Travaux en cours

Contes, dessins et pédagogie. Ou l'inverse.

Archive for décembre, 2018

Mangalche

   Mon premier est en bas à droite

Mon deuxième est en bas à gauche

Mon troisième est en haut à droite

Mon quatrième est en haut à gauche

 

Et mon tout est une affiche entière:

 

J’ai enfin compris que je pouvais compresser les images.

Di M

Décembre 2018

 

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Le train de 18h33

–          Je m’appelle Romain mais maintenant, on m’appelle Romane. Je prends ce train de banlieue tous les soirs, toujours le même, celui de 18h33. Je rejoins mon studio, tout en haut d’une tour, mais je vois loin… Je ne m’assois pas toujours à la même place, des fois en bas, des fois en haut de ces wagons qui sentent fort l’humanitude. Je m’appelle Romain mais on m’appelle Romane maintenant.

–          Bonsoir, je suis Sidibé. Je viens du Sénégal et je n’aurais jamais cru avoir si froid en France. Vous savez, cette impression que même mes os sont gelés. Je vais retrouver ma famille, ma femme sera déjà partie travailler, ma grande garde ses petits frères et sœurs. Je prends tous le soirs le train de 18h33. Je suis Sidibé et j’ai froid.

–          Allo ! Oui, c’est Mickaël. Comment ça va, gros ? T’es où ? Ah ! Moi c’est com’ d’hab’, dans le train de 18h33. Ouais, je passe ce soir chez ouate jouer à la PS4. Comment on va les défoncer à kolof … Allo ! C’est Mickaël.

–          Hein ? Oui, c’est pourquoi ? Attendez, j’enlève un écouteur. Josie, c’est mon nom. Ce que j’écoute ? C’te blague, c’est Djohny ! Ça fait une semaine que mes yeux y s’arrêtent pas de pleurer. Quand j’y pense, c’était comme un grand frère pour nous.  Le train ? Oui, tous les soirs le train de 18h33. Mon nom c’est Josie et j’écoute Djohny.

–          Je suis Jeanne, je rentre de mes cours de droit. En fait, j’aime bien prendre le train, je peux relire mes cours et quand j’arrive chez moi, j’ai moins de travail, alors c’est bien ! Je prends presque toujours le train de 18h33, ça dépend de mes cours. Je suis Jeanne et je suis en fac de droit.

–          Mesdames et messieurs, je vous demande votre attention. Je suis Jean-Daniel, le conducteur de votre train. Nous sommes arrêtés en pleine voie car la signalisation m’oblige à stopper. Je vous tiens au courant dès que j’en sais plus et vous prie de bien vouloir excuser ce contretemps.

–          Comment ? On est où ? J’ai loupé ma station ? je m’appelle Jacques et je crois bien que je me suis assoupi. Je pars vraiment tôt tous les matins. Ça m’a réveillé ce message. Mais c’est bien qu’il nous explique un peu. Je prends tous les jours le train de 18h33. Je m’appelle jacques et je suis fatigué.

–          Moi, c’est Michel. J’ai 73 ans. Je ne peux plus écrire, ma main droite tremble trop. Je suis sûr que tout le monde le voit, comme ma main tremble. Mais je la cale sur ma jambe et j’arrive à lire le « 20 minutes » en le tenant de la main gauche. Je prends souvent le train de 18h33 quand je rentre de chez ma fille. Moi, c’est Michel et je tremble.

–          Pardon ? Mon nom est Hélène, je vais vous demander de m’excuser mais il faut absolument que je termine ce travail sur mon ordi. Tiens, on est arrêté. Ça fait longtemps ? Oh la la, je vais être en retard ! Je m’y remets, désolée. Si cela ne vous dérange pas, pouvez-vous me prévenir quand nous arrivons ? Je ne prends jamais le train de 18h33, je termine plus tard d’habitude, mais ce soir j’ai un rendez-vous ultra-important pour mon job. Mon nom est Hélène et je suis stressée.

–          Je m’appelle Rose-Marie, je mange un morceau, c’est toujours long ces journées. J’aime bien prendre ce train de 18h33, et comme je m’assois toujours à la même place, je vois souvent les mêmes personnes. Je leur dis bonjour sans les connaitre et on parle du temps. Ça coupe le trajet. Je m’appelle Rose-Marie et je mange un morceau.

–          Attendez, je finis ma phrase. Oui ? je suis Patrick, je profite du train pour lire. C’est tranquille le train, oui sauf quand y en a qui parlent trop fort. Oui, je prends presque tous le jours le train de 18h33 et je lis. Oui, c’est le dernier livre de Grangé, vous connaissez ? oui, j’ai lu tous les autres. Je suis Patrick et j’ai lu tous les Grangé.

–          Mesdames et messieurs, c’est encore Jean-Daniel, le conducteur de votre train. Cela fait 20 minutes que nous sommes à l’arrêt en pleine voie. Je vous rappelle qu’il est formellement interdit de descendre sur les voies. C’est extrêmement dangereux. Je n’ai aucune information à vous donner car je n’en ai pas ! Vous avez remarqué qu’aucun train ne nous a doublé ou croisé depuis que l’on est arrêté. Personne ne me contacte et la nuit noire ne nous permet pas voir quoique ce soit. Je suis comme vous, j’attends …

Anne-Marie, septembre 2018

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J’ai cru qu’on maltraitait un chien au vu des cris aigus

Il était une fois un lion. Sa couleur fauve, son imposante crinière, ses canines fières montrait qu’il était lion. Mais ce lion ne se savait pas lion. Sa naissance avait été dramatique puisque sa mère et ses frères bébés avaient été tués par des chasseurs. Vous savez, ceux qui viennent en Afrique tuer les animaux qu’ils n’ont pas chez eux. Mais ce premier sorti du ventre de sa maman lionne avait miraculeusement échappé aux fusils meurtriers. Il avait en effet atterri sous un épais buisson d’épineux et par chance, n’avait pas manifesté sa présence. Par chance ? à voir … car il s’était retrouvé seul au monde, dans une savane aux mille dangers sans personne pour le protéger. Poussant de petits cris de douleur et de faim, il arpentait la grande plaine, caché par les hautes herbes, s’arrêtant de temps à autre sous un acacia pour profiter de son ombre. Et il appelait lamentablement au secours.

C’est là, dans la plaine, sous cet acacia, que l’impensable se produisit : une maman zèbre entendit ces plaintes déchirantes, trouva le bébé lionceau et accepta de partager avec lui le lait destiné à son propre bébé. Elle dira ensuite : « J’ai cru qu’on maltraitait un chien au vu des cris aigus ». Comment cette maman zèbre connaissait-elle les cris aigus des chiens ? sans doute en avait-elle entendu quand elle passait près, mais pas trop, d’un village d’humains.

Toujours est-il que ce lionceau fut élevé par cette maman zèbre. Son frère de lait était un adorable petit zèbre. Et les deux compagnons apprirent à partager les jeux, le lait maternel et le plaisir de gambader dans la savane. Les autres zèbres du troupeau regardaient avec une méfiance légitime cet enfant adopté mais la maman zèbre défendait son deuxième petit avec force et fierté. Le conseil des zèbres décida qu’il était urgent … d’attendre et de voir ce qui pouvait se passer. Le lionceau apprit à se nourrir de la viande laissée par les hyènes et les vautours, il se fortifia par les jeux avec son frère. Leur jeu préféré était « Je cours, tu me rattrapes, mais fais bien attention car je change de direction quand je veux ! » auquel ils participaient en changeant de rôle. Le petit zèbre était bien conscient que son frère ne ressemblait pas aux frères habituels mais le plus important était leur bonne entente. On peut dire qu’ils s’aimaient.

C’est ainsi que se passa leur enfance dans l’insouciance relative des grandes plaines africaines. De temps à autres, un guépard essayait bien de happer un membre de la troupe ; des hyènes, toujours à l’affût d’un bon repas, guettaient la bonne occasion mais les mamans savaient bien comment regrouper les petits au milieu des adultes pour les protéger.

Cependant, il arriva qu’un jour, les deux frères s’éloignèrent et se retrouvèrent isolés. Ils croisèrent des girafes réticulées qui broutaient le haut des acacias, des phacochères qui grattaient la terre, des gnous aux aguets. Au loin un rhinocéros chargeait un groupe de gazelles qui s’étaient sans doute trop approché de lui. Bien sûr, le spectacle était fabuleux et les deux jeunes, captivés par ce qu’ils voyaient autour d’eux ne se méfiaient pas. Or, un léopard était nonchalamment allongé sur une branche. Le bruit que faisaient les deux frères l’avait réveillé. Il descendit souplement, la tête la première et s’approcha des jeunes inconscients. Le souffle léger de l’animal fit détaler le zèbre. Le léopard le prit en chasse sans se douter de la présence du lion. Celui-ci, aguerri par les jeux, rattrapa les deux coureurs, se plaça devant le léopard, ouvrit la gueule et pour la première fois, poussa un rugissement à faire s’immobiliser tous les animaux aux alentours. Le léopard comprit qu’il n’était pas de taille devant ce lion magnifique. Il fit demi-tour sans demander son reste, c’est bien le cas de le dire car il pensa que le lion allait se réserver sa part.

