Le réveil des mémoires refoulées (1970-1990)

1) Un ouvrage décisif : La France de Vichy, Robert Paxton, 1973

S’appuyant sur des sources allemandes, l’historien étasunien remet en cause l’image d’une collaboration subie défendue par le Français Robert Aron en 1954 dans son Histoire de Vichy. Selon ce dernier, Pétain aurait été le « bouclier » de la France (par opposition à « l’épée » incarnée par de Gaulle). Une thèse contestée par Robert Paxton.

Écoutez son témoignage en 2009 sur France Inter:

L’ouvrage de Paxton est plutôt mal reçu en France où l’auteur, victime d’une véritable campagne de haine, est interdit de télévision. Cliquer sur l’image pour accéder à la vidéo

Dénonçant un État français allant au-delà des exigences allemandes, l’historien pointe notamment du doigt les mesures anti juives de 1940 (Loi sur le statut des Juifs en octobre 1940).

Il développera la politique de Pétain à l’encontre des Juifs dans un autre ouvrage : Vichy et les Juifs paru en 1981.

2) Des films et documentaires bouleversants

Parmi les fictions réalisées au cours de la période, l’une d’elles a eu un écho retentissant : le téléfilm étasunien de Marvin Chomsky, Holocauste, diffusé en 1978 sur la chaîne NBC (sur Antenne2 en 1979 en France). Il aurait été vu par plus de 50 % de la population aux États-Unis…

Racontant le destin croisé de deux familles berlinoises à partir de 1935, l’une juive (Weiss) et l’autre succombant au nazisme (Dorf), cette mini-série en 4 épisodes fait découvrir au téléspectateur la réalité des atrocités nazies, dont l’horreur des camps.

L’impact est tel qu’en Allemagne (où plus d’un Allemand sur trois aurait vu la série), le pouvoir politique prit la décision d’allonger la durée de la prescription des crimes de guerre nazis.

Mais le téléfilm, multi récompensé, n’a pas été épargné par la critique : dramatisation excessive, détails surprenants aux yeux des rescapés (ex : prisonniers hommes trop bien rasés), impossibilité de traduire la réalité de la Shoah par le cinéma…

Reste que ce feuilleton aura eu le mérite, au-delà de la polémique, de secouer les consciences.

Quelques années plus tard, en 1985, un documentaire fleuve (10h) réalisé par le Français Claude Lanzmann fait lui aussi sensation : Shoah.

Pendant plus de dix ans, le cinéaste a recueilli des centaines de témoignages (ancien gardien SS, paysan polonais, conducteur de train, anciens nazis, rescapés) dans une dizaine de pays. En faisant parler victimes, criminels et « simples » témoins, le réalisateur nous fait revivre le voyage des Juifs européens vers la mort sans la moindre image d’archives ni le moindre commentaire (donc sans jugement ni parti pris).

Un retour au présent voulu par Claude Lanzmann, préférant les prises de vue des lieux du génocide tels qu’ils étaient alors devenus, sans artifice. Le résultat est glaçant…

Immédiatement encensé par la critique, le documentaire (qualifié de chef d’œuvre) a une portée telle que le terme « shoah » (la « catastrophe » en hébreu) est dorénavant utilisé pour désigner l’extermination des Juifs d’Europe.

Notons qu’en janvier 2016, un court-métrage documentaire sur la genèse de Shoah (« Claude Lanzmann : porte-parole de la Shoah »), réalisé en 2015 par le journaliste britannique Adam Benzine, était nommé aux Oscars.

La même année, l’académie des Oscars récompensait dans la catégorie du meilleur film étranger Le fils de Saul, du Hongrois Laszlo Nemes. Ce film sur les camps de concentration nazis est, de l’avis même de Claude Lanzmann, « un film pur, intelligent », « une sépulture pour les Juifs de Hongrie ». Il a eu l’effet d’une véritable onde de choc…

D’autres précisions sur ce film en cliquant ici.

3) Le jugement d’anciens responsables nazis

En 1961, le procès (presque entièrement filmé) du criminel de guerre nazi Adolf Eichmann met en évidence la « banalité du mal ». Cet ancien bureaucrate (il travaillait au Bureau des affaires juives) alors âgé de 55 ans nie tout, plaidant non coupable pour chacun des chefs d’accusation. Lui n’a fait qu’obéir aux ordres…

Son parcours n’est cependant pas celui d’un simple « gratte-papier ». En 1940, il entre à la Gestapo et prend la tête du Service central de l’émigration du Reich, au sein de l’Office central de sécurité (RSHA) dirigée par Heydrich.

C’est également lui qui, en 1942, organise la conférence de Wannsee (présentée comme ayant pour objectif d’exposer les modalités de « la solution finale de la question juive »). Sont alors présents une quinzaine de hauts dignitaires nazis.

Arrêté en 1945, Eichmann parvient néanmoins à s’évader en 1946. Il part se cacher en Argentine, avec femme et enfants. Il est finalement enlevé par les services secrets israéliens en mai 1960.

Jugé en 1961 à Jérusalem, il est condamné à mort et pendu en 1962. Ses cendres seront dispersées en mer.

En France, il faut attendre 1987 pour que Klaus Barbie, ancien chef de la Gestapo à Lyon en 1943-1944, soit à son tour jugé et condamné. Il a alors 74 ans.

Surnommé le « boucher de Lyon », bourreau et assassin de Jean Moulin, il serait directement responsable de la mort de plusieurs milliers de personnes (hommes, femmes et enfants).

Protégé après-guerre par le service de renseignements de l’Armée de terre des États-Unis (le Counter Intelligence Corps), Barbie finit par s’exiler en Amérique du Sud, notamment au Pérou et en Bolivie. Longtemps protégé par le pouvoir bolivien, il est finalement arrêté puis extradé vers la France en 1983. Un téléfilm, La Traque, réalisé en 2007 par Laurent Jaoui, relate la poursuite acharnée de Barbie par le couple Klarsfeld (Serge et Beate), « chasseurs de nazis ». Ci-dessous, la bande annonce.

Reconnu coupable de 17 crimes contre l’humanité, Klaus Barbie est condamné en 1987 à la prison à vie ; il décédera derrière les barreaux à Lyon, en 1991.