Voltaire, Traité sur la Tolérance, prière à Dieu

Voltaire, Traité sur la tolérance,  chapitre XXIII, 1763

 Introduction

Composé en 1763 à la suite de l’affaire Calas, le Traité sur la Tolérance est un plaidoyer en faveur de la réhabilitation de Jean Calas, une défense des protestants et une dénonciation du fanatisme. Ce texte manifeste un aspect paradoxal: Voltaire, qui s’affirme comme déiste et critique les pratiques rituelles (cf. Le souper dans Zadig) reprend à son compte la pratique de la prière. S’agit-il ici d’un texte religieux? En fait, derrière l’apparence religieuse, la prière est avant tout adressée aux hommes afin de les inciter à la tolérance mutuelle.

Marc-Antoine Calas est retrouvé assassiné, son père Jean Calas est accusé du meurtre.

(Pour plus de précision: Affaire Calas)

I Une prière traditionnelle

1) Les caractéristiques formelles:

  1. 1.       Utilisation d’une deuxième personne du singulier: « Daigne », l.4; « Fais que » l.6; « c’est à toi » l.1, avec usage fréquent de l’impératif.
  2. 2.      Solennité dans l’expression:
  • emploi du rythme ternaire: « Dieu de tous les êtres, de tous les mondes, et de tous les temps »;
  • texte qui se construit par développement successifs:

Exemple: « les petites différences »  (l.7) aussitôt énumérées entre les vêtements/les langages/les usages: les lois/les opinions/les conditions/, reprises finalement par l’expression: « toutes ces petites nuances ».

Exemple: « les atomes appelés hommes », expression  développée ensuite par : « ceux qui allument… » (l.11); « Ceux qui se contentent; « ceux qui couvrent » (l.13), « ceux qui disent » (l.13), «  »ceux dont l’habit » (l.15).

  • Multiplication des formules redondantes: « faibles créatures perdues dans l’immensité et imperceptibles au reste de l’univers » l.2 ( les deux expressions ont le même sens); « petite parcelle d’un petit tas de boue de ce monde » (noter aussi l’allitération en « p »).

2) Le rapport à la divinité: contraste entre:

  1. 1.      La divinité, évoquée avec ses attributs caractéristiques:
  • l’universalité et l’éternité: « Dieu de tous les êtres, tous les mondes, tous les temps ».
  • L’omniscience et la sagesse: « si égales devant toi » l. 10 (les différences sociales ne comptent pas pour Dieu) « Car tu sais… » l.18.
  • La bonté: « à toi qui a tout donné » l.3, « tu ne nous as point donné un coeur » l.5, « ta bonté qui nous a donné » l.24.
  1. 2.      Les hommes définis à l’inverse:
  • La petitesse: « les atomes appelés hommes » l.10, « perdues dans l’immensité, imperceptibles au reste de l’univers  » l.2.
  • L’insuffisance physique et intellectuelle: « faibles créatures » l.2; « débiles corps » l.8; « langages insuffisants » l.9; « opinions insensées » .12, « lois imparfaites » l.12: noter à chaque fois le préfixe « in » qui marque la négation.
  1. 3.      Ce contraste entre Dieu et les hommes aboutit à la dévalorisation de la vie humaine:
  • Voltaire oppose implicitement la vie terrestre avec la vie « après la mort », la seule vraie vie dans la tradition chrétienne. Il emploie alors des expressions dévalorisantes pour désigner les réalités humaines: « un petit tas de boue » (le monde), »les fragments arrondis d’un certain métal » (périphrase qui désigne l’or), « le fardeau d’une vie pénible et passagère ». Pour la richesse et le pouvoir, Voltaire utilise le terme de « vanités » (=quelque chose qui est vain, qui est inutile), terme qui renvoie à la Bible: « Vanités des vanités, tout est vanité« , parole de Salomon, citée dans L’Ecclésiaste, un des livres de la Bible.

Faut-il cependant croire Voltaire lorsqu’il dévalorise ainsi la vie humaine et les hommes? Ce discours religieux n’est-il pas qu’une apparence?