Retrouvant leur troupeau, ils racontèrent leur mésaventure et le conseil des zèbres se jugea une fois de plus très avisé, cette fois d’avoir accueilli au sein de leur groupe un si bon défenseur. La maman des deux impulsifs leur passa quand même un bon savon, tout en étant ravie de la conclusion de l’affaire ; elle se disait que sa bonne action avait été récompensée et elle n’avait pas tort. Elle avait quand même conscience que ses deux petits étaient devenus grands et qu’elle allait devoir les laisser partir vivre la vie des grands.

Comme ça se passe habituellement dans le monde des zèbres, le conseil se réunit et fit venir les jeunes mâles. Un long discours leur fut servi sur la nécessité de devenir de bons ambassadeurs de leur groupe, de toujours se rappeler des principes et des valeurs qui leur avaient été données … comme dans toutes les réunions de cette sorte chez tous les animaux ! Puis ils leurs demandèrent de partir pour vivre leur vie d’adultes et pour pérenniser leur espèce.

A la suite de cette réunion, les deux frères eurent juste le temps de saluer leur mère qui n’allait pas tarder à mettre bas de nouveau. Ils s’en allèrent formant un petit groupe à la recherche d’un nouveau territoire. Il allait falloir faire preuve de courage pour affronter des dominants et conquérir des dames zèbres mais ils se sentaient fort capables, la savane n’attendait qu’eux.

L’histoire pourrait s’arrêter là mais comment un lion pourrait-il conquérir une dame zèbre, me direz-vous ! eh bien, ce n’est pas possible dans la savane comme elle est actuellement. Mais tout proche de là où s’établit le groupe de jeunes zèbres, il se trouva un clan de lionnes dont le grand mâle s’était fait attrapé pour aller garnir une cage de zoo. La deuxième chance de sa vie pour notre héros.

Il n’était pas le seul jeune lion à convoiter ces belles. Mais contrairement à ses adversaires, il ne passait pas son temps à dormir, se levant seulement pour déguster sa part du gibier tué par les femelles. Non, sa jeunesse lui avait appris à courser les proies et à se forger une musculature digne d’un Usain Bolt. Les lionnes apprécièrent particulièrement ce lion capable de participer aux affaires du ménage. Elles votèrent à l’unanimité pour lui et c’est ainsi que notre lion devint le roi de cette partie de la savane.

On dit que dans ce coin de savane, aucun zèbre ne fut jamais mangé par un lion. On dit aussi que parfois, au couchant, on peut apercevoir un lion magnifique et un zèbre aux belles rayures cheminer de concert, se racontant peut-être leurs bonnes fortunes.

 

Anne-Marie, 2/10/16

 

Suite à l’atelier d’écriture des Rencontres du CRAP de 2016, je me suis prise au jeu d’écrire un conte à partir d’un titre de faits divers, sans aucun rapport avec l’article en question d’ailleurs … Pour ceux qui seraient intéressés, voici le lien : http://www.lavoixdunord.fr/39974/article/2016-08-31/j-ai-cru-qu-maltraitait-un-chien-au-vu-des-cris-aigus

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La dame d’un certain âge et la connexion internet

Il était une fois au pays des Chênes lièges, une dame que nous dirons d’un certain âge, voire même d’un âge certain. Passant ses vacances à mille bornes de ses meilleures amies, cette dame cherchait à leur répondre par le biais d’une connexion internet. Mais celle-ci ne fonctionnait pas correctement malgré les publicités de l’opérateur Marron.

Ce jour-là, elle essaya très tôt le matin, comme d’habitude. Elle avait remarqué en effet que la connexion n’avait aucune chance de se réaliser passé 7h45. Très tôt donc, elle cliqua sur les diverses propositions pour arriver enfin, au bout d’une demi-heure, à écrire sa réponse. A peine avait-elle pensé qu’elle devait se presser pour que la connexion ne se coupe pas, … que la connexion se coupa ! Le deuxième essai se déroulant de la même manière, cette dame, tout à fait charmante au demeurant, eut envie de jeter son ordinateur portable par la fenêtre. Ce qu’elle ne fit pas, heureusement pour le jeune homme qui sortait à ce moment chercher ses croissants. Lui vint ensuite l’envie de hurler. Ce qu’elle ne fit pas, heureusement pour les résidents qui poursuivaient leurs rêves à cette heure encore bien matinale.

Cela faisait une dizaine de jours que cela se répétait avec plus ou moins de bonheur. Parfois elle réussissait à lire un message, mais souvent, cela même lui était refusé par cette sorte de géant virtuel, invisible, sans nom et sans recours possible.

Peut-être pensez-vous qu’elle aurait dû se rendre dans une boutique de l’opérateur Marron ? Déjà tenté : qui dit boutique dit lieu de vente de téléphones, de box et autres babioles connectées et non d’aide à la connexion. Peut-être pensez-vous qu’elle aurait dû appeler au téléphone l’assistance de l’opérateur Marron ? Déjà tenté mais au bout de trente minutes, le délicieux jeune marocain lui expliqua que cela ne dépendait pas d’eux. Peut-être pensez-vous qu’elle aurait dû passer par l’aide proposée sur le site ? Rappelez-vous qu’elle rencontre justement un problème de connexion. Peut-être pensez-vous qu’elle aurait dû se rendre chez un réparateur informatique ? Déjà tenté, elle s’était vu répondre qu’il n’existe pas d’amplificateur de Wifi, que cela ne dépend que de l’opérateur. Autre idée ? … Vous en êtes au même point que notre dame d’un certain âge. Mais elle vous remercie bien de tenter de l’aider et de compatir à ses problèmes certes non vitaux mais juste très énervants.

Ce n’était pas son genre de se mettre à pleurnicher et à se lamenter, alors elle chercha ce qu’elle pourrait faire d’autre. En écoutant une chanson de sa jeunesse, elle eut l’idée de mettre en paroles et en musique ce qu’elle vivait. Elle écrivit donc un texte sur la mélodie de cette chanson. Un air gai, chic et entrainant, des paroles drôles, fines et percutantes ; voilà le travail fait et bien fait. Elle fit appel à des amis de ses enfants pour s’enregistrer et, de chez eux, posta l’enregistrement sur Youtube.

Sur internet, tout se diffuse très vite et de plus en plus de monde connaissait ce morceau. Des twitts le relayaient. Les posts sur Facebook ne parlaient que de lui. Des jeunes gens s’emparaient de cette histoire et la mimaient en se déguisant puis ils postaient à leur tour leur vidéo sur le Net. Des flashmobs s’organisaient dans les rues des villes du royaume des Chênes lièges. Et cet internet, qui ne fonctionnait pas pour la dame d’un certain âge commençait à faire d’elle une vedette de la Toile.

Les radios et les télévisions, toujours à l’affut de ce qui fait polémique, cherchèrent alors à la contacter. Mais comment retrouver cette dame d’un certain âge ? Ils lancèrent leurs meilleurs reporters sur ses traces et finirent par la localiser. Son interview passa sur toutes les chaines en boucle.

Il en est que cela n’amusait pas du tout : les directeurs de l’opérateur Marron. Sans compter leurs actionnaires qui les inondaient de coups de téléphone rageurs. L’un d’eux eut une idée de génie, correspondant bien à leur philosophie : acheter la dame d’un certain âge en lui offrant une hyper- connexion pour le restant de son existence.

Les autres opérateurs en profitèrent pour faire monter les enchères et c’est à celui qui lui proposerait le meilleur contrat augmenté de cadeaux au titre d’ambassadrice de la marque.

On en était à des voyages dans les contrées les plus exotiques quand tout à coup, elle se réveilla en sursaut. Tout cela n’était qu’un rêve, un beau rêve mais un rêve quand même. Elle avait même un peu froid … Cependant, elle restait avec, dans la tête, ce goût sans prix de la satisfaction d’avoir un peu mis à mal cette multinationale, même si ce n’était qu’en rêve. C’est alors qu’elle se rendit compte que la fraîcheur venait de la climatisation, que par la fenêtre, elle apercevait des palmiers et des cocotiers balancer mollement leurs feuillages. Elle n’avait donc pas rêvé …

Elle se retrouvait ambassadrice d’un opérateur concurrent. Celui-ci lui avait proposé un périple dans l’Ile-royaume des fleurs, en outremer.  D’une part, elle permettrait la vente de leurs produits connectés en signant des autographes pour les autochtones et d’autre part, elle tournerait une série de publicités dans lesquelles elle chanterait cette fois un hymne à la gloire de ses nouveaux employeurs. Profitant de l’aubaine, elle avait pu emmener ses deux grandes copines. L’avion en business classe, la limousine venu les chercher à l’aéroport, l’hôtel de grand luxe, toutes trois n’en croyaient pas leurs yeux ni leurs papilles en dégustant langoustes, fruits frais délicieux et en sirotant un planteur au bord de la piscine à débordement. Profiter …, profiter ?

