« Basse voltige » par Régis Présent-Griot

Il y a quelques mois, j’ai recherché pour le cours sur la chanson Ta seule destination cet article de Régis Présent-Griot, paru dans La Gazette de Berlin* en 2006. Ce texte, lu dans l’édition papier du journal, m’avait à ce point touchée que je m’en souvenais encore parfaitement, près de 10 ans plus tard.

Basse voltige

Il y a 20 ans, le 6 décembre 1986, en plein conflit opposant étudiants et gouvernement, le lycéen que j’étais apprenait consterné la mort du jeune Malik Oussekine.

Malik Oussekine avait 22 ans, il était étudiant à l’École Supérieure des Professions immobilières. Souffrant d’insuffisance rénale, il devait être dialysé trois fois par semaine.

Un jeune fonctionnaire des finances, qui rentrait chez lui ce soir-là, a décrit ainsi la scène : « Au moment de refermer la porte, après avoir composé le code, je vois le visage affolé d’un jeune homme. Je le fais passer et je veux refermer la porte. Deux policiers s’engouffrent dans le hall, ils se précipitent sur le type réfugié au fond et le frappent avec une violence incroyable. Il tombe, ils continuent à frapper à coups de matraque, de pieds dans le ventre et dans le dos. »

Les policiers concernés faisaient partie d’une brigade motorisée nommée les « voltigeurs ».

Souvenir. Respect. Dans une vie, il y a des jalons…

 

Ici. Maintenant. Je vous souhaite une bonne lecture et une bonne Saint-Nicolas.

© Régis Présent-Griot, La Gazette de Berlin, décembre 2006

Article reproduit sur ce blog avec l’aimable autorisation de Régis Présent-Griot.

* La Gazette de Berlin, « unique et francophone des Alpes à la Baltique », est un journal mensuel de Berlin dont le premier numéro date de juin 2006. Le journal en édition papier a existé jusqu’en 2009, et il a été édité et disponible en ligne jusqu’en 2017. Les archives de La Gazette de Berlin ne sont plus en ligne.

« Complainte du petit cheval blanc » Paul Fort chanté par Georges Brassens

Une ballade de Paul Fort
(1872, Reims – 1960, Montlhéry)

 

Complainte du petit cheval blanc

Le petit cheval dans le mauvais temps, qu’il avait donc du courage !
C’était un petit cheval blanc, tous derrière et lui devant.

Il n’y avait jamais de beau temps dans ce pauvre paysage.
Il n’y avait jamais de printemps, ni derrière ni devant.

Mais toujours il était content, menant les gars du village,
À travers la pluie noire des champs, tous derrière et lui devant.

Sa voiture allait poursuivant sa belle petite queue sauvage.
C’est alors qu’il était content, tous derrière et lui devant.

Mais un jour, dans le mauvais temps, un jour qu’il était si sage,
Il est mort par un éclair blanc, tous derrière et lui devant.

Il est mort sans voir le beau temps, qu’il avait donc du courage !
Il est mort sans voir le printemps, ni derrière ni devant.

© Paul Fort
Ballades du beau hasard – Lieds, complaintes, élégies, 1910

© Georges Brassens (musique, album La Mauvaise Réputation, 1952)
(1921, Sète – 1981, Saint-Gély-du-Fesc)
chante la Complainte du petit cheval blanc en duo avec Nana Mouskouri (1972)

 

« Vietnam » par Wislawa Szymborska

Un poème de Wislawa Szymborska (1967)
(1923, Bnin – 2012, Cracovie)

Wietnam

Kobierto, jak sie nazwasz? – Nie wiem.
Kiedy sie urodzilas, skad porchodzisz? – Nie wiem.
Diaczego wykopalas sobie nore w ziemi? – Nie wiem.
Odkad sie tu ukrywasz? – Nie wiem.
Czemu ugryzlas mnie w serdeczny palec? – Nie wiem.
Czy wiesz, ze nie zrobimy ci nic zlego? – Nie wiem.
Po czyjej jestes stronie? – Nie wiem.
Teraz jest wojna, musisz wybrac. – Nie wiem.
Czy twoja wies jeszcze istnieje? – Nie wiem.
Czy to sa twoje dzieci? – Tak.

Vietnam

Femme, quel est ton nom ? – Je ne sais pas.
Où es-tu née, d’où viens-tu ? – Je ne sais pas.
Pourquoi as-tu creusé un trou dans le sol ? – Je ne sais pas.
Depuis combien de temps es-tu cachée ici ? – Je ne sais pas.
Sais-tu que nous ne te ferons pas de mal ? – Je ne sais pas.
De quel côté es-tu ? – Je ne sais pas.
C’est la guerre, tu dois choisir. – Je ne sais pas.
Est-ce que ton village existe encore ? – Je ne sais pas.
Est-ce que ces enfants sont les tiens ? – Oui.

