Premières: autour d’Orphée: « Comme on voit sur la branche… »

Ronsard, Sur la mort de Marie

« Comme on voit sur la branche… »

En 1578, les poèmes « Sur la mort de Marie », (16 poèmes dont une majorité de sonnets, composés à partir de 1574) s’inscrivent sous une double inspiration. Car Marie, c’est aussi bien Marie Dupin, la jeune paysanne de Bourgueil à laquelle Ronsard avait déjà consacré plusieurs recueils de poèmes (Continuation des Amours, 1555 ; Nouvelle continuation des Amours, 1556), mais aussi Marie de Clèves, la jeune femme aimée par le roi Henri III, et morte en 1574.

Comme dans le mythe d’Orphée, le poète connaît la perte et le deuil, mais il en fait une matière poétique, la possibilité d’un hommage à la femme aimée, à laquelle il assure une forme de résurrection, au moins dans la mémoire du lecteur.

François Clouet, Portrait de Marie de Clèves, 1571


En évoquant la mort de Marie, Ronsard aborde également un thème récurrent en poésie ou en peinture : la jeune fille et la mort. Cette confrontation entre la jeunesse, la beauté et la mort allie violence de l’émotion et message moral, comme on le constate souvent dans l’iconographie. Mais Ronsard choisit, quant à lui, une voie différente : si la comparaison de la jeune fille avec la rose le conduit à symboliser la perfection, la vision qu’il donne de la mort reste ambiguë,  ce qui atténue l’horreur de la situation initiale.

I La comparaison de Marie avec la rose

1)    La construction symétrique :

La proposition comparative introduite par « Comme », consacrée à la rose se développe sur les quatrains, et les tercets sont consacrés à la jeune fille, l’adverbe ainsi assurant la transition au début du premier tercet.

La symétrie de la construction est appuyée par la reprise du même schéma temporel pour la rose et la jeune fille : triomphe de la beauté, destruction. Le même mot subordonnant  « quand » est ainsi employé vers 4 et au vers 10.

2)    La correspondance du vocabulaire

Vers 2 : « Belle jeunesse, première fleur » (rose)  Vers 9 : « Première et jeune nouveauté » (effet de « presque » chiasme)

Même référence au ciel également à propos de la rose ou de Marie, vers 3 et 10

Même évocation de la mort : « elle meurt » (rose) ; « t’a tuée », « cendre » (Marie)

De fait cette correspondance est accentuée par le fait que Ronsard  d‘emblée choisit de personnifier la rose : Le ciel « Jaloux » ; les « pleurs » de l’Aube, « Languissante », « Elle meurt ».

Seule reprise inversée : la « nouveauté » de Marie qui renvoie à l’image des fleurs nouvelles.

II La valeur symbolique : la rose, image de la perfection

1)    La rose, symbole de perfection

La perfection de la rose apparaît comme incontestable, l’expression « on voit » du vers 1 fait appel à l’expérience de chacun (Emploi du « on » à valeur universelle, présent de même valeur). L’utilisation des définis (« la branche », « la rose ») appuie cette valeur générale.

La perfection de la rose tient aussi bien à la vue (« vive couleur »), qu’à l’odorat (Valeur positive du verbe « embaumer », utilisation du pluriel « les jardins », « les arbres », exagération même des compléments). De même, elle apparaît toujours associée à des images de jeunesse, de commencement (le mois de mai, évocation du printemps ; « l’Aube » avec personnification ; « le point du jour »).

2) La rose, centre du monde

Par cette perfection, la rose devient le centre même du monde : la versification la mettait en valeur par son apparition en fin du vers 1, mais elle est aussi l’objet d’attentions du ciel et de l’Aube, elle renferme à elle seule « la grâce » et « l’amour »(là encore personnifiés), et son parfum domine « les jardins et les arbres ».

Par contamination, cette perfection devient aussi celle de Marie (le vers 10 suggère le même rayonnement hyperbolique, rythme extrêmement régulier :

« Quand la t?r/r(e) et le c?el// honor?i/ent ta beauté) : 3/3//3/3).

Ronsard n’oublie pas non plus ici que la rose est la fleur symbole de la Vierge Marie.

Eh oui, Ronsard a donné son nom à un rosier!

Il s’agit d’un rosier grimpant qui peut atteindre deux mètres et produit de nombreuses fleurs très serrées aux coloris rose et crème.