La dame d’un certain âge commençait à douter du bien-fondé de sa conduite. Elle qui s’était énervée d’une impossibilité technique, qui en avait voulu à la firme Marron de sa frustration, n’était-elle pas en train de jouer le jeu de ces multinationales ? Après tout, elle aurait aussi bien pu se rendre dans un des multiples cafés qui offrent la Wifi, ou encore passer un coup de téléphone et même, suprême décadence, écrire une lettre à ses amies. Bien sûr, écrire cette petite chanson lui avait procurée une immense satisfaction. Voir les jeunes s’en emparer l’avait mis dans un état d’euphorie sans commune mesure avec sa vie d’avant. Mais cet état ne l’avait-il pas empêché de se rendre compte qu’elle s’était laissé embarquer dans ce qui justement posait problème : la course à l’équipement informatique ? Celle-ci n’autorisait plus aucun retard dans une communication qui se voulait instantanée. Le libre arbitre et la réflexion individuelle se délitaient dans cette sorte de course à l’armement. Elle voyait maintenant clairement qu’elle profitait actuellement de ce qu’elle reprochait à l’opérateur Marron.

Elle convoqua un conseil des copines. Toutes trois tombèrent rapidement d’accord sur le côté illégitime du nouvel emploi de la dame d’un certain âge. Elle n’avait pas à participer à cette opération publicitaire. Elles discutèrent longuement de la manière de se sortir de cette affaire. Il apparut que le plus simple serait de rembourser les sommes dépensées. Ce qui fut fait sans poser de problème, l’opérateur n’ayant en fait que l’embarras du choix pour poursuivre son expansion et viser ses prochains clients.

Les trois copines avaient quelques sous de côté et elles purent profiter de trois journées supplémentaires dans ce paradis, en changeant d’hôtel bien sûr. Elles rentrèrent dans un avion en seconde classe, moins confortable mais les ramenant tout de même à la maison.

Rentrées chez elles, elles se sentirent somme toute assez fières d’avoir pris conscience de leur responsabilité individuelle face à la consommation outrancière qui est maintenant proposée. Cette petite aventure leur avait ouvert les yeux et quelques chansons plus tard, elles devinrent les reines de cette nouvelle façon de vivre au pays des Chênes lièges.

 

Anne-Marie, Sainte Maxime, le 26 juillet 2017

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Il menace un autre résident de la maison de retraite avec un fusil chargé

Il était une fois, au royaume des Peupliers, une maison un peu spéciale. Cette maison n’abritait pas une famille comme la plupart des maisons. Elle abritait des vieux … on dit d’ailleurs plutôt des personnes âgées. Agées d’un certain âge, et même d’un âge certain¸ ces personnes ne pouvaient plus vivre dans leurs propres maisons et leurs familles ne s’occupaient pas d’eux autrement qu’en payant d’autres gens pour le faire. Ou alors, ils n’avaient plus de proches assez familiers pour avoir envie de le faire. Des patrouilles de fonctionnaires formés ad hoc sillonnaient le royaume pour les récupérer et les amener dans cette immense maison, au grand soulagement des voisins qui souvent étaient les premiers à les dénoncer. Le royaume des Peupliers se voulait le royaume des Djeuns.

C’était donc une maison pleine de Vieux. Des femmes, des hommes, surtout des femmes. La guerre avec le royaume de Pins avait décimé une bonne partie de la population masculine et le cancer des poumons causé par l’industrie du charbon de bois avait supprimé bon nombre de mâles survivants. La vie dans cette maison s’organisait donc autour des soins que les vieux nécessitent : les laver, les faire manger, les faire jouer, les poser devant la télévision, leur faire avaler des médicaments et les coucher.

 

Des équipes de « soignants » se relayaient donc pour effectuer ces tâches, sans grande compassion. Ils se seraient occupé d’animaux, à part la télévision, cela n’aurait pas changer grand-chose, il faut bien le dire … C’était comme cela qu’au royaume des Peupliers, on attendait le décès de ces pauvres Vieux et surtout Vieilles comme on l’a dit. Le plus important était qu’ils ne se plaignent pas, d’où les médicaments, ce qui permettaient accessoirement une fin de vie avec moins de souffrances physiques tout en donnant bonne conscience.

Dans cette maison pleine de Vieux, il ne se passait jamais rien, la routine seule occupait sa place et si les départs définitifs rythmaient les semaines, ils n’occasionnaient aucunes grandes manifestations de tristesse puisque personne ne reconnaissait plus personne : chacun des résidents était totalement abruti par les médicaments. Et puis un jour, un jour de juillet me semble-t-il, les fonctionnaires spéciaux amenèrent une petite vieille. Cette petite vieille allait changer la vie au royaume des Peupliers. Laissez-moi vous raconter comment.

Elle s’appelait Nicolette. Et Nicolette était une petite vieille super dynamique qui ne s’était pas vue prendre de l’âge. Dans sa tête, elle avait toujours vingt ans ! Il est peu de dire qu’elle ne comprit rien à rien quand elle se retrouva dans cette maison de Vieux. Elle regardait les autres pensionnaires, résignés qu’ils étaient, laisser la place aux Djeuns, acceptant de vivre leur fin de vie sans saveurs ni plaisirs.

Elle décida donc de se faire passer pour une des « soignantes ». Elle saisit très vite l’effet des médicaments sur le comportement apathique des Vieux et jugea bon de ne pas croire en leur pouvoir de guérison, elle qui n’était pas malade. Tous les soirs, elle recrachait consciencieusement les pilules rouges et jaunes que l’on voulait lui faire avaler. Se cachant de tous et faisant semblant de somnoler la plupart du temps, elle réussit à subtiliser une blouse rose et une charlotte en papier. Elle s’attachait également à découvrir les personnalités enfouies sous les anxiolytiques-sédatifs. Elle avait également identifié les couloirs et les emplacements de chambres de plusieurs pensionnaires.

Elle avait notamment repéré un Vieux dont l’aspect lui plaisait particulièrement et elle se demandait ce qu’il aurait à raconter s’il n’était pas sous l’emprise des médicaments administrés.  Une nuit, profitant de la pénombre des couloirs et déguisée dans les habits subtilisés, elle se glissa dans sa chambre. Le secouant légèrement, elle finit par le réveiller. Il grommela et ouvrit grand la bouche, attendant sa potion. Surpris que rien n’atteigne sa bouche, il ouvrit enfin les yeux et se retrouva devant une petite figure simiesque coiffée de la charlotte réglementaire.

Nicolette, sans se démonter, lui expliqua qu’il était possible de ne pas se laisser abrutir et que, malgré leur grand âge, ils pouvaient encore espérer des années de bonheur. Oh, peut-être pas d’immenses bonheurs mais au moins des petits bonheurs au fil des jours. La dictature des Djeuns devait être abolie pour leur permettre de retrouver une certaine joie de vivre plutôt que d’en attendre la fin !  Le Vieux s’était redressé dans son lit et il considérait la petite bonne femme en écarquillant les yeux. Celle-ci lui laissa le temps de retrouver ses esprits en allant s’asseoir au bout du lit.

Bon sang de bonsoir, bien sûr qu’elle avait raison ! Comment avait-il pu se laisser convaincre par tous ces tyrans qu’un vieux n’est plus bon qu’à se laisser mourir en avalant des cachets pour ne pas y penser ? Ce monde de Djeuns fabriqué par des médias toujours prêts à donner des recettes pour « rester jeune », à vilipender ceux qui tardaient à entrer dans les maisons de Vieux, à servir leur propagande sans s’imaginer qu’un jour leur place serait revendiquée par des plus jeunes qu’eux … il était grand temps de réagir.

Les deux complices, entrant dans la Résistance décidèrent de rallier discrètement le plus possible de pensionnaires à leur cause. Au bout de quelques jours, ou plutôt quelques nuits, la petite armée de rebelles ne comptait pas moins d’une vingtaine de personnes, et les toilettes absorbaient maintenant les pilules de ces réfractaires. Restait à imaginer des actions qui permettrait de reprendre du pouvoir sur leurs vies.