Vanité, Philippe de Champaigne (1602-1674)

Vanité, Renard de Saint André (1613-1677)

II Un appel aux hommes

1) La condamnation d’un monde violent

  1. 1.       La responsabilité des hommes
  • Sujet de l’action: les hommes et non Dieu: « fais que nous nous aidions ». Comme la phrase est longue, l’impératif premier « fais que » s’éloigne et au final, on a l’impression que Voltaire donne des ordres aux hommes eux-mêmes: « que ceux dont l’habit est teint en rouge…jouissent sans orgueil de ce qu’ils appellent grandeur et richesse » (Utilisation du subjonctif pour marquer l’ordre).
  • Dans le second paragraphe: les ordres sont adressés aux hommes (Dieu a pratiquement disparu): « Qu’ils aient en horreur », « ne nous haïssons pas les uns et les autres », « employons ».
  1. 2.      La dénonciation de la haine et de la violence
  • Vocabulaire de la violence: « pour nous haïr », « pour nous égorger » (l.5 et 6), « signaux de haine et de persécution » (l.11), « ne nous haïssons pas » (l.22), « ne détestent pas »( l.13), « sans orgueil » (l.17), « sans envie » (l.18): il s’agit là en négatif du monde présent, celui qu’il veut dénoncer.
  • Voltaire évoque 3 niveaux de violence: les crimes des particuliers (« le brigandage qui ravit par la force le fruit du travail et de l’industrie paisible » l.21, la guerre entre nations, jugée « inévitable » (???), les violences commises en temps de paix, à cause de l’intolérance.

2) la dénonciation de l’intolérance et du fanatisme religieux

1        Les différences entre les hommes

  • Pour Voltaire, l’intolérance est liée aux différences entre les hommes: différences de langues (« langages insuffisants » l.8; « en mille langages divers » l.23), des habitudes de vie et des lois (« lois imparfaites » l.9), des conditions sociales (« nos conditions si disproportionnées »l. 9), des vêtements même (« les vêtements qui couvrent nos débiles corps »: se souvenir de Montaigne: « Mais quoi! Ils ne portent point de hauts de chausses! », Essais, Des Cannibales).
  • Mais il minimise ces différences: « les petites différences », « toutes ces petites nuances » (même adjectif: petit, et passage de « différence » à « nuance »).

2        Le fanatisme

  • Paradoxe: la volonté de rendre hommage à Dieu conduit les hommes à s’entretuer. Mise en contraste du vocabulaire d’amour réservé à Dieu (« t’aimer » l.13, « t’adorer » l.14) et du vocabulaire de haine que les hommes s’adressent: « Que ceux qui couvrent leur robe d’une toile blanche pour dire qu’il faut t’aimer ne détestent pas ceux qui disent la même chose sous un manteau de laine noire ».
  • Pour Voltaire,  le fanatisme provient d’une trop grande importance donnée aux rites religieux: cérémonie ou non (« cierges en plein midi »; « lumière de ton soleil », l.11 et 12 ), vêtements portés (« toile blanche » l. 13, « laine noire » l.14), langue utilisée (« jargon formé d’une ancienne langue », « dans un jargon plus nouveau » l.14 et 15).
  • Ces éléments renvoient aux différences entre catholiques et protestants, mais le fait que Voltaire nous les présente sans rien nous expliquer de leur origine, rend ces éléments ridicules et dérisoires. Il se moque aussi de la hiérarchie catholique: « dont l’habit est teint en rouge et en violet » (Traditionnellement, le pape est en blanc, les évêques en violet, les cardinaux en rouge).

3        Fraternité et tolérance

  • Voltaire adresse ici avant tout un message de fraternité:  « nous nous aidions mutuellement  » (l.6); « puissent tous les hommes se souvenir qu’ils sont frères! ».
  • Ainsi qu’un appel à refuser le fanatisme, considéré comme « une tyrannie exercée sur les âmes », afin de profiter de la vie que le philosophe considère en fait comme un cadeau fait par Dieu: « Ta bonté qui nous a donné cet instant » (= »l’instant de notre existence »: l’expression souligne la brièveté de la vie humaine).

Conclusion: Un texte qui s’inscrit dans le contexte du XVIII ème siècle et des affaires qui ont occupé Voltaire au cours des ces années. Mais aussi un texte qui explique de quelle manière l’intolérance se constitue, et appelle à dépasser les différences entre individus ou entre nations.

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