Premières: Koltès, Combat de nègre et de chiens

En quoi peut-on dire que la pièce Combat de nègre et de chiens est une tragédie?

Travail effectué par ANTOINE, 1°S4

« Nous allons étudier  Combat de nègre et de chiens, une pièce écrite par Bernard Marie Koltès, dramaturge du XXe siècle, alors qu’il revenait d’un voyage en Afrique.

On traitera l’œuvre dans son ensemble, et on se demandera en quoi celle-ci est une tragédie.  On s’intéressera d’abord à la forme de la pièce, puis à son contenu et ses buts.

Combat de nègre et de chiens est tout d’abord une tragédie par sa forme : dès le début de la pièce, avant même le premier dialogue, on apprend que l’action se déroule dans un lieu clos, l’une des trois unités que devaient respecter les tragédies classiques. De plus, par la suite, on peut observer que les deux autres unités sont respectées : l’unité de temps, car la scène se déroule en une seule nuit, comme l’attestent les didascalies « au crépuscule », au début de la pièce, et « le jour se lève », dans la vingtième scène, et l’unité d’action, car aucune action subsidiaire ne se déroule en parallèle avec l’action principale.

De plus, on peut observer que presque toutes les scènes sont composées d’un échange entre deux personnages, comme c’était le cas dans la Grèce antique, ou seuls deux (parfois trois) comédiens interprétaient la pièce, de manière qu’il n’y avait que peu de personnages en scène. Les nombreuses scènes d’affrontement rappellent également les scènes d’agôn des tragédies grecques.

On peut également considérer que les trois paragraphes situés juste avant le début de la pièce, chacun dédié à un personnage, s’apparentent au prologue des tragédies grecques ; en effet, s’il ne présente pas explicitement l’action et les personnages comme la fait habituellement un prologue, il permet cependant d’avoir quelques informations sur ces derniers.

On notera cependant qu’à la différence de nombreuses tragédies, aussi bien antiques que classiques, la pièce ne se déroule pas pendant l’Antiquité, mais de nos jours.

La pièce présente également de nombreuses similitudes avec les tragédies dans ses thèmes, et dans ce que l’auteur veut faire ressentir au spectateur.

On y retrouve notamment la notion de fatalité : les personnages sont voués à se détruire entre eux dès le début, aucun espoir n’est permis. Le corps a disparu, aucun retour en arrière n’est possible. Certains personnages ont beau tenter de retarder la violence, celle-ci est inévitable, et amènera une fin typique de la tragédie : la mort de l’un des personnages, Cal. De plus même s’ils ne meurent pas, les autres personnages n’ont pas non plus une fin heureuse ; Léone s’est marquée à vie, Alboury n’a pas retrouvé son frère, Horn a perdu celle qu’il devait épouser. Dans une tragédie, le sort des vivants n’est pas plus enviable que celui des morts.

Les personnages eux-mêmes sont également tragiques : ils incarnent les passions humaines (du latin patior : souffrir) poussées à leur extrême. Léone aime comme Cal hait : sans aucune modération. De même, Alboury est déterminé et rien ne peut le convaincre de s’arrêter. On peut d’ailleurs remarquer une certaine ressemblance entre Alboury et Antigone, qui veulent tous deux honorer un corps, et ne renonceraient pour rien au monde. Cependant, là où Antigone meurt pure, Alboury vit souillé par le meurtre de Cal, preuve peut-être du pessimisme encore plus grand de Koltès  (ou l’inverse ?).

Il peut également être intéressant de comparer les gardes de Combat de nègre et de chiens et les dieux des tragédies antiques et classiques. En effet , comme ces derniers, les gardes sont craints de tous, blancs comme noirs, ils sont présents sans vraiment l’être, agissent sans qu’on les voie, ne sont perçus que par d’autres signes, des bruits par exemple. De plus, ils ont le pouvoir de décider de la mort de n’importe qui dans l’enceinte du camp. De même que les personnages de tragédie meurent habituellement à cause d’une malédiction provenant d’un dieu, Cal est tué par les gardes.

Cependant, quelques règles de la tragédie sont laissées de côté par Koltès, en particulier la règle de la bienséance, qui prohibe la représentation de la violence sur scène. De plus, les personnages ne sont pas de rang noble comme c’est souvent le cas dans les tragédies.

Enfin, la pièce a les visées d’une tragédie. En effet, les souffrances des personnages sont censées provoquer la pitié chez le lecteur, mais surtout, le but de la tragédie est la catharsis, la purgation des passions du spectateur  par la représentation de celles-ci au théâtre. Le lecteur (ou le spectateur dans le cas d’une représentation) s’incarne dans le personnage, vit avec lui ses passions, et s’en purge par là même.

Combat de nègre et de chiens est donc sans conteste une tragédie. Nonobstant quelques écarts par rapport aux règles classiques, elle en suit la plupart, a la structure d’une tragédie, les visées d’une tragédie. La mise en scène de Michael Talheimer accentue encore les similitudes entre la pièce et les tragédies antiques en remplaçant Alboury par un chœur. Ce n’est pas un hasard. S’il a fait ce choix, c’est parce que Bernard-Marie Koltès a beaucoup fait pour rapprocher sa pièce des tragédies, tout en gardant des aspects modernes auxquels le lecteur puisse d’identifier ».

Quelques remarques en guise de reprise

1 Koltès s’amuse avec l »unité de temps qui se déroule ici sur une nuit et non sur une journée. Le caractère inquiétant de la nuit, et l’importance de l’obscurité expliquent également ce choix.

2 L’unité d’action est un peu plus complexe à définir. Il ne s’agit pas de dire qu’il ne faut qu’une seule action dans la pièce. mais il faut que l’action principale et l’action secondaire soient en permanence liées l’une à l’autre ; que tout évolution dans l’une ait des répercussions dans l’autre. La pièce de Koltès obéit parfaitement à cette règle: l’intrigue qui se noue entre Alboury et Léone (action secondaire) bouleverse totalement le comportement de Horn, qui reste le principal décideur de l’intrigue principale (la demande d’Alboury, la volonté de Cal d’en finir par la violence).

3 La fin de la pièce n’est pas complètement tragique: si la mise en scène de Thalheimer fait effectivement mourir Léone, la pièce est beaucoup plus positive: Léone repart en France, vivante, marquée bien sûr par ce qu’elle vient de vivre (la scarification est la trace physique de cette expérience radicale), mais on a vu que les dernières lignes de son texte l’assimilaient à un enfant, comme si ce voyage permettait finalement une renaissance.

4 Alboury est présenté comme d’ascendance royale (son nom renvoie à un personnage historique) et Horn reste le chef du chantier. Cal est un ingénieur. Seule Léone appartient nettement à une classe sociale défavorisée.

5 Ce n’est pas Alboury qui tue Cal, ce sont les gardes. Il ne peut véritablement être souillé par la mort de l’ingénieur (d’autant que la notion de souillure est tout de même une caractéristique propre de la civilisation grecque).

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