderot (1713-1784)
« J’écrivais ces réflexions, le 11 février 1755, au retour des funérailles d’un de nos plus grands hommes, désolé de la perte que la nation et les lettres faisaient en sa personne, et profondément indigné des persécutions qu’il avait essuyées. »
Jean d’Alembert (1717-1783)
« Sa conversation… était coupée comme son style, pleine de sel et de saillies, sans amertume et sans satire. »
Mme de Staël (1766-1817)
« Il était impossible qu’aucun écrivain de l’Antiquité pût avoir le moindre rapport avec Montesquieu ; et rien ne doit lui être comparé, si les siècles n’ont pas été perdus, si les générations ne se sont pas succédé en vain, si l’espèce humaine a recueilli quelque fruit de la longue durée du monde. »
Benjamin Constant (1767-1830)
« Quel coup d’œil rapide et profond ! Tout ce qu’il dit dans les plus petites choses se vérifie tous les jours. »
Stendhal (1783-1842)
« Ce n’est pas précisément de l’amour que j’ai pour Montesquieu, c’est de la vénération ; il ne m’ennuie jamais en allongeant ce que je comprends déjà. »
André Gide (1869-1951)
« C’est un maître écrivain ; je veux dire qu’il y a profit à se mettre à son école ; à condition de ne pas y rester. »
Le mot de Jean d’Ormesson.
Montesquieu est un grand écrivain. Et un esprit universel qui s’est illustré dans les domaines les plus divers. Avec ses Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence, et surtout avec L’Esprit des Lois qui connaît un succès immense, dont vingt éditions se succèdent, dont les traductions se multiplient, il est l’héritier laïque de Bossuet, le rival de Voltaire et de Gibbon, l’auteur anglais de Decline and Fall of the Roman Empire, l’annonciateur de Hegel et de Tocqueville. Avec ses Lettres persanes, il est un pamphlétaire libertin, insolent et hardi.
Parues sans nom d’auteur en 1721, en pleine Régence, dans l’effervescence des idées et des passions trop longtemps contenues par la gloire du Roi-Soleil, lesLettres persanes sont un roman où, caché derrière Rica et Usbek qui visitent la France et qui, en bons musulmans, peuvent s’étonner librement de tout ce qu’ils voient et de la religion chrétienne, Montesquieu s’inscrit dans la lignée très classique des épistoliers satiriques. Il fonde en même temps, par la méthode des regards obliques, la sociologie moderne.
Les Lettres persanes sont un portrait de la France sous la Régence. C’est une satire sociale, et l’occasion de jugements sans compromis sur la religion catholique et le gouvernement monarchique. Elles sont assez licencieuses pour que l’avocat de Flaubert puisse s’en servir, plus d’un siècle plus tard, au procès intenté contre Madame Bovary. Quelques années à peine après la mort de Louis XIV et de Mme de Maintenon, elles attaquent la religion dominante avec une audace ironique et allègre : « Si les triangles faisaient un dieu, ils lui donneraient trois côtés » ou « Il y a un autre magicien encore plus fort, c’est le pape : tantôt il fait croire que trois ne sont qu’un, que le pain qu’on mange n’est pas du pain, ou que le vin qu’on boit n’est pas du vin, et mille autres choses de cette espèce. » Et elles annoncent déjà la cruauté ravageuse de la satire de Swift. Rica passe en revue les théâtres et les cafés littéraires ; Usbek, plus grave, traite de théologie et du gouvernement : « Un grand seigneur est un homme qui voit le roi, qui parle aux ministres, qui a des ancêtres, des dettes et des pensions. » Beaumarchais est déjà là. Et toutes les affaires d’aujourd’hui. Quand Montesquieu se présente à l’Académie française, il faut bien révéler le nom de l’auteur des Lettres persanes au cardinal de Fleury. Le cardinal s’amuse de l’affaire, et pardonne. Et Montesquieu est élu.
Né au château de La Brède, près de Bordeaux, Montesquieu a un mendiant pour parrain – la tradition féodale tend la main à l’humanisme et à la Révolution. Il a un heureux caractère : « Je m’éveille le matin avec une joie secrète, je vois la lumière avec une espèce de ravissement. Tout le reste du jour, je suis content. » Il aime l’étude : « L’étude a été pour moi le souverain remède contre les dégoûts de la vie, n’ayant jamais eu de chagrin qu’une heure de lecture n’ait dissipé. » Il a le cœur bon : « Je n’ai jamais vu couler les larmes sans être attendri. » Il aime plaire et instruire.
Réunies sous le titre Cahiers, les pensées de Montesquieu sont brillantes. Il indique que l’essence de la littérature consiste à sauter les idées intermédiaires. C’est une vue moderne et profonde. Dans les grandes choses et dans les petites, Montesquieu est de tous les temps.
http://www.ibibliotheque.fr/les-lettres-persanes-montesquieu-mon_persanes/le-mot-de-jean-d-ormesson/page1

Leave a comment

You must be logged in to post a comment.