 

Forts de leur nombre grandissant, ils squattèrent la salle à manger hors des heures de repas, prétendant avoir trop bien mangé pour en bouger. Quelques-uns commencèrent à apporter des jeux, des livres, des revues et la salle à manger devint insidieusement une salle de vie. Les regards se firent plus clairs même masqués sous des paupières tombantes. Les « soignants » ne s’en aperçurent que trop tard et ne purent réagir assez vite. Il faut dire que ces gens commençaient aussi à y trouver leur compte. Moins de travail avec ces vieux qui se lavaient et mangeaient tout seuls. S’installa alors une sorte de statut quo : vous ne créez pas de problème et on vous laisse la salle à manger.

Tous les Vieux n’étaient cependant pas d’accord avec cette nouvelle façon de vivre dans leur maison. En particulier, le vieux Maurice. Celui-ci avait apporté en douce de chez lui son vieux tromblon datant de la guerre avec le royaume des Pins. Tous ses proches avaient disparu et cette nouvelle joie de vivre l’indisposait plus que de le dire. Il n’aspirait qu’à une fin de vie dans les vapeurs des cachets et lorsque Nicolette et son compère pénétrèrent une nuit dans a chambre, ils se trouvèrent face à la gueule du fusil d’un autre temps. Nicolette eut juste le temps de plonger sous le lit sans prendre garde à ses rhumatismes, ce qu’elle paya fort cher pendant la semaine suivante. Quant à son compère, retrouvant des réflexes oubliés, il parvint à détourner le terrible engin dont le coup partit se perdre dans la nuit au travers de la fenêtre, heureusement ouverte par ces temps cléments.

Le boucan produit par le fusil réveilla toutes les pensionnaires, sauf peut-être quelques-unes qui avec l’âge, avaient perdu une bonne partie de leur audition. Tout ce petit monde se précipita dans la chambre et Nicolette eut juste le temps de cacher la blouse empruntée ainsi que la charlotte sous ses propres vêtements. Le vieux Maurice se débattait en criant qu’il avait eu peur d’une agression et qu’il ne faisait que se défendre. Il prononça quelques excuses envers les personnes présentes et celles-ci eurent le bon goût de les accepter. Quand même honteux à l’idée qu’il aurait pu gravement blesser Nicolette et son complice, il devint l’un de leur plus fervent supporter et retrouva ainsi goût à la vie.

Les soignants étaient de plus en plus charmés par les histoires racontées par les pensionnaires, par leurs esprits maintenant réveillés qui leur permettaient des occupations jusque-là prohibées. Les mamies tricotaient à nouveau ou bien elles fabriquaient de ravissants carnets décorés qui vendus à l’extérieur rapportaient quelques sous. Cela améliorait l’ordinaire de tous. Les papys n’avaient jamais vraiment eu l‘habitude de s’occuper mais certains se rappelaient maintenant des gestes simples de bricolage, ce qui permettait de faire quelques économies. Les médicaments n’étaient plus réservés qu’au traitement de la douleur et des maladies.

 

Mais Nicolette et son compère de la première heure ne voulaient pas s’en tenir là. Leur objectif était de changer la maison de Vieux pour changer la société, ou bien était-ce l’inverse ! Il leur fallait trouver le moyen d’alerter les générations futures de vieux, qu’ils ne se laissent pas enfermer dans ces mouroirs. Une des soignantes eût une idée de génie : il fallait passer par les « Résocios[1] ». Les pensionnaires découvrirent ainsi les joies de la communication virtuelle et purent alerter les Djeuns de la vie qui les attendaient après …

Une réelle prise de conscience secoua alors le royaume des Peupliers. Le roi, jeune homme qui avait reçu la couronne à la mort prématurée de son père, se rendit à la maison des Vieux pour se rendre compte de lui-même. Comprenant enfin les conditions de vie, ou plutôt de mort lente, de ses propres sujets, il tint à orner la poitrine menue de Nicolette de l’Ordre Royal du Coquelicot, plus haute décoration civile du royaume. Une nouvelle vie commença pour tout le royaume où chacun pût enfin trouver une vraie place selon sa propre volonté.

 

Anne-Marie, 22 janvier 2017

Suite à l’atelier d’écriture des Rencontres du CRAP de 2016, je me suis prise au jeu d’écrire un conte à partir d’un titre de faits divers, sans aucun rapport avec l’article en question d’ailleurs … Pour ceux qui seraient intéressés, voici le lien : http://www.nordeclair.fr/6127/article/2016-10-27/roubaix-il-menace-un-autre-resident-de-la-maison-de-retraite-avec-un-fusil

 

[1] Emprunt à Philippe qui se reconnaitra peut-être un jour … bises.

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La jeune-fille, le train et le lampadaire

Il était une fois dans le pays des Chênes, une jeune-fille. Laura était son nom. Elle avait enfin trouvé du travail dans la grande ville après deux ans de vaines recherches. Car au pays des chênes, il est souvent très difficile pour les jeunes de trouver un emploi à la sortie de leurs études. Laura, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, avait vu sa vie prendre du sens lorsqu’un patron avait accepté de la prendre comme assistante comptable dans sa société.

Depuis lors, elle se levait tous les jours de la semaine vers 6h30, se préparait et attrapait un bus qui l’emmenait à la gare. En une trentaine de minutes, le train la déposait dans la Grande Ville où il lui restait trois stations de métro pour arriver à son bureau. Ce bureau signifiait beaucoup pour Laura. Un bureau juste à elle, qu’elle s’appropriait en apportant de petites décorations personnelles. Et puis, il y avait les autres occupants de la pièce, ses collègues. Après les deux années difficiles de recherche d’emploi, c’était pour elle un émerveillement de pouvoir retrouver chaque jour ce cadre rassurant, les petites discussions de retour de weekend, les grandes envolées de retour de vacances, les services que l’on se rend et qui facilitent un peu la vie et surtout la confiance qu’on commençait à lui renvoyer, les tâches plus intéressantes. Une fois la journée de travail finie, elle reprenait le trajet en sens inverse. Son moment préféré de la journée.

Elle observait discrètement ses voisins de compartiment, pas dans le métro où elle se retrouvait trop serrée, mais une fois assise dans le train. Une demi-heure pour laisser son esprit vagabonder à partir d’un visage, d’un vêtement, d’une attitude, de mots saisis d’une conversation. Elle s’amusait aussi à faire le compte des maisons en pierre meulière, caractéristiques de la banlieue de la Grande Ville, qui tendaient à disparaitre au profit d’immeubles. Tout l’intéressait et était prétexte à une flânerie somnolente mais tellement plaisante.

Et puis, les jours commencèrent à diminuer. Le premier signe fut donné par un rayon de soleil plus bas qui arriva directement dans ses yeux, alors qu’elle était à sa place habituelle dans le train, désagréable ! Elle comprit alors pourquoi les premiers arrivés avaient choisi les sièges contraires au sens de la marche. Ce qu’elle fit aussi dès le jour suivant. Petit à petit, elle distingua de moins en moins les alentours jusqu’à ce qu’il fasse nuit noire pendant toute la durée du trajet. Elle commença alors à emporter un livre pour passer le temps.

Arriva qu’en fin de journée, un beau jour, ou plutôt une nuit, en levant le nez de son livre elle aperçut deux yeux blancs qui la fixaient. Deux yeux blancs étirés, haut dans le ciel noir, semblant à deux yeux d’un masque de géant ; surprise, elle observa ces yeux. Oui, il pouvait s’agir d’un géant invisible, ne laissant apparaitre que ses yeux qui la regardaient avec bienveillance et semblaient lui envoyer un message rassurant : « Je veille sur toi. » Jetant un coup d’œil alentours, elle nota que personne ne semblait surpris par les yeux du géant … le train redémarra et d’autres yeux blancs de géants succédèrent aux premiers, et elle comprit que ce n’étaient que des lampadaires du quai. Soulagée par cette explication rationnelle mais en même temps vaguement déçue, elle se replongea dans son bouquin, prenant garde à ne pas rater sa station. Les jours passèrent ainsi et toutes les fins de journée, elle attendait le passage dans cette gare pour envoyer un sourire discret à son lampadaire aux yeux de géant.

Il se trouva qu’un samedi soir, à la suite d’une soirée un peu prolongée, elle dût prendre le train de 23 h pour rentrer chez elle. Pas très rassurée, elle chercha un wagon occupé par des familles, par des femmes, où une jeune-fille seule n’est pas un phare attirant tous les regards masculins. Tranquillisée, elle s’assit dans un wagon près d’une mère et son petit garçon. D’autres femmes, en groupes, s’étaient installées un peu plus loin. Elle prenait bien garde à ne pas croiser de regards se concentrant sur sa lecture.

