« Gauguin » de Barbara

Une chanson de Barbara (1930-1997)

Gauguin – Lettre à Jacques Brel

Il pleut sur l’île d’Hiva-Oa.
Le vent, sur les longs arbres verts
Jette des sables d’ocre mouillés.
Il pleut sur un ciel de corail
Comme une pluie venue du Nord
Qui délave les ocres rouges
Et les bleus-violets de Gauguin.
Il pleut.
Les Marquises sont devenues grises.
Le Zéphir est un vent du Nord,
Ce matin-là,
Sur l’île qui sommeille encore.

Il a dû s’étonner, Gauguin,
Quand ses femmes aux yeux de velours
Ont pleuré des larmes de pluie
Qui venaient de la mer du Nord.
Il a dû s’étonner, Gauguin,
Comme un grand danseur fatigué
Avec ton regard de l’enfance.

Bonjour monsieur Gauguin.
Faites-moi place.
Je suis un voyageur lointain.
J’arrive des brumes du Nord
Et je viens dormir au soleil.
Faites-moi place.

Tu sais,
Ce n’est pas que tu sois parti
Qui m’importe.
D’ailleurs, tu n’es jamais parti.
Ce n’est pas que tu ne chantes plus
Qui m’importe.
D’ailleurs, pour moi, tu chantes encore,
Mais penser qu’un jour,
Les vents que tu aimais
Te devenaient contraire,
Penser
Que plus jamais
Tu ne navigueras
Ni le ciel ni la mer,

Plus jamais, en avril,
Toucher le lilas blanc,
Plus jamais voir le ciel
Au-dessus du canal.
Mais qui peut dire ?
Moi qui te connais bien,
Je suis sûre qu’aujourd’hui
Tu caresses les seins
Des femmes de Gauguin
Et qu’il peint Amsterdam.
Vous regardez ensemble
Se lever le soleil
Au-dessus des lagunes
Où galopent des chevaux blancs
Et ton rire me parvient,
En cascade, en torrent
Et traverse la mer
Et le ciel et les vents
Et ta voix chante encore.
Il a dû s’étonner, Gauguin,
Quand ses femmes aux yeux de velours
Ont pleuré des larmes de pluie
Qui venaient de la mer du Nord.
Il a dû s’étonner, Gauguin.

Souvent, je pense à toi
Qui as longé les dunes
Et traversé le Nord
Pour aller dormir au soleil,
Là-bas, sous un ciel de corail.
C’était ta volonté.
Sois bien.
Dors bien.
Souvent, je pense à toi.

Je signe Léonie.
Toi, tu sauras qui je suis,
Dors bien

© Barbara (paroles et musique) – album Gauguin (1990, Philips)

 

  • Clip Gauguin (avec sous-titres en anglais) tourné à Mogador en 1990 par Bertrand Fèvre

 

  • Animation avec des tableaux de Gauguin

 

  • Entretien Barbara et Jacques Brel au sujet du film Franz – sorti en 1972, produit par les Éditions Beaux rivages, réalisé par J. Brel et co-écrit avec Paul Andréota – dans lequel ils jouent les personnages de Léonie et Léon

« Indignation » de Charles Cros

Un poème de Charles Cros (1842-1888), poète et inventeur

Indignation

J’aurais bien voulu vivre en doux ermite,
Vivre d’un radis et de l’eau qui court.
Mais l’art est si long et le temps si court !
Je rêve, poignards, poisons, dynamite.

Avoir un chalet en bois de sapin !
J’ai de beaux enfants (l’avenir), leur mère
M’aime bien, malgré cette idée amère
Que je ne sais pas gagner notre pain.

Le monde nouveau me voit à sa tête.
Si j’étais anglais, chinois, allemand,
Ou russe, oh ! alors on verrait comment
La France ferait pour moi la coquette.

J’ai tout rêvé, tout dit, dans mon pays
J’ai joué du feu, de l’air, de la lyre.
On a pu m’entendre, on a pu me lire
Et les gens s’en vont dormir, ébahis…

J’ai dix mille amis. Ils ont tous des rentes.
Combien d’ennemis ?… Je ne compte pas.
On voudrait m’avoir aux fins des repas,
Aux cigares, aux liqueurs enivrantes.

Puis je m’en irais foulant le tapis
Dans l’escalier chaud, devant l’écaillère* ;
Marchant dans la boue, ou dans la poussière,
Je retournerais à pied au logis*.

Las* d’être traité comme les Ilotes*,
Je vais m’en aller loin de vous, songeant
Que je ne peux pas, sans beaucoup d’argent,
Contre tant de culs user tant de bottes.

Charles Cros, Le Collier de griffes (publication posthume en 1908)

* vocabulaire
une écaillère : une marchande de coquillages et d’huîtres, qui les ouvrait avant de les vendre
le logis : la maison, le foyer
las / lasse (adj.) : fatigué /-ée, découragé / -ée
les Ilotes : les esclaves des Spartes ; au figuré : personne asservie

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