 

Wislawa Szymborska
lauréate du prix Nobel de littérature en 1996 « pour une poésie qui, avec une précision ironique, permet au contexte historique et biologique de se manifester en fragments de vérité humaine »

« Passe-moi le sel » par Annie Saumont

Un extrait de la nouvelle Passe-moi le sel d’Annie Saumont

1956

Rainier de Monaco épouse Grace Kelly. On a fêté dimanche le troisième anniversaire de Titounet. Le cousin Paul est un des quatre cent cinquante mille soldats du contingent occupés à « pacifier » l’Algérie. Lorsqu’il vient en permission N lui fait des crêpes au sucre, il les adore.
N parle de reprendre son travail aux Galeries Lafayette. En septembre, à la rentrée des classes, Titounet ira à la maternelle. La garde à domicile pose toujours des problèmes, l’école a bien des avantages, dit-elle, les enfants y apprennent la vie en société. M préfèrerait que désormais N s’en tienne au rôle de femme au foyer. Mais il admet que c’est à elle de choisir le genre d’existence qui lui convient. M ne refuse pas de donner un coup de main pour les tâches ménagères. Baisse un peu la radio, dit-il, les Duraton nous cassent la tête. Si on partait pour le week-end ? Si on achetait une Dauphine rouge ?
La voiture de Jackson Pollock s’écrase contre un arbre. Anquetil sur son vélo impeccable parcourt en une heure quarante-six kilomètres cent cinquante-neuf mètres et soixante-seize centimètres dans un style d’une pureté parfaite, battant ainsi le record de Coppi. Au mois de novembre, un jour de pluie et de vent les chars russes pénètrent en Hongrie.
Bonjour Tristesse a été traduit en dix-sept langues.
(…)

Passe-moi le sel dans Quelque chose de la vie (Seghers, 1991 © Julliard, 2000)

« Les Guichets du Louvre » par Roger Boussinot

Un extrait du livre Les Guichets du Louvre (Denoël, 1960)
par Roger Boussinot
(1921, Tunis – 2001, Bassane)

« Je pourrais raconter cette histoire de cent façons différentes, si j’avais le coeur à choisir. Mais je sens bien qu’ici je dois plaider… C’est surtout l’étrange comportement de ma mémoire qui m’interdit d’inventer une manière tout exprès pour présenter ce récit avec tout le piquant de bon aloi qui lui fait tant défaut. Pendant vingt ans presque, j’ai porté cette journée du 16 juillet dans la poche arrière de ma besace aux souvenirs, comme nous disait Gaston Bachelard. Elle fut pour moi une sorte de miroir qui se brisa le soir même entre mes doigts, après que j’eus franchi de nouveau les guichets du Louvre et que j’eus regagné la rive gauche. Un à un, avec obstination, j’en avais jeté les débris par-dessus mon épaule, espérant les perdre à jamais. Ce n’est point tant qu’ils se laissaient oublier, que ma volonté de les oublier. Et voilà qu’un jour je me suis légèrement blessé à l’un de ces débris coupants. Une goutte de sang a perlé dans mes doigts. Ce fut au moment où je venais de surprendre dans un couloir du métro Saint-Lazare un gosse de dix-sept à dix-huit ans, pas davantage, qui traçait au crayon gras « Morts aux Juifs ! » sur la partie blanche d’une affiche. Lui qui était encore dans le ventre de sa mère, ce 16 juillet-là, me jeta un regard de défi, mais savait-il même quel genre de défi ?… Alors, à l’aveuglette mais avec autant d’obstination que j’en avais mis à oublier, j’ai récupéré l’un après l’autre ces petits bouts de miroir aux angles coupants qui gardent dans leur tain, – ce qui, je l’accorde, est anormal pour un miroir, et tient de la magie, mais n’est-ce pas cela qui précisément me fascine ? – chacun un fragment d’une seule image : celle du jeune homme seul, ombrageux qui, s’étant fait un orgueil de sa timidité, s’aperçoit que sa solitude et son refus d’apprendre à vivre le laissent démuni, impuissant, et ce qui est pire : conscient de sa candeur devant un drame aussi sordide qu’un pogrom raciste venu du fond des âges éclater comme un abcès pestilentiel en plein coeur du Marais. »

Les Guichets du Louvre. (Folio, 1980, pp 51-53)

à suivre…

« Clair de Lune » par Blaise Cendrars

Un poème de Blaise Cendrars
(1887, La Chaux-de-Fonds – 1961, Paris)

Clair de Lune

On tangue on tangue sur le bateau
La lune la lune fait des cercles dans l’eau
Dans le ciel c’est le mât qui fait des cercles
Et désigne toutes les étoiles du doigt

Une jeune Argentine accoudée au bastingage
Rêve à Paris en contemplant les phares qui dessinent la côte de France
Rêve à Paris qu’elle ne connaît qu’à peine et qu’elle regrette déjà
Ces feux tournants fixes doubles colorés à éclipses lui rappellent ceux qu’elle voyait de sa fenêtre d’hôtel sur les Boulevards et lui promettent un prompt retour
Elle rêve de revenir bientôt en France et d’habiter Paris
Le bruit de ma machine à écrire l’empêche de mener son rêve jusqu’au bout