La mère et son petit garçon descendirent assez rapidement. Toute à son livre, elle ne s’aperçut qu’elle se retrouvait seule présence féminine du wagon qu’en levant la tête pour regarder l’avancée des gares. Elle ne vit pas deux garçons se lever derrière elle mais les entendit. Leurs voix avinées ne présageaient rien de bon. Les autres hommes du wagon avaient les yeux fermés ou regardaient ailleurs pendant qu’elle se faisait chahuter. Ils commençaient à toucher ses cheveux, elle ne les voyait pas. La peur la gagnait, paralysant ses membres. Ramenant ses cheveux vers le devant, elle leur demanda de la laisser tranquille, ce qui les fit s’esclaffer, toujours plus grivois dans leurs propos. Par chance, le train entrait alors en gare, celle de son lampadaire aux yeux de géant. S’élançant de sa place, elle réussit à esquiver les mains qui voulaient la retenir et put sortir du wagon. Les deux garçons lui avaient cependant emboité le pas.

Le quai est désert, la gare aussi. Tout est endormi à cette heure dans cette ville de banlieue. Vite, l’escalator pour monter et puis celui qui permet de descendre sur l’autre quai, celui de son lampadaire ; elle court, les deux adolescents à ses trousses. Elle se jette sur le poteau de son lampadaire l’agrippant à deux bras, se serrant fort contre lui en s’attendant à ce que ses poursuivants l’attrapent.

Interloquée, elle les voit passer à côté d’elle en courant, continuer un petit moment, se retourner, la chercher. Ils ne la voient pas ! elle comprend qu’ils ne la voient pas. Elle entend l’un d’eux dire à son copain qu’elle a dû traverser les voies. Ils reprennent l’escalator pour poursuivre leur quête. Ouf ! sauvée !

Laura desserre lentement son étreinte, se remettant difficilement de son immense frayeur. Elle regarde vers le haut et ne voit que deux lampes qui éclairent le quai. Elle ne saisit pas comment elle a pu disparaitre ainsi. Elle lève les yeux à nouveau et c’est à ce moment précis que l’une des deux lampes s’éteint un instant, clin d’œil du géant invisible.

Si vous voulez voir le lampadaire aux yeux de géant de Laura, trouvez-vous un soir, à la nuit tombée, dans le train qui s’arrête à la gare de Viflauray-Rive-Gauche, au royaume des Chênes, peut-être qu’il vous fera un clin d’œil …

 

Anne-Marie, avril 2017

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Ils auraient vendu 48 000 € de mauvais vin à une personne âgée

Il était une fois une très vieille dame, vraiment très vieille, qui vivait aux abords d’un village reculé du royaume des Sapins. Ce royaume n’avait pas d’autres arbres que des sapins comme son nom l’indique. Rien ne poussait dans ce royaume que des sapins. Et quand on aime bien boire un petit coup, comme cette très vieille dame, on est obligé d’acheter le vin à des marchands ambulants venant du royaume des Vignes. C’était toujours le même qui ravitaillait la très vieille dame. Il lui vendait du vin blanc issu de cépage Chardonnay, reconnaissable à son petit goût de noisette, très fin, qui se laissait bien boire …

Cette année-là, le marchand habituel tardait à passer et la très vieille dame voyait le nombre de flacons qui lui restait diminuer à vue d’œil. Tous les jours, malgré des jambes qui avaient du mal à la porter, elle se rendait en haut de la colline. De là où des sapins avaient été déplantés, elle tentait d’apercevoir un nuage de poussière sur la route qui aurait indiqué qu’un chariot n’allait pas tarder. Mais rien, pas un seul nuage de poussière, même pas un tout petit ! alors, elle repartait chez elle, dans sa petite bicoque de bois de sapin. Elle ouvrait un de ses derniers flacons et essayait de se consoler dans les vapeurs d’alcool. Sauf qu’elle avait le vin triste et elle se lamentait : « Mais comment vais-je faire ? il ne m’en reste plus que dix ! » puis que neuf, huit, sept, …

Arriva le jour funeste où elle s’aperçut qu’il n’en restait plus qu’un. Elle le but en pleurnichant dans son gobelet. Elle n’avait jamais connu de jour plus triste et angoissant depuis le jour de la mort de son mari. Elle se posait alors la même question de son devenir. Mais celle-ci avait été réglée facilement après la découverte d’un joli pactole que le défunt avait placé chez son notaire. Il s’élevait à plus de 50 000 euros. (Oui, c’était déjà le nom de la monnaie de base du royaume des Sapins ; l’euro étant le nom que dans ce royaume, on donne depuis toujours à la pomme de pin, je suis sûre de vous apprendre quelque chose !) Revenons aux aventures de la très vieille dame.

D’un pas encore plus lent que d’habitude, la voilà grimpant comme elle peut sur le sentier de la colline, tête basse, mains accrochées aux pommeaux de ses cannes en bois de sapin. Ses pauvres vieux yeux essaient de distinguer un rien de poussière sur le chemin. Le temps passe. Tout à coup, elle sursaute croyant mourir de peur : un grand gaillard vient de lui taper sur l’épaule en criant « Eh bien la mère ! qu’est-ce qu’on regarde comme ça ? » Elle ne l’a pas entendu arriver et se demande qui il peut bien être. Le gaillard lui redemande en criant ce qu’elle fait là toute seule, la nuit allant bientôt tomber. La très vielle dame, peu méfiante et soulagée de parler de son problème, lui explique qu’elle guette son marchand de vin. « Oh, la Vieille, ça tombe bien, nous venons mes frères et moi du royaume des Vignes et nous pouvons te vendre du vin comme tu n’en as jamais bu ! Nous sommes arrivés hier soir et fatigués comme nous étions de la route, nous nous sommes endormis et nous n’avons pas encore eu le temps d’écouler notre marchandise. »

Les deux redescendent vers le village. La nuit tombe. Des habitants se hâte de rentrer chez eux, ils prennent juste le temps de dévisager l’étranger et de demander à la très vieille dame ce qu’ils font ensemble. Celle-ci ne veut pas se faire soustraire de la marchandise avant d’en avoir pris son content. Elle répond donc que c’est un camarade de son fils, venue lui apporter des nouvelles de celui-ci. Ils arrivent devant la cabane et le grand gaillard annonce qu’il part chercher ses frères et le chariot. C’est dit, c’est fait. Les voilà qui déchargent des tonnelets de vin blanc chez la très vielle dame. Celle-ci n’en croit pas sa chance et voit la pile de tonnelets atteindre quasiment le plafond de sa cave. La voilà pourvue de munitions pour l’année. Tellement satisfaite qu’elle paie sans broncher la somme exorbitante que les gredins lui extorquent : 48 000 euros !

Les gredins ne demandèrent pas leur reste et se pressèrent de regagner le royaume du Blé dont ils venaient. Quant à la très vieille dame, elle finit sa vie dans un aimable brouillard vineux sans même s’apercevoir que ce vin était une abominable piquette. Son fils, revenu à temps pour recueillir son dernier soupir, ne comprit jamais où avait disparu l’argent laissé par son père et qu’il comptait utiliser à son profit. Il eut beau détruire planches après planches la vieille cabane, il n’y trouva que quelques tonnelets vides qui sentaient fort mauvais !

 

Anne-Marie, le 24/9/16

 

Suite à l’atelier d’écriture des Rencontres du CRAP de 2016, je me suis prise au jeu d’écrire un conte à partir d’un titre de faits divers, sans aucun rapport avec l’article en question d’ailleurs.

Pour ceux qui seraient intéressés, voici le lien : http://www.ouest-france.fr/normandie/le-havre-76600/au-havre-ils-auraient-vendu-48-000-eu-de-mauvais-vin-une-retraitee-4490838

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Un grain de café dans un massif de rhododendrons.

Cinq heures du matin. Il fait encore très chaud dans la grande ville du Sud-Ouest. Le docteur se demande si les grilles du Jardin Public sont ouvertes, ça lui ferait gagner du temps pour rentrer chez lui. Ses mains tremblent encore un peu de la dernière opération qu’il a dû réaliser. Ce gosse est passé à rien de l’amputation …

Ah, les grilles sont ouvertes. Il s’engage dans l’allée sous les marronniers centenaires. Il passe le pont de bois en sentant la sueur lui couler lentement dans le dos. Il s’efforce de ne penser à rien, rien qu’à marcher pour rentrer chez lui. Tout à coup, un bruit criard le fait sursauter : deux corneilles se chamaillent un peu plus loin. Il s’apprête à passer son chemin lorsqu’il se dit que vraiment, ces oiseaux font un drôle de boucan. Curieux malgré sa fatigue, il s’approche du massif de rhododendrons en fleurs. Dans les lueurs de l’aube, il ne voit pas grand-chose.