III Mort et résurrection

1)L’ambiguité de Ronsard

Ronsard montre cependant à quel point cette perfection est fragile : l’utilisation répétée de « ou»  ainsi que le choix des contraires (« pluie» , « excessive ardeur ») montrent que la rose est facilement menacée, et totalement impuissante, comme le suggère l’emploi du participe passé passif (« Battue» ).

Il faut noter cependant que la mort de la rose semble s’inscrire dans un processus lent et naturel (Utilisation du verbe au présent, « elle meurt », de l’adjectif «Languissante» , dont la longueur même suggère l’agonie, précision de l’expression « feuille à feuille déclose» , comme inversion de l’épanouissement premier, rythme très régulier 3/3/3/3), tandis que la mort de Marie apparaît comme beaucoup plus brutale (Véritable idée de meurtre « T’a tuée» , et violence de l’allitération), et liée à une fatalité difficilement compréhensible (Présence de « La » Parque, singularité, image d’une divinité malfaisante, presque vengeresse de tant de perfection).

Cependant la fin du vers marque un apaisement, l’emploi du verbe « reposer » en fin de vers donnant une image plus douce de la mort.

2) La résurrection

De fait, Ronsard va jusqu’à envisager une certaine forme de résurrection pour Marie : le dernier quatrain se présente sous la forme d’un hommage funèbre rendu à la jeune femme, avec les libations traditionnelles dans la mythologie païenne. Or il est à noter que si la redondance du premier vers (« mes larmes » , « mes pleurs) suggérerait un chagrin amoureux presque désespéré, cette impression est aussitôt rectifiée : d’abord par l’utilisation d’une seconde personne à l’impératif « Reçois » , qui renoue une communication que l’on aurait pu croire interrompue par la mort, ensuite parce que les offrandes elles-mêmes évoquent avant tout la vie (Valeur symbolique du lait, des fleurs ; répétition de l’expression « plein de»). Enfin l’image finale revient à la comparaison première : Marie redevient fleur, rose mais ici avec tout l’élargissement que confère le pluriel. Le jeu des sonorités « Mort » , « corps » , « roses » marque bien cette apothéose de Marie.

Mais au delà des présents ici avoués, c’est bien le poème lui même qui constitue la véritable offrande de Ronsard, et c’est bien par cette offrande là que Marie a connu sa véritable résurrection, car tout autant qu’Hélène, elle doit aux sonnets de Ronsard son immortalité poétique.

Conclusion :

Si le deuil et la perte constituent bien la matière même de l’inspiration poétique, tout comme l’évoquait également le texte de Virgile, le poème acquiert ici une fonction plus noble : il devient consolation et hommage : Marie retrouve sa beauté première, désormais immortalisée par le texte de Ronsard. La poésie (l’art) vient s’inscrire ici comme moyen de dépasser la mort, qui de ce fait perd l’aspect terrifiant que l’iconographie du temps mettait facilement en scène (La fin du XVI ème siècle amorce l’âge baroque, le triomphe des vanités et des « Memento mori »).

La jeune fille et la mort

Ronsard, avec le poème « Comme on voit sur la branche au mois de mai, la rose« , envisage la mort de la jeune Marie, et rend hommage à sa beauté, qu’il immortalise grâce à son poème même. Si ce thème de la jeune fille morte prématurément peut sembler essentiellement pathétique, il ne faut pas oublier qu’il a pu être envisagé de manière bien différente.

Deux illustrations du XVI pour rappeler la brutalité de certaines représentations:

Hans Baldung Grien, la jeune fille et la mort (1517)

Dans cette version, la jeune fille est attrapée par les cheveux et violemment entraînée par la mort. Elle ne se défend pas, se contente de pleurer et de se tordre les mains. La mort est vue comme une irruption brutale, qui vient détruire la beauté et la vie.

Niklaus Manuel Deutsch 1517

La gravure ici proposée est plus brutale encore dans la mesure où mort et viol sont assimilés. La mort n’est plus un squelette propre et net, mais un corps en putréfaction qui semble prendre vie. La gravure met en évidence la sensualité de la jeune fille (formes généreuses, importance des vêtements, bijoux et coiffure). Le décor est également celui de la richesse.

De telles illustrations se veulent mises en garde, dénonciation d’un orgueil qui voudrait croire à la suprématie de la beauté ou de la chair. Il n’en reste pas moins qu’avec de telles présentations, les artistes jouent avec la dimension érotique du thème traité.

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