Ma belle machine à écrire qui sonne au bout de chaque ligne et qui est aussi rapide qu’un jazz
Ma belle machine à écrire qui m’empêche de rêver à bâbord comme à tribord
Et qui me fait suivre jusqu’au bout une idée
Mon idée

© Blaise Cendrars (1924, Feuilles de route)

Pistes pour le cours : à suivre…

« Un livre, à quoi ça sert ? » de J.M.G. Le Clézio

 

Un livre, à quoi ça sert ?
À écrire. Ça sert à écrire, à lire, à dessiner.
À écrire ce qui est écrit, à lire ce qui est écrit.
À dessiner des animaux, des arbres, des poissons, des cendriers, des livres, des hommes, des enfants.
À dessiner tout ce qu’on voit.  
À compter aussi, à mettre des chiffres.
À raconter des histoires, l’histoire du hibou, l’histoire de la montagne creuse et de la forêt avec les loups.
À faire le ciel, à faire le soleil. À faire une chemise.
À faire un pot de fleurs, et une cigarette.

On dessine. On colorie.
On dessine les maisons.
On dessine les salamandres et les escargots.
On peut les faire à l’endroit, et puis à l’envers.
On peut les faire avec des craies, avec des pinceaux.
Avec des allumettes aussi.
Avec de la paille.
Avec des feuilles.
Avec des cheveux.
Avec de l’herbe. Avec des morceaux de bois.
On peut coller, on peut découper avec des ciseaux.
Un livre, ça peut être une boîte.
Ça sert à se rappeler, aussi.
À gribouiller.
À cacher les choses, pour que les autres ne les trouvent pas.
Ça sert à envoyer des lettres aussi. À mettre les lettres et les cartes quand le facteur les a apportées.
À coller des photos.
Un livre, ça sert à lire le journal.
On écrit les lettres, les O, les A, les Z, les W.
On écrit ZORRO, CHAT, ISABELLE.
Ça sert à courir dans le jardin.
Un livre, ça sert à mettre ce qu’on a rêvé cette nuit.
Quand on s’est bien amusé avec, on n’a plus qu’à le jeter à la poubelle.

© J.M.G. Le Clézio (1967)
L’infiniment moyen in L’extase matérielle. Éditions Gallimard, Paris

Livre de lecture « Au pays bleu »

Au pays bleu – Roman d’une vie d’enfant est un livre de lecture pour le cours élémentaire, écrit par Édouard Jauffret (1900-1945) et illustré par Ray-Lambert (1889-1967). Il a été publié en 1941 par la Librairie classique Eugène Belin et a été réédité par les Éditions Belin en 2008. Un appel à témoins a été lancé en janvier 2016 par un historien, Jean-Claude Autran, dans le but de recueillir des informations sur la vie d’Édouard Jauffret.

La particularité de ce livre de lecture, c’est qu’il s’agit d’une autobiographie romancée, qui relate l’enfance du petit Édouard, en Provence. Y apparaissent, dans des scènes de la vie quotidienne, dans laquelle la nature a une grande place, ses parents, sa mère blanchisseuse et son père ouvrier à la menuiserie, sa voisine Louise, son ami Albert, le terrible dentiste, ses institutrices, quelques autres personnages, et son petit chien Sauvé, recueilli dans un fossé.

C’est un « roman » très attachant, écrit dans une langue très belle, un brin littéraire, sans pour autant être difficile à comprendre pour les enfants, même les plus jeunes, avec de très jolies illustrations. Les histoires y sont racontées avec beaucoup de sensibilité et touchent les lecteurs, petits ou grands, qu’elles disent la peur en traversant les bois, la joie devant la neige qui tombe, l’immense frayeur causée par le dentiste (« Et puis, il s’appelle Sabre. Sabre ! Y songez-vous ? »), le bonheur de découvrir le gâteau caché dans l’armoire, la grande peine causée par la mort accidentelle du petit chien ou encore le ravissement d’écouter sa mère chanter sur la terrasse : « La chanson passe dans l’ombre, douce comme une caresse. Et moi, immobile, je voudrais que cet instant ne finisse jamais. »
Les histoires de ce livre, que je regardais avant de savoir lire, je les connais presque toutes par cœur.

Le livre est divisé en 60 chapitres, c’est-à-dire autant de lectures, suivies d’explications de mots, d’exercices de compréhension prévus pour l’oral et pour l’écrit, et d’une partie grammaticale à base d’exercices, intitulée « Étude de la phrase ».

Chapitre 31
« Les chansons de maman »

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Je ne sais pas encore s’il est permis de reproduire des extraits du texte sur ce blog et dois me renseigner. En attendant, voici des liens vers un autre blog (« Mes années 50 » par Roland Le Corff, page « Au pays bleu » sur lequel se trouvent des informations sur le livre et les photos de certains chapitres.

Chapitre 20
« Curieux effets de la gourmandise » : page 88, page 89, page 90, page 91

Chapitre 21
« Les gâteaux » : page 92, page 93, page 94

Chapitre 48
« Sous le ciel de minuit » : page 200, page 201, page 202

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