Prêt à reprendre son chemin, il se dit qu’elles doivent se battre pour un morceau de pain oublié par un gamin, au pire, le cadavre d’un hérisson. Il contourne le massif de fleurs rouges quand il se raidit soudain : une chaussure marron sous les basses branches. Et dans le prolongement de cette chaussure, il voit maintenant nettement une jambe. Pliée au genou, elle fait un drôle d’angle, pas ce qu’un docteur considère comme normal. Ni personne d’ailleurs. Soulevant le feuillage, il n’en croit pas ses yeux. Ce n’est pas un hérisson qui git là mais un homme, mort s’il en croit les yeux grands ouverts sur les fleurs rouges qui l’entourent. Les corneilles n’ont pas encore fait de ravages.

Reculant prestement, le docteur saisit son téléphone portable. Le 15 ? le 17 ? Le docteur inspire un grand coup pour retrouver son calme. Il doit donner correctement les indications à la police.

Ce n’est pas maintenant qu’il pourra rentrer dormir. Il s’assoit sur un banc, la tête dans les mains. Cette dernière journée a ressemblé à l’enfer. Dès ce matin, la voiture qui a refusé de démarrer. Le monde dans le tram, les odeurs de transpiration mêlées aux parfums bon marché des midinettes. La meilleure infirmière s’est cassé la jambe et ne l’a pas assisté sur les différentes opérations de la journée. Il a dû supporter cette idiote qui ne comprend rien et qui l’a déconcentré quand il s’occupait du gamin. Elle a failli lui faire perdre son sang-froid juste au moment où le bistouri s’approchait de l’artère fémorale. Le tremblement le reprend, comme à la sortie du bloc.

C’est déjà le lendemain et l’enfer continue. Des policiers arrivent. Ils lui posent les questions d’usage, enfin, celles que les policiers posent dans les films. Pendant ce temps, d’autres agents prennent des mesures et des photos. Sur la promesse de passer au commissariat, il se lève pesamment du banc et titubant de fatigue, se dirige enfin vers son appartement et son lit.

Il remonte le cours de Verdun et tourne vers son immeuble. Un détail le tracasse cependant. Mais il n’arrive pas à savoir quoi. Dormir ! Arrivé enfin, il fait quelques pas en semant ses fringues autour de lui et se jette sur son lit, sombrant dans un sommeil profond. Un sentiment d’aveuglement le réveille. Le store n’est pas baissé et un rayon de soleil le fusille inexorablement. En grognant, il se lève difficilement et se fait un café serré sur sa nouvelle machine expresso. Un cadeau qu’il s’est offert pour fêter sa nouvelle vie. Vite, s’éclaircir les idées. Le bruit du tram, au loin, lui rappelle qu’il doit s’occuper de sa voiture. Pas question de refaire le trajet d’hier. La première tasse lui fait du bien, il s’en refait une autre. Et il doit aller voir les flics. Mais pourquoi s’est-il arrêté voir ce que faisaient ces fichues corneilles ?

De fil en aiguille, il remonte jusqu’à la découverte du corps sans vie. Quelque chose ne va pas, mais quoi ? Il revoit le massif de rhododendrons, les magnifiques fleurs rouges, la chaussure marron qui attire l’œil … là, c’est là que se situe le problème : sous la chaussure, un grain de café, pris dans les rainures de la semelle épaisse. C’est quand même étrange ce grain de café, là sous la chaussure.

La douche fraiche finit de lui éclaircir les idées. Il enfile des vêtements propres et sort affronter la chaleur de midi. Sa voiture ne démarre toujours pas. Un coup de fil au garagiste le rassure, ils vont s’en occuper dans la journée. Le bureau de police, rue Ducau, n’est pas si loin qu’il doive s’y rendre en tram. Les fenêtres à barreaux du rez-de-chaussée lui indiquent qu’il est au bon endroit. Un officier de police judiciaire le reçoit et prend sa déposition.

Il redit les corneilles, la chaussure, le corps. Le policier tape consciencieusement sur son ordi, imprime et le fait signer. Au moment où ils se lèvent, le policier lance : « Au fait, vous connaissez peut-être la victime, c’est un de vos collègues à l’hôpital Pellegrin. Laurent Beauvoisin, vous le connaissiez ? ». Le docteur, ébahi, ouvre grand les yeux et répond : « Non, c’est pas possible, pas Laurent ! ». Il se rassoit. « Que s’est-il passé ? » reprend-il. Le policier lui répond que l’enquête le déterminera. « D’ailleurs, quand avez-vous vu la victime la dernière fois ? » Le docteur cherche dans sa mémoire, il l’a vu hier midi, oui, c’est cela, hier midi à la cafétéria de l’hôpital. Ils se sont salués de loin. Secouant la tête, il répète : « Pas Laurent, non, pas Laurent. »

« Pour ne pas vous faire revenir, pouvez-vous me donner votre emploi du temps d’hier, s’il vous plait Docteur. » lui demande l’OPJ. La journée de l’enfer défile dans la tête du médecin et il revit ses déboires en les racontant. Enfin, il sort du bâtiment et retrouve la touffeur de la rue. Marchant à l’ombre autant que possible, il retourne chez lui.

L’hôpital ne l’attend qu’en fin de journée, il a le temps de faire un peu de ménage. Il commence par brancher le ventilateur. Il passe l’aspirateur, nettoie tous les meubles avec une lingette désinfectante. Malgré l’air plus frais brassé par les pâles qui tournent, il a trop chaud. Après une deuxième douche, il se vautre sur son canapé face au ventilateur.

Le carillon de sa porte d’entrée le sort de son demi-sommeil. Il va ouvrir et se trouve devant la carte professionnelle d’un policier. Le capitaine, après s’être assuré de son identité, lui demande de le suivre au commissariat. Sans protestation, le docteur demande juste le temps de se rendre présentable.

Embarqué dans la voiture tricolore, il réfléchit à ce qui lui vaut d’être convoquer ainsi. Ne pas en dire trop ! Ne pas paraitre coupable, ni trop détendu ! Les journaux sont remplis d’erreurs judiciaires, le pseudo-coupable ayant craqué en interrogatoire. D’ailleurs, coupable de quoi ? Il s’efforce de respirer calmement en se disant que sa transpiration est naturelle vu la chaleur.

Celle-ci est encore pire dans le bureau où on l’emmène. Il prend place là où on lui dit et le capitaine, affable, lui demande de raconter à nouveau sa journée de la veille. Ce qu’il fait sans problème. Il commence à se sentir mieux quand le policier attaque : « Alors comment expliquez-vous que l’on vous a vu partir avec lui vers 17 heures ? »

–          Mais qui vous a dit ça ?

–          Peu importe, répondez !

–          Non, je veux savoir qui raconte n’importe quoi sur moi ! Je vous ai déjà dit ce que j’ai fait hier toute la journée ; à 17 heures,  j’étais en pause et je me concentrais avant une intervention qui promettait de durer une partie de la nuit. On nous avait annoncé l’arrivée de polytraumatisés d’un accident de voiture sur l’A660 vers Arcachon.

Le docteur sent qu’il donne trop de détails qu’en face on ne lui demande d’ailleurs pas. Signe de nervosité qui pourrait laisser penser qu’il ne se maitrise pas bien. Il cesse de parler et attend. Le capitaine sourit légèrement et attend également. Le docteur commence à regarder ostensiblement dans la pièce. Son regard erre lentement. Il s’arrête un instant sur un gobelet de café. Il se rappelle maintenant le grain de café dans la chaussure de ce pauvre Laurent. Maintenant franchement mal à l’aise, il se tortille sur la chaise inconfortable. Contrairement à ce qu’il avait décidé, il reprend la parole : « Alors, je peux partir ? Mon service recommence dans une heure. »

–          Pas tout de suite, Docteur, nous avons encore besoin de quelques précisions. Vous nous avez dit que la victime était juste un collègue de travail pour vous. N’avez-vous pas omis quelque chose au sujet de votre compagne ?

–          Ex-compagne !

–          Oui, votre ex-compagne n’était-elle pas devenue l’amante de la victime ?

–          Elle fait ce qu’elle veut, couche avec qui elle veut depuis que je l’ai virée de chez moi !

–          Virée de chez vous, … c’est élégant !

L’agaçant petit sourire revient sur les lèvres du capitaine qui se tait à nouveau. Le docteur sent une sorte de rage s’emparer de lui, mêlée à la touffeur de la pièce. Il repense à cette fille, une sale garce qui profitait de ses horaires à rallonge pour se taper tout ce qui bougeait.

La sueur coule maintenant sur son dos mais aussi sur son visage. Il s’essuie du revers de sa manche. Le capitaine fait comme s’il ne voyait rien et lui dit :

–          Alors, vous partez avec le docteur Bonvoisin vers 17 heures et vous allez où ?

–          Je veux voir mon avocat. Vous m’accusez ! Je veux voir mon avocat, je ne dirais vous plus rien.

–          Je vois que Monsieur regarde les séries américaines. Ça ne se passe pas comme ça ici. Nous ne vous accusons de rien, je vous demande juste ce que vous avez fait avec le docteur Bonvoisin une fois sortis de l’hôpital. Nous avons d’autres témoins qui vous ont vu avec lui vers chez vous vers 17 heures trente puis il est ressorti seul un quart d’heure plus tard. La caméra du cours de Verdun le montre entrant dans le Jardin Public.

–          Alors, vous voyez bien que je n’y suis pour rien ! Quand il est parti de chez moi, je me suis dépêché d’attraper un tram pour retourner à Pellegrin.

–          Effectivement, vous n’étiez plus avec lui au moment de sa mort.

–          Ah ! Vous voyez bien. Je m’en vais maintenant !

–          Asseyez-vous ! Vous venez de reconnaitre que la victime était chez vous, avec vous juste avant sa mort, n’est-ce pas docteur ?

–          Certes, mais cela ne vous permet pas de m’accuser de l’avoir tué.

–          Vous allez signer votre témoignage. Vous n’êtes accusé de rien mais nous aurons peut-être besoin de vous recontacter. Ne sortez pas des limites de la ville.

Le docteur, soulagé, repart du commissariat. Il n’a pas le temps de retourner chez lui, il se douchera à l’hôpital. L’infirmière idiote l’accueille, l’air apeuré, en lui tendant les fiches des urgences. Agacé, il la rembarre : « Vous voyez bien que je dégouline de partout ! »

Après sa douche, il se sent mieux. La même infirmière lui indique les opérations qui pourront se succéder dans la nuit. Il se dit qu’il faudrait mieux qu’il se calme vis-à-vis de l’idiote. Ce n’est pas le moment de faire une boulette en salle d’opération. Il va prendre  sur lui. La nuit est moins bousculée et il se retrouve chez lui à une heure correcte grâce au taxi qu’il s’est offert.

Quelques jours passent. Pas de nouvelles du commissariat. Ils ont enfin reconnu son innocence. Il fait moins chaud et la vie reprend tranquillement. Il a récupéré sa voiture et se dit qu’il est sans doute sorti de ces journées d’enfer. Il sirote son café en écoutant son morceau préféré de Wagner quand la sonnette de l’entrée se fait entendre. Grognant contre ce dérangeant intrus, il ouvre, prêt à rembarrer l’importun. Il ne voit que la carte de police du capitaine qui l’a déjà interrogé.

Cette fois-ci, ils sont plusieurs avec une commission rogatoire pour fouiller son appartement. Ils prélèvent différents objets dont son ordinateur et son téléphone portable. Ils tournent autour de sa machine à expresso et ramassent un paquet de café en grains entamé. « Veuillez nous suivre au commissariat, Docteur. » lui dit le capitaine. L’enfer recommence ! Arrivés dans la salle d’interrogatoire, ils lui demandent de répéter encore une fois sa version. Ce qu’il fait sans variante. Ils ressortent, le laissant seul. Le temps passe et il se demande ce qui se passe.

La porte s’ouvre enfin. « Vous êtes en état d’arrestation pour le meurtre de Monsieur Bonvoisin » lui annonce le capitaine. Ses dénégations ne changent rien, ils le laissent s’enferrer dans ses explications oiseuses. Que s’était-il passé ? Le policier raconte à son commissaire que les deux médecins s’étaient retrouvés chez le docteur et avaient bu un café, fraichement moulu. Seulement, dans la tasse du docteur Bonvoisin, il y avait de la digitaline, ce qui avait causé son décès dans le Jardin Public. Se sentant mal, il s’était assis sur un banc et s’était endormi doucement pour ne plus se réveiller. Personne n’avait dérangé de dormeur qui avait fini par glisser à bas du banc pendant la nuit. Quelque animal rodeur l’avait tiré sous le massif de rhododendrons, lui tordant la jambe. Il avait dû être dérangé par les cris perçants des corneilles et par l’arrivée du docteur qui ne s’attendait sûrement pas à retrouver ici sa victime.

Le contenu de l’estomac montrait l’empoisonnement à la digitaline en présence de café. Or le docteur avait facilement accès à la pharmacie de l’hôpital. De plus, une charmante infirmière, qui avait l’air d’avoir peur de ce médecin, leur avait confirmé qu’il était sorti de la pharmacie avec un paquet qu’il avait l’air de cacher sous sa blouse. C’était elle aussi qui avait vu les deux médecins partir ensemble à 17 heures le jour de la mort de Bonvoisin.

L’accusé entend ce récit et se maudit d’avoir sous-estimé cette pauvre fille ! Le capitaine poursuit ainsi son rapport. « Ce qui les avait mis sur la voie ? Le grain de café retrouvé sous une chaussure du mort. En allant chercher le docteur la première fois, il avait remarqué la magnifique machine à café neuve, un percolateur dans lequel le connaisseur ne met que du café fraichement moulu. Il en aurait bien pris une tasse ! C’est à cause du café qu’il a fait le lien. D’ailleurs, ce grain de café provient bien du paquet entamé prélevé chez le docteur. L’accusé n’a jamais pardonné à son confrère de lui avoir piqué sa compagne. Il s’agit bien d’un meurtre avec préméditation ! »

De l’autre côté de la cloison, l’accusé, atterré, se lamente : « Un grain de café ! Mais comment n’ai-je pas pensé à l’enlever de la chaussure, sous le massif de rhododendrons, dans le Jardin Public de Bordeaux, ce matin-là ? »

 

Anne-Marie, 11 juin 2017

Bordeaux

(A partir de 4 mots donnés par Juliane et Xavier : lesquels ?)

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Le cordonnier philosophe

Il était une fois au pays des Châtaigniers, un cordonnier. Pas n’importe quel cordonnier, un cordonnier philosophe. Sa petite boutique de cordonnier se trouvait à une extrémité de la grande gare de la capitale du pays des Châtaigniers, à la sortie d’un couloir du métro, au débouché d’un escalator descendant des quais de la gare.

On peut dire qu’il en voyait passer du monde. Des tas de gens pressés, avec des valises à roulettes ou des sacs à dos, des serviettes à documents ou des cartables à ordinateurs portables, des gibecières en bandoulière ou des musettes à repas, certains les mains dans les poches … des gens un peu perdus aussi, dans un sens ou dans l’autre, cherchant leur chemin sur les panneaux, s’arrêtant net ou rebroussant chemin au risque de se faire bousculer.

Et puis, de temps en temps, une de ces personnes s’arrêtait dans son échoppe. Qui pour refaire une clé, un talon, une couture sur une chaussure … Le temps d’effectuer ces menues réparations, il en profitait pour s’entretenir avec ses clients d’un jour. Certains, à sa place, auraient discuté de la pluie et du beau temps, mais pas lui ; il faut dire qu’il ne voyait pas grand-chose du temps qu’il faisait dehors. Lui, il aimait discuter de littérature et de philosophie. Il faisait collection de ces rencontres improbables en décrivant ses auteurs favoris, lançant ainsi une discussion : Marguerite Yourcenar et Cabu mais pas Sartre, Maupassant, ses livres et ses contes, et tant d’autres. Aux connaisseurs, il avouait son admiration inconditionnelle, sa passion, pour Pic de la Mirandole qui parlait tant de langues, connaissait tout sur tout et abordait chaque sujet avec différents points de vue. Une discussion sur les mérites des uns et des autres s’engageait alors. Il finissait par demander humblement quel était le métier de ces gens si intéressants qui avaient partagé avec lui ces quelques instants volés au temps qui passe. Cela était si précieux à ses yeux qu’il ne manquait pas de remercier chaleureusement ses clients. Il ajoutait immédiatement cette belle rencontre à sa collection.

Et puis un jour, ou peut-être une nuit, un client arrêté par le besoin de porte-clés de différentes couleurs, se mit à lui raconter ses voyages, quarante-cinq pays visités, poussé par les obligations de son travail. Quarante-cinq pays ! Le cordonnier se rendit compte qu’il n’avait jamais voyagé que dans ses livres. Ce qui ne lui avait jamais posé de problème auparavant devint à ce jour une sorte d’idée fixe et une intense matière à regrets. Le nez dans ses livres, n’était-il pas passé à côté de la vraie vie ? C’était un sujet pour un philosophe mais cela le touchait trop pour qu’il en fit un thème de réflexion et d’échanges. Il en perdit peu à peu l’appétit. La seule vue d’un livre le dégoutait. Il ne discutait plus avec ses clients, faisant machinalement les gestes de son métier, saluant au minimum, sans sourire. D’un œil sombre, il regardait ces gens avec leurs valises, remarquant maintenant les étiquettes prouvant leur passage dans des contrées variées. Il s’étiolait au fin-fond de la grande gare de la capitale, lui si joyeux et si avenant auparavant.

Cet état dura quelques semaines jusqu’à l’apparition au comptoir de sa petite boutique d’un jeune homme d’une trentaine d’années. De longs cheveux, un visage en longueur surmonté d’un petit chapeau rouge vif. « Buongiorno, je m’appelle Giovanni ». Sans hâte, le cordonnier leva les yeux et lui demanda ce qu’il voulait d’un ton apathique. Giovanni le contempla un long moment avant de répondre « Toi qui m’as étudié, ne penses-tu pas que la vie mérite quelques efforts ? Tu sais à quel point il est important pour moi de regarder chaque chose de différents points de vue. »

Le cordonnier ébahi fixait le jeune homme. Un éclat commençait à renaitre dans son regard. L’autre continua : « Tu le sais, j’ai moi-même beaucoup voyagé en mon temps mais je me suis aussi beaucoup instruit dans les livres. Je t’invite à faire un pas de côté et à regarder cette affaire de voyage d’un autre œil. Demande-toi ce que cet homme, que tu considères si chanceux, a pu voir de la richesse de ces quarante-cinq pays. Que connait-il de la vie et des pensées des hommes qui y demeurent ?  A-t-il pu découvrir les merveilles naturelles et architecturales de ces contrées ? Doit-il être forcément plus heureux que toi, lui qui passe sa vie entre deux avions ? » Il reprit : « Voltaire, qui pourtant ne m’aimait pas, apporte une réponse dans son Candide, l’as-tu lu ? » sur ces mots, il tourna les talons et disparut dans la densité de la foule, ne laissant à voir que le sommet de son chapeau rouge.

Pic de la Mirandole ! En personne, il était venu redonner le courage d’affronter la vie au cordonnier philosophe. Celui-ci n’en revenait toujours pas. Il ferma sa petite échoppe et se rendit dans une des multiples librairies de la grande gare pour y trouver le livre conseillé. Son esprit, réveillé par les propos de celui qu’il admirait tant, fonctionnait à nouveau. Et si le grand voyageur n’était en fait qu’une sorte de collectionneur de pays ? De cette sorte de collectionneur qui thésaurise, amoncèle, accumule et contemple son trésor en se félicitant de son ampleur. Et si ? et si ?

Il rentra chez lui, fort de ses nouvelles pensées. Il s’installa confortablement. Il commença par écouter un peu de cette musique lyrique qui lui mettait des larmes de bonheur aux yeux avant de se plonger dans la lecture. Le lendemain matin, il ouvrit sa boutique le sourire aux lèvres, encore immergé dans les aventures et la conclusion du héros voltairien, de Pangloss et de Cunégonde. « Il faut cultiver notre jardin. » ; oui, tout homme est capable d’améliorer sa condition et courir le monde n’est pas une solution convenant à tous. Les doutes qu’il avait rencontrés s’évaporaient maintenant. Il retrouva sa joie de vivre et de philosopher. Il la partagea de nouveau avec ses clients. Il les fit profiter de sa nouvelle sagesse tout en les écoutant, faisant son miel de ces rencontres éphémères.

Voilà pourquoi, dans le fin-fond de cette grande gare de la capitale du pays des Châtaigniers, parmi tous ces gens pressés, il en est qui le salue et lui sourit, donnant un peu d’humanité à cette fourmilière géante.

Anne-Marie, le 24 mai 2017

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Un joueur de cornemuse tué par son instrument

Il était une fois, dans le royaume des elfes, un joueur de cornemuse. C’était le meilleur joueur de cornemuse du royaume et le roi des elfes l’avait appelé à sa cour pour qu’il distrait la reine son épouse. Habituellement, le joueur de cornemuse accompagnait l’armée du roi des elfes au combat, sans doute pour qu’on n’entende pas les cris des mourants et les supplications des blessés. Mais pour l’instant, ce joueur de cornemuse avait donc été appelé au palais royal. Dès qu’il aperçut la reine, il n’eut de cesse de composer des airs pour encenser sa beauté. Il les jouait le matin pendant qu’elle se préparait. Il les jouait le midi pendant le repas. Et encore l’après-midi pendant qu’elle brodait et pendant le souper et pour accompagner jongleurs et acrobates.

Je ne sais si vous pouvez imaginer les tortures auditives que ces plaintes déchirantes provoquaient chez les membres de la famille royale et leurs serviteurs, même les plus âgés déjà un peu sourds. Toujours est-il que le château royal se désertifiait du lever au coucher. Les repas donnaient lieu à des quiproquos sans noms, tant le peu de personnes qui n’avaient pas pu se défiler, n’arrivaient pas à se comprendre dans ce vacarme. En rentrant de la chasse, le roi se demandait ce qu’il se passait, personne ne venait plus l’accueillir et aucun n’osait lui donner la véritable raison. Mais personne ne comprenait non plus pourquoi il laissait le joueur de cornemuse importuner les habitants du château de la sorte.

Ce fut le petit mitron qui découvrit le pot aux roses : il arriva qu’un jour, les serviteurs se firent tous porter pâle pour ne pas avoir à supporter le vacarme produit par l’instrument qu’ils haïssaient maintenant. Ce fut le petit mitron qui fut unanimement désigné pour aller porter le pain à la table royale. Le roi, remarquant ce nouveau serviteur, lui demanda son nom. Très intimidé, le petit n’osa relever la tête pour répondre et marmonna dans ce qui serait plus tard sa barbe : « Je suis Jehan le Petit, votre Majesté ». Le roi, n’entendant pas la réponse, lui reposa la question et le garçon répéta. Cela se produisit une fois, deux fois, et ainsi de suite. Le petit, au bord des larmes malgré le ton toujours gentil du souverain, finit par relever la tête et redire sa réponse. Cette fois-ci le roi l’entendit… l’entendit est un bien grand mot … On s’aperçut alors que le roi était sourd comme un pot et qu’il avait développé la très forte capacité de lire sur les lèvres de ses sujets.

C’est là que la reine entra dans le jeu. Celle-ci n’était pas seulement belle ; la reine des elfes était surtout une grande magicienne. Pourtant, elle ne s’était jamais aperçue du handicap de son époux, d’une part parce qu’elle ne le voyait que rarement et d’autre part parce que celui-ci ne lui demandait pas souvent son avis. Elle n’avait pas osé agir contre le joueur de cornemuse, pensant que celui-ci avait le plein accord du roi. Maintenant, elle comprenait pourquoi il était le seul à ne pas être tourmenté par le son continuel du sinistre instrument.

Elle s’arrangea avec sa fidèle suivante pour tendre un piège au joueur détesté. Par cette intermédiaire, elle le fit venir discrètement dans sa chambre. Le musicien n’en croyait pas sa chance. Elle le fit s’assoir sur le coffre au pied de son lit. Il était bien obligé de se défaire de l’instrument maudit. Il le déposa à côté de lui. L’instrument émit un souffle qui faisait penser au dernier soupir d’un être malfaisant. Pendant que la suivante lui apportait une choppe d’hydromel, la reine envoutât l’instrument honni. Sans le laisser reprendre une de ses complaintes, la reine congédia le musicien qui était déjà tout content de sa future bonne fortune … croyait-il !

A peine arrivé dans le cabanon qui lui servait de chambre, il se retrouva avec une cornemuse folle, complétement folle. Elle dansait devant lui une gigue endiablée, les tuyaux de démenaient en tous sens, elle émettait un son strident très inhabituel. Tout à coup, elle se raidit et l’anche du tuyau central fut projetée dans la gorge du pauvre musicien. Il mourut sur le coup.

La reine des elfes était descendue avec sa suivante pour voir les effets de sa magie. Quand elle vit que l’instrument avait bien obéi à ses ordres, elle fit entrer sa sujette dans la cabane pour réveiller le joueur de cornemuse.

Celui-ci ne comprit jamais ce qui lui était arrivé mais il fut pris d’un soudain dégout pour l’objet qui lui avait occasionné un tel cauchemar. Il se jura de ne plus jamais en jouer. Comme c’était un vrai bon musicien, il apprit rapidement à jouer de la vièle et put régaler la cour de ses poèmes chantés, rythmés par un son maintenant délicieux.

Depuis ce temps, le château se réveille aux cris du coq et gare à celui qui pousse son cri en dehors des heures autorisées ; sinon, c’est la marmite !

 

Anne-Marie, Le 10/9/16

Suite à l’atelier d’écriture des Rencontres du CRAP de 2016, je me suis prise au jeu d’écrire un conte à partir d’un titre de faits divers, sans aucun rapport avec l’article en question d’ailleurs … Pour ceux qui seraient intéressés, voici le lien : http://www.france24.com/fr/20160823-gb-joueur-cornemuse-tue-son-instrument

 

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